La  gestion cornélienne des remplacements des intervenants à domicile

Auteur : Sébastien CHARRIERE

Les professionnels du service à la personne et de l’aide à domicile en particulier le savent que trop bien : le taux d’arrêt de travail pour maladie ordinaire, maladie professionnelle et accident de travail du personnel d’intervention à domicile est un des taux d’arrêt les plus importants tous secteurs confondus. Ce palmarès, le secteur souhaiterait certainement bien s’en passer. Il existe évidemment des raisons évidentes et moins évidentes à cela, des raisons organisationnelles, collectives et individuelles sur lesquelles chaque fédération, chaque structure, chaque service de santé au travail et chaque CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) sont plus ou moins en capacité d’agir. Toutefois, l’objet de cet article n’est pas de faire l’inventaire des solutions pouvant participer à la diminution de ce taux d’arrêt (certaines étant éprouvées et approuvées) mais d’évoquer la conséquence directe de ces arrêts sur les personnes chargées de la gestion des plannings, l’encadrant intermédiaire : le responsable de secteur.

Deux volets inévitablement liés seront étudiés. D’une part, l’impact direct et immédiat sur l’organisation du service au travers la gestion des remplacements de l’intervenant et d’autre part un impact plus insidieux et plus individuel touchant la personne même de l’encadrant et son rapport au stress.

La gestion des remplacements

L’arrêt de l’intervenant à domicile entraine une interrogation première évidente : pourquoi ce sont toujours les mêmes qui sont encore en arrêt ? Je m’égare… l’interrogation première est évidemment celle de savoir comment je vais pourvoir au remplacement de ce salarié qui vient de me déclarer son absence. Pour cela, le droit du travail, outil au service des ressources humaines, offrent un certain nombre de possibilités venant cadrer mes choix (évidemment, libre à moi de rester dans ce cadre ou non, avec les risques que cela pourrait entrainer pour la structure…).

Dans l’urgence. Je dois trouver quelqu’un qui doit intervenir rapidement pour un acte essentiel à la vie courante (une intervention d’aide ménagère peut normalement se décaler… imposer à un salarié d’intervenir dans la demi-heure alors que cela n’est pas prévu pour du ménage est très borderline mais dans un contexte concurrentiel, la satisfaction du client en impose…). Je regarde les salariés qui sont à ma disposition mais je ne peux pas faire n’importe quoi. Telle salariée est en repos hebdomadaire, telle autre a une amplitude déjà à la limite (de 13 à 11h selon les cas), une autre encore travaille quasiment 10 heures (déplacements compris !), celle-là est à temps partiel sous le régime de la modulation et est dans sa tranche horaire d’indisponibilité, celle-ci n’est pas compétente pour aller faire une toilette n’ayant aucun diplôme, ni formation pour cela, cette autre intervenante a une pause déjeuner calculée au plus juste qu’il faut respecter et cette dernière à des heures pour femme enceinte lui empêchant de travailler plus. Malheureusement pour moi, il faut aussi compter sur les autres collègues en arrêt maladie, en congé maternité, en congé parental, en congé enfant malade, en congé exceptionnel d’ancienneté, en congé payé, en formation, etc. Fort heureusement, en pratique, tout n’arrive pas en même temps et la plupart du temps, je finis par trouver une bonne âme qui accepte d’aller réaliser l’intervention. Une bonne âme oui car il se peut fortement que j’ai écopé quelques refus avant de tomber sur cette bonne âme… (à moins comme souvent de connaitre les bonnes âmes qui acceptent systématiquement et d’aller directement le lui demander…).

Une fois l’urgence gérée tant bien que mal, je détermine si je peux poursuivre avec le personnel en place. En effet, certains ont justement des creux dans leur planning que je m’empresse de remplir à moins de profiter de ce que peut m’apporter la modulation du temps de travail si je suis dans ce mode d’organisation. S’il s’avère que je ne peux pas me contenter du personnel en place, il me sera nécessaire de faire appel à du personnel extérieur en remplacement du personnel absent en usant de l’outil juridique qu’est le contrat à durée déterminée (CDD). Toutefois, une remarque préliminaire à ce sujet s’impose. Je ne peux NI proposer un CDD à un salarié déjà place en CDI mais à temps partiel (une décision de la Cour de cassation du 30 mars 2011 a d’ailleurs précisé à ce sujet qu’est nul tout accord ayant pour finalité de permettre le recours au CDD pour des salariés occupant déjà dans l’entreprise » des emplois liés à son activité normale et permanente dans le cadre CDI, peu important que ces contrats fussent à temps partiel ou intermittents »), NI faire un avenant temporaire à un salarié en CDI pour augmenter son contrat le temps de réaliser les prestations (sauf à faire un avenant au début du remplacement, puis de refaire un avenant à la fin du remplacement, impliquant nécessairement l’acceptation du salarié pour pouvoir diminuer à nouveau son contrat… extrêmement risqué à mon sens et complètement inutile si l’organisation est basé sur la modulation).

L’étude du CDD peut parfaitement faire l’objet d’un ouvrage. L’objectif n’étant pas ici de vous noyez dans les détails, il me semble toutefois important et opportun de rappeler quelques règles de base trop souvent ignorés en pratique (pas seulement dans le service à la personne ou l’aide à domicile, rassurez-vous !) :

Un CDD justifié par la loi : Le CDI étant le principe, il faut rappeler et insister sur le fait que l’on ne peut conclure de CDD que pour des cas expressément prévus par la loi. Il est, par exemple, possible de prévoir un CDD pour remplacer un salarié absent (CDD de remplacement), pour un accroissement
d’activité (CDD pour accroissement d’activité), dans l’attente de l’entrée en fonction du titulaire du poste en CDI déjà recruté, dans des secteurs limitativement cités par les textes dans lesquels il est d’usage de recourir au CDD (CDD dit d’usage), etc. Chacun de ces cas répondent à des considérations précisément explicitées par les textes et appeler un CDD « CDD pour accroissement temporaire d’activité » alors qu’il n’y a pas dans les faits d’accroissement temporaire d’activité sera illicite. Cela vaut pour chaque cas. Et la raison doit être écrite noire sur blanc sur le contrat de travail.

Un CDD pour remplacer UN salarié : Lorsqu’il s’agit de remplacer des salariés, ne vous attendez pas à pouvoir sur un même CDD y mettre tous les salariés à temps partiel que vous pourrez caser au salarié à temps plein que vous avez temporairement recruté. La Cour de cassation est claire à ce sujet : un CDD pour un salarié remplacé.

Un volume horaire au mieux équivalent au salarié remplacé : Lorsque vous remplacez un de vos salariés, vous ne pouvez pas prévoir un contrat de travail supérieur à celui réalisé pour le titulaire. Si le titulaire parti en congé a un contrat de 100h mensuel, n’allez pas profiter d’un CDD pour vous dire que vous allez lui faire un contrat de 130 heures car cela vous arrangera bien… cela n’est pas possible. L’inverse par contre ne pose aucun souci. Vous pouvez parfaitement prévoir un contrat de travail avec une durée inférieure. Avec une limite toutefois : il n’est en principe pas possible de prévoir deux temps partiel pour remplacer un temps plein (sauf cas bien précis où le seul profil disponible est un temps partiel travaillant déjà ailleurs et que l’on complète par un autre temps partiel, ce qu’il faudra pouvoir justifier).

Une période d’essai bien précise : La période d’essai n’est pas obligatoire, mais si elle est prévue la durée de la période d’essai est limitée. Pour un CDD avec date de fin, un jour par semaine dans la limite de deux semaines pour un CDD de 6 mois, et de un mois au-delà de 6 mois. Pour un CDD sans date de fin, le contrat devra prévoir une durée minimum (par exemple, la durée de l’arrêt maladie si CDD de remplacement pour ce cas) et la période d’essai se calculera en fonction de cette durée minimum de la même façon que précédemment.

Une indemnité de fin de contrat mais pas toujours : En principe, il ne faudra pas oublier lors de la clôture du contrat de verser l’indemnité de fin de contrat généralement égal à 10% des sommes perçues par le salarié. Toutefois, la saison estivale est propice au recrutement d’étudiants en vacances scolaires et dans ce cas du CDD étudiant, l’employeur est exempté de cette obligation de versement (il existe d’autres cas de non versement de l’indemnité limitativement énumérés).

La charge psychologique de l’encadrant intermédiaire

Ces quelques lignes sont dédiées aux encadrants intermédiaires qui gèrent quotidiennement les intervenants à domicile. Loin de dénigrer le personnel de terrain, je souhaite simplement attirer l’attention sur ces hommes et surtout ces femmes qui sont tout autant au cœur service à la personne et de l’aide à domicile que le personnel de terrain lui-même. Le dernier CHSCT auquel j’ai participé est évocateur à ce sujet et notamment au travers d’une remarque du médecin du travail. Alors que l’on étudiait le stress au travail, le médecin du travail s’est permis de faire remarquer qu’il ne faudra pas oublier les encadrants sur lesquels pèsent une charge psychologique dont il faut avoir conscience et ne pas surtout pas mettre de côté.

La gestion des remplacements, au-delà de sa complexité technique due à la spécificité du secteur d’activité (public concerné, organisation du temps de travail spécifique, taux d’arrêt maladie plus important que la moyenne), relève parfois d’une véritable épine dans le pied de l’encadrant intermédiaire chargé de sa résolution. Il s’agit rarement d’une tâche considérée comme noble par le responsable de secteur surtout lorsque la gestion du remplacement prend le pas sur le reste du travail considéré comme plus intéressant et plus valorisant (évaluation à domicile, relation avec l’usager, transmission avec le salarié, résolution de conflit, autres taches des ressources humaines avec l’équipe encadrée…). La répétition de la tâche conduit dans l’esprit du responsable de secteur à une dévalorisation, se sentant bon qu’à s’occuper de planning et à gérer le remplacement d’intervenants à domicile dont PARFOIS (j’insiste) on a l’impression qu’ils perdent quelque peu de leur conscience professionnelle (je ne vais pas faire d’effort alors que je ne suis pas si malade que cela…). Il y a des arrêts dont on connait tous les causes, on ne va pas se le cacher : je n’ai pas pu accepter la demande de ma salariée d’avoir une journée pour la rentrée de ses enfants (qui soit dit en passant sont déjà bien grands…), elle est en arrêt maladie justement la semaine de la rentrée scolaire… pas de chance. Je n’ai pas pu légitimement accepter les congés payés de cette autre salariée car il a bien fallu choisir : elle est en arrêt maladie exactement à la période demandée en congés payés…

Une fois l’arrêt constaté et la frustration de devoir s’occuper de celui-ci tout en gérant les autres en cours, il faut bien trouver l’intervenant qui va aller intervenir à la place du salarié absent. Et il n’est pas rare de devoir interpeller plusieurs salariés (après avoir faire le tri de ceux qui sont disponibles) avant de pouvoir trouver l’intervenant qui ira faire la prestation. Cet enchainement de refus (légitime en ce que, dans le secteur non lucratif, la convention collective permet de refuser 4 fois dans l’urgence des interventions mais pas agréable à entendre à force…) est facteur de stress pour l’encadrant intermédiaire qui, ne faisant que son travail au service de l’usager en besoin immédiat, récolte parfois l’humeur explosive de l’intervenant que l’on dérange (l’intervenant qui parfois a juste titre se demande pourquoi encore moi ?). Certes, pour se préserver de cela, certains évoqueront l’astreinte avec ce pool d’intervenants prêts à intervenir au pied levé si besoin et ils auront raison. Mais tous ne le font pas faute de pouvoir l’inclure dans un budget présenté à des conseils généraux qui parfois ne prennent même pas en compte certains coûts de base pourtant réglementairement imposés aux structures (mais là c’est une autre histoire…).

D’autres solutions existent nécessairement tant au niveau du personnel de terrain qu’au niveau du personnel encadrant, des solutions organisationnelles, collectives et individuelles. Des solutions qui devront être liées aux contraintes humaines, temporelles et budgétaires. Mais, il n’était pas question aujourd’hui de les aborder ni de rentrer dans du fatalisme, mais simplement de montrer qu’au-delà de la gestion technique des remplacements avec ses outils juridiques, la position du cadre intermédiaire est loin d’être tous les jours évidente. 

Sébastien Charrière

Sebastien.charriere@laposte.net