Exclusif : Cancers et Tchernobyl, un médecin corse accuse

Particulièrement
touchée par le nuage de Tchernobyl en 1986, la Corse affiche aujourd’hui le
taux record en France de cancers de la thyroïde. Le Dr Denis Fauconnier vient,
avec le cineaste-journaliste Jean-Charles Chatard, de démissionner d’une
commission réunie par l’Assemblée territoriale corse. Il proteste contre le
report aux calendes grecques d’une étude épidémiologique et d’un registre des
cancers. Coup de gueule.

Médecin généraliste en Haute Corse, le Dr Denis Fauconnier ne
décolère pas : la Corse a été l’un des territoires français les plus
touchés en 1986 par le nuage de Tchernobyl. Or la Corse détient aujourd’hui le
record de France des cancers de la thyroïde. Depuis 22 ans, il réclame avec
d’autres médecins, les élus et la population la mise en place d’un registre des
cancers et une étude épidémiologique des cancers de la thyroïde et autres
pathologies thyroïdiennes en Corse. La thyroïde est le « marqueur »
le plus fort d’une contamination radioactive.

« Nos travaux ont été torpillés »

Le 26 avril dernier, il a démissionné de la commission créée par
l’Assemblée territoriale de Corse. Cette commission tente vainement, depuis
deux ans, de mettre sur pied le cahier des charges de la future enquête
épidémiologique indépendante votée à l‘unanimité par l‘Assemblée Territoriale
Corse en 2006. Contacté par Bakchich« Je démissionne parce que le travail de cette
commission Tchernobyl fait l’objet d’un torpillage. Tout se passe comme si la
direction de la Collectivité territoriale corse freinait des quatre fers la
poursuite de nos travaux en espérant l’enlisement et la lassitude. »
.
Il poursuit : « Le registre des cancers réclamé depuis 22
ans ? Lors de sa venue en Corse en 2006 le ministre de la santé Xavier
Bertrand s‘était, devant les élus territoriaux, engagé à le créer ; deux
ans plus tard on a pas progressé, ce registre n’a jamais été mis en
œuvre ».
le 3 mai, le Docteur Fauconnier
accuse :

Cancers trois fois plus nombreux chez les hommes

Le 14 février dernier, le Dr Fauconnier et un autre médecin,
l’endocrinologue Laurence Gabrielli, avaient alerté les pouvoirs publics pour
la énième fois, rappelant qu’outre l’incidence record des cancers sur l’île, « l’on
constate une augmentation spectaculaire des affections thyroïdiennes
(thyroïdites, nodules, goîtres) »
.

Qu’en pensent les pouvoirs publics ? Personne ne conteste le
fait que la Corse détient le record de France des cancers de la thyroïde. Le
ministère de la santé lui-même reconnaissait en avril 2007 dans une réponse à
une question parlementaire : « La Corse, particulièrement touchée
par les retombées de l’accident (de Tchernobyl) et dont les taux de cancers de
la thyroïde se situent, pour les hommes, à un niveau trois fois supérieur à la
moyenne des autres départements étudiés »
.

Le dépistage n’explique pas tout

Mais cette surfréquence est-elle attribuable au passage du nuage
de Tchernobyl au dessus de la Corse ? C’est là que les avis divergent.
Pour le ministère de la santé (avril 2007) : « Les études
épidémiologiques menées par l’Institut national de Veille Sanitaire

(NDLR : agence sanitaire sous tutelle du ministère de la santé) ne
permettent pas de corréler l’augmentation des cancers de la thyroïde en France
à l’accident de Tchernobyl (…) Il semblerait que cette augmentation du nombre
de cancers de la thyroïde soit en partie liée à une modification des pratiques
médicales »
. En clair, il y a davantage de cancers parce que le
dépistage est meilleur.

Cet argument est contesté avec force par le Dr Fauconnier : « C’est
faux ! Ma fille, médecin, a fait une thèse sur 201 cancers de la thyroïde
survenus en Corse entre 1986 et 2005, sa conclusion est que 8% seulement de ces
cancers sont imputables à un dépistage précoce particulier. En d’autres termes,
il n’y a que 8% des cancers thyroïdiens qui sont des microcancers de découverte
fortuite sans manifestations cliniques »
.

10% de la population corse souffrirait de problèmes thyroïdiens

S’agissant donc du lien entre l’incidence plus forte des cancers
en Corse et la contamination due à Tchernobyl, il y a un fossé vertigineux
entre la position des pouvoirs publics et les observations des médecins corses
Fauconnier et Gabrielli. Selon la thèse officielle « l’InVS et l’IRSN
ont évalué en 2000 entre 7 et 55 cas supplémentaires de cancers de la thyroïde
attendus en France entre 1991 et 2015 du fait des retombées radioactives de
l’accident de Tchernobyl »
. Mais les auteurs de l’étude précisent que
ces projections sont à interpréter avec la plus grande précaution et que le
lien entre les cancers et la contamination due à Tchernobyl n’est en aucun cas
établi.

Fureur à nouveau du Dr Fauconnier : « Tout d’abord
ces chiffres concernent uniquement les personnes qui avaient moins de 15 ans au
moment de Tchernobyl. Et puis, surtout, ce que les médecins observent depuis 22
ans en Corse dans leurs cabinets est autrement plus inquiétant : en 1986,
5 cas d’hypothyroïdie néonatale ont été repérés en Corse, c’est 5 fois plus que
le nombre de cas attendus. Pour l’homme, l’incidence standardisée du cancer de
la thyroïde est 3 fois plus élevée que la moyenne nationale, c’est faramineux.
Nous observons un nombre croissant de pathologies, 10 % de la population
corse souffrirait de problèmes thyroïdiens »
.

Un très fort faisceau de présomptions

Et il poursuit : « Tout cela est reconnu et
officiel, nous sommes devant un très fort faisceau de présomptions dans la
relation de cause à effet entre les pathologies thyroïdiennes et les retombées
de Tchernobyl »
.

[…]

source et suite

Santé | lundi, 5 mai 2008 | par Philippe
Bornard

Pour en savoir plus, on peut consulter notamment

  l’étude de l’Institut national de veille sanitaire
(publiée en 2007) sur l« Evaluation de l’incidence du cancer de la
thyroïde en Corse à partir des données hospitalières, de l’assurance maladie et
des laboratoires d’anatomopathologie. Période 1998 – 2001 »