par webmaster
Le 5 mars 2008, dans La Croix, une tribune signée Bernard Spitz, ancien directeur de la stratégie chez Vivendi Universal et gérant de BSConseil, intitulée "Une politique contre les jeunes".
Une tribune typique – elle reprend la plupart des stéréotypes âgistes sur le sujet – qui mérite quelques commentaires.
en noir , le texte de B. Spitz.
en rouge, les commentaires de membres de l’Observatoire de l’âgisme.
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Une politique contre les jeunes.
L’élection présidentielle de 2007 avait été marquée par
l’envie, à gauche comme à droite, d’un changement de générations. Le
pays voulait des responsables politiques capables de le remettre en
mouvement. Pour rétablir l’égalité des chances, rompre avec les
mauvaises habitudes de l’endettement et nous redonner collectivement
confiance en l’avenir.
Aucune étude, aucun travail, ne fonde ni n’étaye cette
affirmation selon laquelle ce n’est pas de responsables politiques
différents par leur programme ou leur compétence que les électeurs de
2007 voulaient, mais uniquement de plus jeunes.
Rien non plus ne permet bien entendu d’étayer cet autre stéréotype :
parce qu’ils sont plus jeunes, ils auraient donc des qualités que les
plus vieux n’ont pas pour « remettre la France en mouvement » et
« redonner confiant en l’avenir… »
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Moins d’un an après, pointent les premiers
renoncements. Parmi les plus préoccupants, la façon dont a été gérée
l’augmentation du minimum vieillesse. Pour être équitable et cohérente
avec ce qui précède, cette mesure aurait dû en effet respecter deux
conditions avant toute annonce : d’abord être financée, sans quoi elle
ne fera qu’augmenter le fardeau des jeunes générations ; et s’inscrire
dans un schéma d’ensemble de réforme du système des retraites.
Si elle n’est pas financée, cette mesure ne sera pas
prise. Si elle est financée, via le Fonds de solidarité vieillesse
comme l’a annoncé le gouvernement, son financement portera donc sur
l’ensemble des générations.
Les générations actuellement en activité, pour lesquelles ce serait
« un fardeau », profiteront demain ou après-demain de toutes ces
mesures qui visent à empêcher trop de personnes âgées de plonger dans
la pauvreté.
Rappelons que la mesure critiquée ici consiste à augmenter le montant
du minimum vieillesse (ASPA) de 5%. il passerait ainsi de 628 euros (50
euros sous le seuil de pauvreté) à environ 660 euros (20 euros sous le
seuil de pauvreté).
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Pourtant, la mesure a été annoncée publiquement, sans
respect de ces deux points. Pour une raison d’une simplicité
désarmante : le poids électoral des seniors à la veille des
municipales. Ce sont eux qui ont massivement porté Nicolas Sarkozy à
l’Élysée.
Le "poids électoral des seniors" est ici nettement
surévalué. Qu’environ deux-tiers des plus de 65 ans aient voté N.
Sarkozy ne signifie pas que N. Sarkozy ait été massivement élu par les
plus de 65 ans…
Rappelons que l’âge moyen des électeurs de S. Royal était de 46 ans
environ, celui ses électeurs de N. Sarkozy de 49 ans environ. Trois ans
ne font pas une hypothétique « France de vieux » contre une
fantasmatique « France de jeunes »…
Sur la question du "vote senior", voir cet article sur le site www.jerpel.fr.
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Compte tenu du vieillissement de la population et du
plus fort taux de participation des seniors au suffrage universel, les
plus de 60 ans ont et auront de plus en plus la clé du pouvoir
politique puisque leur nombre va doubler dans les quatre prochaines
décennies, quand celui des moins de 25 ans diminuera.
Même dans les années 2030-2050, où le nombre des
personnes de plus de 65 ans atteindra, baby-boom oblige, son plus haut
niveau, la majorité des Français auront moins de 50 ans.
Oui, les « seniors » votent plus que les « jeunes » : B. Spitz en arrive quasiment à le leur reprocher !
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Si chaque fois que les sondages faiblissent avant une
élection la seule solution est de séduire le troisième et le quatrième
âge, notre pays va entrer dans l’avenir à reculons.
Les « plus de 60 ans », jusque là qualifiés de
« seniors », deviennent désormais « le troisième et le quatrième
âge » ! Et « les jeunes » ne sont plus que les « moins de 25 ans »…
Quant aux seniors (sous entendu : ils pensent politiquement tous
identiquement), ils sont tels que tenir compte de leurs votes et
opinions ne peut que donner lieu à des politiques conservatrices,
réfractaires à l’avenir, au progrès…
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C’est tragique, d’autant que c’est faire insulte à nos
aînés que de penser qu’ils attendent qu’on les serve au détriment de
leurs enfants et petits-enfants.
Les aînés sont donc à la fois des profiteurs qui, par
leur vote, se font servir aux détriments des jeunes générations – comme
les paragraphes précédents l’ont prétendu – mais… c’est leur faire
insulte que de le croire !
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Car si les arbitrages se font désormais
systématiquement en faveur des plus âgés, les jeunes et les forces
vives de ce pays devront payer leurs retraites par capitalisation en
plus de celles de leurs parents par répartition, ils seront taxés sur
leurs revenus et leur consommation et ils subiront un déclin des
services publics.
Voilà donc ces « vieux » accusés d’être responsables
des retraites par répartition (qui empêchent les "forces vives" de
payer leurs retraites par capitalisation (sic)), des différents prélèvements sociaux et du « déclin des services publics » !
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Nos jeunes sont déjà assez sacrifiés, eux qui n’ont
déjà pas assez de logements, dont l’enseignement supérieur est
clochardisé, à l’exception des grandes écoles qui ne bénéficient qu’à
une minorité, et dont l’accès au marché du travail est le plus
difficile et le plus précarisé d’Europe. La proportion des jeunes en
dessous du seuil de pauvreté est de l’ordre de 14 % contre 4 % pour les
plus de 60 ans, alors qu’il y a trente ans c’était exactement l’inverse.
Oui, grâce justement aux décennies d’activité des
anciens et actuels retraités, les retraités d’hier et d’aujourd’hui
sont majoritairement sortis de la pauvreté.
Néanmoins, comme
l’indiquent les études de l’INSEE, 8,2 % des femmes de plus de 65 ans
vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le chiffre de « 4 % des plus de
60 ans » est donc plus que douteux. D’autant que, depuis 1997, la
pauvreté des « plus de 65 ans » augmente d’année en année.
Le taux de pauvreté des jeunes est en effet indigne d’un pays riche
comme le nôtre. Mais n’a rien à voir avec un quelconque mécanisme de
balance, où l’augmentation de la pauvreté des jeunes serait due à la
diminution de celle des vieux. Mécanisme qui n’existe pas et qui, ainsi
fantasmé, nourrit justement les conflits entre générations.
On notera au passage l’emploi du "nos jeunes" (s’opposant à "les seniors")
.
« Travailler plus pour transférer plus » : est-ce cela
que l’on propose au pays ? Attention, car les jeunes se rebelleront et
l’on aura alors une société durablement éclatée, avec des clivages
irréconciliables qui ne seront plus entre la gauche et la droite, mais
entre les générations.
Les seniors n’ont jamais demandé à vivre à crédit sur le dos des
générations futures. S’il est bien une cause pour laquelle la plupart
d’entre nous sont prêts à accepter des sacrifices, c’est bien pour nos
enfants et nos petits-enfants.
Étonnant raisonnement : l’auteur prétend vouloir éviter
un conflit entre générations tout en ne proposant de relations entre
elles que sous le mode du sacrifice : « les jeunes sont sacrifiés ; le
seul moyen que cela cesse est que les vieux se sacrifient pour eux. » !
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Encore faut-il que la politique joue son rôle :
expliquer, proposer et convaincre. Sinon, on se condamne à
l’impuissance et à la défiance générale entre générations. On le voit
déjà quand on interroge les Français en matière de retraite (sondage de
LH2 pour l’Institut de l’entreprise, réalisé en janvier 2007) : les
seniors sont favorables au recul de l’âge de la retraite, quand les
moins de 40 ans y sont massivement hostiles. Inversement, quand on
propose d’augmenter les cotisations des retraités les mieux dotés,
l’adhésion est forte chez les jeunes et le rejet massif chez les plus
de 65 ans. Si chacun défend ainsi égoïstement son terrain, la situation
sera bloquée.
Étonnante interprétation des résultats de ce sondage :
si les « seniors » étaient « égoïstes », comme le prétend B. Spitz, ils
seraient opposés au recul de l’âge de la retraite…
Ce sondage, pour autant qu’il soit représentatif (il a été élaboré par l’Institut de l’entreprise, un think tank
libéral), indiquerait simplement que les « seniors » sont prêts à
travailler plus longtemps mais considèrent qu’il n’y a pas de raison
pour que, de surcroît, leurs retraites diminuent !
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Il nous faut au contraire réinventer l’intérêt général
contre une dérive économique, politique et morale, qui met en péril
notre contrat social. En donnant trop aux retraités plutôt qu’aux
forces vives, après avoir financé le bouclier fiscal au profit de ceux
qui n’en avaient pas besoin, le gouvernement joue un court terme
dangereux qui porte le risque d’un futur conflit entre générations.
Les retraités, associés à des « forces mortes » à qui
« on » donne trop (l’emploi de ce verbe n’est pas anodin : les
retraites deviennent un don…), mettent ainsi en péril le « contrat
social » et « l’intérêt général ».
Responsables, coupables des maux économiques du pays, de la pauvreté d’un nombre importants de jeunes..
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Article typique, donc, basé sur des idées dépassées
(« 60 ans = 3e âge »), sur des stéréotypes âgistes (vieux =
réfractaires au progrès, conservateurs, etc.), entretenant ce qu’il
prétend combattre (ce sont soit les jeunes soit les vieux qui
sont/seront sacrifiés ; leurs intérêts ne peuvent jamais être
communs…), le tout sans jamais proposer d’autre piste d’action
politique (à part la lourde allusion aux retraites par capitalisation)
que le refus d’augmenter le minimum vieillesse et le souhait qu’on
cesse de « donner » aux retraités !
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