Manuel de direction en action sociale et médico-sociale
sous la direction de Francis Batifoulier
Je
conseille à toutes les personnes qui s’interrogent sur l’évolution du
management dans les structures sociales et médico-sociales d’acquérir et
de lire un ouvrage sorti en libraire il y a un mois, édité chez Dunod,
le Manuel de direction en action sociale et médico-sociale .
L’ouvrage est dirigé par Francis Batifoulier, directeur
d’établissements de protection de l’enfance, initiateur d’une rencontre
nationale, en mars 2011, des directeurs et équipes de Maisons d’enfants à
caractère social. L’homme est un habitué des ouvrages collectifs,
toujours intéressants, engagés, porteurs de propositions :
Ce
dernier livre, de près de 500 pages, est une mine, à la fois en termes
de pensée, de construction d’une vision, mais aussi par la
participation, outre F. Batifoulier, de nombreux auteurs très connus du
secteur, portant le courant « managérialiste » en action
sociale et médico-sociale, ou condamnant ses dérives, ou enfin niant sa
pertinence. Faisant partie de ces auteurs, j’y soutiens une approche
managériale fondée sur un engagement et la proximité, porteuse de
projets, j’y participe à la critique des dérives d’un management inadapté, dénonçant même un « managérialisme »
problématique. Je ne suis pas une exception : certes le réalisme de
certains auteurs les conduit à épouser avec volontarisme des formes de
management (issues du monde de l’entreprise ou du New Public
Management), mais la majorité creuse une troisième voie, vers un
management porteur de valeurs, épousant même une approche clinique de la
fonction de direction.
L’introduction de F. Batifoulier situe l’enjeu, diriger à l’heure « des grands basculements », liés aux évolutions extérieures politiques ou institutionnelles, et aux modifications qu’entrainera
« l’arrivée d’une nouvelle génération de dirigeants devant se hisser à
un niveau de complexité de gestion des structures peut-être jamais
égalé ».
La première partie de l’ouvrage : les dirigeants à l’épreuve des politiques publiques
Un
premier texte est proposé par Robert Lafore, professeur à Sciences-Po
Bordeaux, auteur de nombreux ouvrages sur le droit et les institutions
sociales. Intitulé « L’association, simple opérateur des pouvoirs publics ? Le fait associatif dans l’action sociale ». Il
analyse la tension, de plus en plus exacerbée, que vivent les
associations d’action sociale, initiatrices et opératrices, confrontées
aux mutations légales et réglementaires mettant en cause leur fonction
de médiation collective. Les trois propositions de l’auteur :
– La prégnance gestionnaire et standardisante des pouvoirs publics, évidente, en appelle constamment « aux capacités auto-normalisantes et auto-organisatrices des acteurs », laissant ainsi ces derniers en situation de toujours penser le sens de l’action. Elle laisse donc aux associations, « à condition d’échapper aux mirages managériaux », un espace « d’action pour redécouvrir leurs fonctions médiatrices ».
– Les associations joueront leurs rôles d’intégration collective « si elles revivifient leurs capacités d’invention et de créativité »,
avec une réflexion sur leurs structures (configurations internes,
positionnement vers l’extérieur), il y a un espace à conquérir qui est
celui de « l’appréhension collective du social ».
– Tout devrait conduire les associations à imaginer avec les pouvoirs publics un nouveau pacte.
Un
deuxième texte, savoureux, un des meilleurs de l’ouvrage à mon avis,
est proposé par Michel Chauvière, sociologue et directeur de recherches
au CNRS, auteur de nombreux ouvrages dont le fameux « Trop de gestion tue le social », critiqué dans mon blog en janvier 2008 et en septembre 2010. Intitulé « Le dernier des directeurs », son texte propose d’abord une typologie de directeurs : un premier ensemble dominé par la personnalisation
de la fonction (le directeur en majesté, le charismatique, le
technicien, le clinicien, le directeur par défaut), un deuxième ensemble
marqué par des dimensions plus fonctionnelles ou managériales assumées
(le directeur simplement gestionnaire, l’incubateur, le directeur
politique, l’ingénieur réseaux, le directeur général / chef d’entreprise
/ développeur). Il fait ensuite part d’une transition dans les
fonctions de direction : est petit à petit abandonné le modèle du
directeur dirigeant au profit du directeur manageant. Cette deuxième
partie, intéressante, désigne les influences externes sur le métier, la
démonstration n’allant pas au bout de l’intention présentée dans son
titre. L’auteur prolonge le propos autour de certaines « questions vives » : la verticalisation et la division du travail, l’évaluation comme « troisième directeur »,
la mort des petites structures. Je ne partage pas tous les contenus,
mais j’aime la construction dépassionnée et les apports nouveaux,
matière d’un futur ouvrage (*)… La conclusion est importante, l’auteur y
soutient la fonction de direction, comme forme d’art. Il ajoute même : « que vivent les artistes ! ». Merci Michel pour cet apport original.
Un troisième texte, est proposé par Michel Laforcade, ancien DDASS, actuellement directeur de l’Agence Régionale de Santé du Limousin, auteur d’ouvrages notamment sur la qualité et l’évaluation. « Quel devenir pour le secteur à but non lucratif à l’heure des ARS, des appels à projets, des regroupements de l’Europe ? ».
Le propos est relativement classique (les associations ont toutes leur
place, à condition de rester centrées sur des valeurs) et à l’image des
apports habituels de M. Laforcade, même s’il reste surprenant de la part
d’un directeur d’ARS.
Un quatrième texte, intitulé « Faire association entre associations », proposé par Gilles
Bouffin, directeur général de l’Association Moissons Nouvelles,
prolonge les propos antérieurs sur l’histoire et les défis des
associations de solidarité, traversées aujourd’hui par des doutes
identitaires, politiques et économiques, ou dans la relation avec
l’espace d’intervention, ou sur les plans organisationnels et
managériaux. Il propose des pistes d’avenir, ou de résolution des
doutes, autour de principes de coopération. Au-delà des enjeux
(politiques, économiques, culturels et managériaux), il propose des
repères pour des coopérations (évaluation partagée, intérêts réciproques
transparents, modes de fonctionnements rationnels).
Patrick Lefèvre, auteur notamment du Guide du métier de directeur en action sociale et médico-sociale (la troisième édition est parue en 2011), propose de penser « l’articulation entre utopie sociale, éthique professionnelle et efficience des organisations ».
Il regarde le secteur social comme une entité (je pense petit à petit
que cette entité est une fiction, utile à un certain moment, de moins en
moins pertinente à terme), marquée par l’utopie sociale. En son sein,
l’association occupe une place originale à la croisée de l’éthique et de
la compétence, le management, le projet, la démarche qualité étant des
dynamiques essentielles pour cela. Intéressant : il regarde les
approches nouvelles autour de la promotion des bonnes pratiques
professionnelles, de l’analyse des pratiques, avec un intérêt où percent
parfois des doutes : est-elle à la hauteur de l’innovation, bien
nécessaire ? Il décrit de la même manière des évolutions des modes de
direction, avec intérêt, mais également avec une mesure de risques non
négligeables, ceux de la non conciliation des identités plurielles des
associations « organisations d’humanité, de solidarité et de service à la personne et à la collectivité ». Je ne suis pas sûr qu’il soit optimiste…
Un sixième texte (« Enjeux d’avenir pour le secteur social et médico-scoial »), de Didier
Tronche, ancien directeur général d’un syndicat employeur (SNASEA)
aujourd’hui fusionné avec un deuxième au sein du nouveau syndicat
employeur du secteur, le SYNÉAS, qui avait notamment dirigé, avec M.
Chauvière, un ouvrage en 2002 intitulé « Qualifier le travail social ».
En intégrant les évolutions et le contexte de l’action sociale
(territorialisation par exemple), les évolutions des emplois et des
formations, besoins de compétences de professionnalisation (les acteurs)
et des organisations (des formes conventionnelles aux formes davantage
adaptatives ou stratégiques), il interroge le management futur des
ressources humaines dans les associations, avec des pistes précises,
concrètes.
Ma
seule interrogation à propos de cette première partie concerne la mise
en avant par la plupart des auteurs du modèle associatif, alors que 45 %
de l’activité en action sociale et médico-sociale est assurée par le
secteur public et le secteur lucratif marchand.
La deuxième partie de l’ouvrage : repenser organisation, stratégie, management
Ancien
éducateur spécialisé et directeur de structures sociales, auteurs
d’ouvrages présentés dans ce blog (voir ci contre), je suis l’auteur du
premier texte de cette 2ème partie, intitulé « Formes organisationnelles nouvelles, transformations des modes de direction : une histoire de poule et d’oeuf ». Difficile
de présenter avec objectivité mon propos, disons que je suis parti des
évolutions politiques et institutionnelles des 25 dernières années pour
le secteur social et médico-social, pour présenter les évolutions des
formes d’organisations des structures (notamment associatives mais pas
uniquement). J’insiste sur la fascination de la forme organisationnelle
ou idéale (et le temps énorme des managers stratégiques pour la mettre
en œuvre), mirage illusoire mais asséné comme une vérité intangible,
conditionnant l’adaptation au changement des acteurs de terrain et des
managers de proximité qui les encadrent. Je suis assez sévère sur cette
évolution en proposant des approches managériales construites sur « une rationalité finalisée ». Les lecteurs de ce blog seront habitués à ces propositions.
Le texte qui suit est écrit par Jean-René Loubat, psychosociologue et consultant (voir son site en cliquant ici), auteur prolifique qui a apporté beaucoup avec
ses premiers ouvrages (je pense notamment au livre sur le projet
d’établissement). Depuis quelques années, il prolonge ses thèses en
prônant ouvertement l’adoption de modes de gestion, de management, de
conduite des organisations directement hérités du secteur marchand,
souvent à partir d’une vision orientée : le secteur social et
médico-social n’aurait pas été en mesure, pendant longtemps, de
s’adapter au monde qui change. La mutation qui s’achève permet aux
structures sociales et médico-sociales d’être enfin, selon l’auteur, de
véritables prestataires de services, avec une modification des pratiques
dans le cadre « d’une relation de service » : cette dernière transforme la relation avec « un usager passif devenant un client actif », dans un secteur soumis à la concurrence, « l’entreprise de service social ou médico-social »
devant capter les besoins, situer son offre de service et la carte de
ses prestations, les professionnels devenant à terme des « coachs »
pratiquant « le coaching social » avec les usagers. Je dois
dire que, depuis longtemps, les apports majeurs, incontournables, de
J-R. Loubat sont masqués par cette phraséologie agressive, tant dans ce
qui est proposé en termes de pratiques d‘aujourd’hui et de demain que
dans la vision d’un secteur, longtemps demeuré hors des réalités, devant
vivre une « révolution galiléenne » (regardez la définition de
cette expression et vous comprendrez combien l’expression est
inadaptée). Dans cette construction, J-R. Loubat me semble en décalage
avec les autres auteurs de l’ouvrage.
Un
troisième texte de Daniel Guaquère, directeur de l’ANDESI, auteur
d’ouvrages sur la démarche qualité, évaluative et sur la fonction de
cadre. Intitulé « Stratégie territoriale et management »,
le texte présente un champ d’activité nouveau pour les directeurs : la
réponse aux enjeux territoriaux obligeant à prendre en compte des
théories et pratiques du management stratégique, en s’impliquant dans
les instances et la gouvernance territoriales, en développant à
l’interne des processus de décision et des modes d’implication des
professionnels.
Vient ensuite un texte proposé par Marcel Jaeger, sociologue,
un des auteurs les plus prolixes avec plus d’une dizaine d’ouvrages
(**), titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale
au CNAM, ancien directeur d’établissements médico-sociaux et
d’instituts de formation, membre de nombreux organismes du secteur (le
conseil supérieur du travail social, le conseil scientifique de l’Agence
nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et
services sociaux et médico-sociaux, l’Observatoire national sur la
formation, la recherche et l’innovation sur le handicap). M. Jaeger
avait préfacé mon Guide de l’évaluation en action sociale et médico-sociale en 2010 et, précisément, son texte aujourd’hui évoque « L’appropriation de la culture de l’évaluation ».
Il présente les résistances nombreuses, à réellement prendre en compte,
l’importance d’une acceptation des questionnements, avant de développer
une véritable pédagogie de l’évaluation et d’entrer dans un processus
actif, avec une philosophie (réaffirmation de la place prééminante de
l’usager) et des aspects pratiques, entre évaluation interne et externe.
François Charleux, directeur du Cabinet RH & Organisation (voir son site en cliquant ici), auteur également de nombreux ouvrages, apporte un complément
dans un texte intitulé « La fonction de direction face à l’évaluation
externe ». Le texte est limpide et je me retrouve complètement dans les
contenus : la nécessité de sortir des anathèmes pour penser les
évaluations dans deux domaines, d’abord la conformité de pratiques ou de
modes d’organisation à des obligations ou recommandations, ensuite
l’étude des activités et de leurs résultats ou effets. J’apprécie
également le propos sur la visée des évaluations externes, obligeant les
évaluateurs à une rigueur de recherche et de réponses, intégrant
l’articulation entre évaluation participative et évaluation managériale,
pour répondre aux enjeux et attentes des structures comme des autorités
de contrôle.
La troisième partie de l’ouvrage : la prise en compte des parties prenantes
Roland Janvier, directeur général de la Fondation Massé-Trévidy, également auteur (***) propose « La participation des usagers, nouveau paradigme pour la foncti on de direction »,
un texte précis, ouvrant de nombreuses réflexions éthiques. L’idée
d’une dynamique de contrat avec (et non de suppléance de) l’usager
induit un modèle de directeur ingénieur, à la fois dans la dimension
d’écoute, de construction d’un projet collectif, d’articulation entre
individuel et collectif. Un texte fort intéressant.
Joseph
Haeringer, sociologue et directeur d’association, auteur, revient sur
l’histoire des institutions du secteur social : construction sociale de
la solidarité et
logique publique isomorphique (la coopération avec les pouvoirs publics
comme moteur du développement des associations devenant le levier
actuel de leur instrumentalisation). Trois scénarios sont possibles
selon l’auteur : la continuité, le modèle du social business, une
nouvelle forme de régulation, sans tutelle, des associations. La
démocratie et ses multiples développements au sein des institutions sont
explorés dans l’optique du troisième scénario, avec son enjeu interne
et son enjeu sociétal.
La quatrième partie de l’ouvrage : l’exercice de la fonction de direction
« Diriger et manager une entreprise associative d’action sociale » est le premier texte
de cette partie, écrit par François Noble, cadre à l’ANDESI, ancien
travailleur social, et co-auteur de Fonction de direction et gouvernance
dans les associations d’action sociale (Dunod 2005). Reprenant le
propos d’un de mes articles sur la nécessité de fixer un cap et de
construire un chemin, F. Noble propose d’achever une transformation du
directeur en entrepreneur social, en interface entre la gouvernance
associative, la gestion de la complexité et du changement et l’action
d’une équipe de direction. Les multiples champs pratiques sont explorés
avant le soutien, bien intéressant d’un management de l’exigence et de
l’excellence.
Bertrand Dubreuil, sociologue, directeur de Pluriel Formation Recherche (voir son site en cliquant ici), auteur également de plusieurs ouvrages, explore
le thème de l’autorité du directeur. Il réalise un parallèle entre la
notion de contrat social dans toute démocratie (une transcendance,
autorisant néanmoins une violence légitime) et l’autorité d’un directeur
(l’autorisation de prendre des décisions, confiée au directeur, une
forme d’arbitraire, enserrée dans le droit pour éviter l’abus de
pouvoir). Le directeur, dans une certaine solitude, assume une
responsabilité arbitrale, avec des décisions fortement contraintes, sans
partage de responsabilités. « Choisir d’être directeur renvoie sans
doute au souhait d’une reconnaissance sociale, d’une influence
personnelle sur le cours des choses », « son autorité n’est sans doute
pas heureuse (…), mais c’est un devoir éthique ».
Le texte qui suit, « Gouverner dans la tourmente »,
est écrit par Jean-Daniel Elichiry, directeur d’une association
d’insertion sociale, ancien inspecteur à l’ASE, enseignant dans des
instituts de formation de cadres. Partant du contexte général
(individualisme contemporain corrosif, prolifération des urgences,
progression du marché dans l’action sociale), il pose les éléments
principaux d’interrogation des associations de solidarité : pertinence
du projet politique de transformation sociale, pertinence de la
transformation des institutions vers le modèle « panier de services ».
Il propose de développer la fonction de direction vers des axes de
travail : assumer la complexité des organisations par l’attention à la
clinique et le pilotage éveillé, l’attention à l’urgence de prendre le
temps dans un contexte de temps accéléré, une autre façon de manager par
la gouvernance supposant coordination et implication des acteurs dans
des projets collectifs.
Dans le prolongement, F. Batifoulier propose de redéfinir « un modèle alternatif de gouvernement des associations »,
autour de la gouvernance clinique et sociale. Il définit d’abord le
concept de gouvernance : changement de style dans le mode de
gouvernement et de gestion, intégrant l’expression de la pluralité des
acteurs concernés par un programme, une politique ou une décision,
intégrant la coopération et la recherche de la confiance. La gouvernance
suppose : des processus de décisions structurés par un pilotage, la
lisibilité des instances décisionnelles (dans une association le niveau
politique). Penser ensemble, développer des projets collectifs entraine
une tension démocratique et une nécessaire différenciation des places de
chacun. D’où la mise en avant du concept de gouvernance clinique et
sociale : un projet social situant le bénéficiaire comme acteur, citoyen
et usager, une démarche clinique visant à lui restituer sa position de
sujet. Il me semble que l’idée de base (gouvernance clinique et sociale)
est vraiment intéressante, mais encore insuffisamment explorée dans ce
texte.
La cinquième partie de l’ouvrage : de la clinique à l’éthique
F.
Batifoulier prolonge son écrit précédent en travaillant la position des
directeurs face à la question clinique. Il part d’un propos très
pessimiste : les institutions en déclin, dépassées parfois par les
pathologies de sujets qui se métamorphosent, devant donc (challenge bien
difficile !) reconfigurer les organisations. Réinventer la vie
collective et refaire de l’institution, voilà l’enjeu selon F.
Batifoulier, supposant de pratiquer une clinique institutionnelle et de
penser cliniquement l’institution. Pour cela, il propose de développer
des lieux où l’on se parle, où l’on pense les pratiques, où l’on
construit collectivement le sens des évaluations, où l’on donne du
contenu à la notion de participation, où les processus de décision sont
mis en œuvre dans le respect de la différenciation des places,
Brigitte Bouquet, assistante sociale, enseignante, professeur
émérite à la chaire de travail social et d’intervention sociale au
CNAM, auteur de très nombreux ouvrages et articles, apporte dans un
écrit intitulé « De l’éthique des dirigeants » une réponse
détaillée à la question éthique, dans un contexte de rationalisation et
de réformes successives en action sociale et médico-sociales. L’éthique
est mise en tension. L’auteur part des définitions de l’éthique (de
conviction, de responsabilité, de discussion – ce troisième champ,
défini par J. Habermas étant souvent oublié dans les propos de nombreux
penseurs de l’éthique) et en propose des modes de concrétisation. Elle
met ensuite en avant un nouvel « humanisme organisationnel » :
un management qui assume des valeurs, une recherche de performance qui
admet la complexité, une autorité différenciée du pouvoir, ancrée dans
des compétences et capacités, une gouvernance digne (action commune,
intelligence collective, instances claires), une ouverture. Elle va
encore plus loin en affirmant la place des usagers et donc la nécessité
de :
– Lutter contre la dominance du management,
– Accepter une ouverture aux risques,
– Revoir la conception de l’usager (un sujet),
– Replacer le symbolique au cœur des actions,
– Sauvegarder et défendre l’approche clinique,
– Faire « une approche par les capacités »
(reprise des thèses d’Amartya Sen, prix Nobel d’Économie en 1998,
faisant référence à l’appui sur la capabilité des personnes
accompagnées, sur la détermination des objectifs avec ces dernières)
– Lier clinique et management.
Jean-Marie Miramon, ancien directeur d’établissements et d’associations, enseignant
dans de nombreuses formations de directeurs et de cadres du social,
auteur de nombreux ouvrages, apporte, avec la faconde et la chaleur que
beaucoup lui connaissent, son propre regard à ces questions. Il rappelle
d’emblée que dès le début des années 1990, il affirmait qu’être
directeur était un métier, se heurtant alors « aux historiques » pensant
que c’était un « mal nécessaire ». Il propose de revoir les 3
dimensions du métier : technique, stratégique, intime. A partir du
couple pouvoir-autorité, il explore la question de l’intime, zone
nécessaire, zone aveugle, zone cachée, zone inconnue même parfois. Il
insiste pour que chaque directeur travaille sur lui-même pour pouvoir
vivre et faire vivre l’exercice du pouvoir, en gérant le temps et la
distance. Il conclut, face au pessimisme ambiant, par les raisons de son
optimisme. Un propos qui revigore, mais ce n’est pas étonnant quand on
connaît J-M. Miramon.
Jean-François Paturet, co-auteur d’un ouvrage avec JM. Miramon, enseignant en sciences humaines et psychanalyse à l’université, prend le relais dans un texte intitulé « Afin que vous ne trébuchiez pas ». L’analyse est concordante avec de nombreux propos antérieurs, et j’ai aimé trois méditations : « Le
grand duc est nu ou la croyance du pouvoir », « le chef a perdu la tête
ou la compétence en question », « le directeur figure du renard et du
lion ». C’est intéressant…
Le
dernier chapitre est le plus intéressant, à ne pas rater ! Il est écrit
par Eric Fiat, philosophe, professeur à l’université et auprès de personnels hospitaliers,
auteur de nombreux articles, d’ouvrages qui marquent par la dimension
littéraire, la narration d’histoires de vie et la poésie. Écouter Éric
Fiat est un vrai bonheur, le lire est un transport : de La Fontaine et
la fable des rats (face au danger du chat Rodilardus, ils délibèrent
mais n’exécutent point), à l’exposé des risques d’aporie dans la
résolution de dilemmes au moment d’une nécessaire décision, Éric Fiat en
appelle à Aristote pour penser la bonne décision. Trois risques majeurs
ont auparavant été détaillés comme fausses solutions (l’esquive, la
tragédie, l’obstination). Ils permettent encore davantage de mesurer les
louanges d’Aristote : chercher la juste mesure, faire s’opposer les
vertus les unes aux autres, agir toujours à propos, équilibrer en soi le
raisonnement et l’intuition. Quatre étapes d’un chemin qui font espérer
l’auteur, à l’instar de La Fontaine, que « ce chapitre ne se sera pas pour néant tenu, et que quand il sera besoin d’exécuter… on rencontre quelqu’un »… Un directeur ?
Merci
Éric pour ces conclusions merveilleuses dans un ouvrage majeur pour les
directeurs et les acteurs de l’action sociale et médico-sociale.
Daniel GACOIN
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