Du casse tête RH dans l’aide à domicile

Auteur : Sébastien CHARRIERE

Le monde de l’aide à domicile pour le gestionnaire du personnel que je suis est un monde très enrichissant et formateur mais également terriblement frustrant. La conciliation entre la nécessité d’assurer la continuité du service, la satisfaction du client, les nécessités financières et la gestion des salariés intervenant auprès d’un public fragile ne facilite en effet pas la tache.

La nécessité d’assurer la continuité du service est évidemment un principe de base de toute structure d’aide à domicile intervenant auprès d’un public fragilisé. La personne en perte d’autonomie souhaite rester à son domicile en étant le plus autonome possible et en gardant autant que faire se peut des habitudes de vie conformes à son projet de vie. De quoi aurait-on l’air si à longueur d’année nous communiquons sur la valeur ajoutée d’une structure par rapport à du gré à gré (« que faites-vous en cas d’arrêt maladie de votre auxiliaire de vie payée en CESU ? »), si derrière nous n’assurons pas une continuité de service à nos clients/usagers/patients ?

Aujourd’hui, la modulation, système d’organisation du travail permettant à une structure d’aide à domicile de moduler le travail d’une intervenante en fonction de l’activité mensuelle (la salariée touchant chaque mois le même salaire avec une régulation à la fin de la période de modulation si elle a travaillé en moyenne plus que le nombre d’heure inscrit à son contrat de travail), permet normalement d’assurer cette continuité du service. Votre intervenante ne peut pas intervenir ? Pas de problème, je vous propose de vous en envoyer une autre qui fera quelques heures de plus sans aucun problème. Sans aucun problème ? Après analyse plus approfondie, il s’avère que finalement, cela ne va pas sans poser problème mais cela ne va pas être le problème de la personne aidée, ce qui est tout à fait normal cela dit. J’ai des salariés disponibles aux créneaux horaires qui vous concernent mais il s’agit de leur jour de repos. D’autres sont en indisponibilités, je peux toujours leur demander de travailler, ce qui ne m’est pas interdit, mais elles peuvent toujours refuser. D’autres intervenantes encore ont atteint le maximum de leur cumul autorisé et mon flux continu de salariés en arrêt de travail ne me facilite pas du tout les choses. Mais encore une fois, ce n’est pas votre problème et vous avez raison. Malgré tout, vous êtes en perte d’autonomie, nous intervenons pour des actes essentiels de la vie courante et il faudra bien qu’une auxiliaire de vie vienne puisque nous sommes une structure et que nous vous avons convaincu de venir au nom de la continuité du service que nous prêchons !  Lorsque personne est disponible pourquoi ne pas faire appel à un contrat à durée déterminée alors ? Un contrat à durée déterminée (CDD) ne se conclut pas à la légère. La loi limite strictement ces cas de recours et, malheureusement (ou pas), le secteur de l’aide à domicile n’est pas autorisé à recourir aux CDD dits d’usage (secteur où il est usage de recourir aux CDD sans avoir à avancer une quelconque raison). Bon, finalement, avec le flux d’arrêt maladie que l’on connait, on peut parfaitement recourir à un CDD de remplacement et s’arranger avec ce CDD en attendant (notons tout de même que ce CDD coûtera puisqu’à moins de recruter un étudiant pendant ses vacances scolaires une prime de précarité devra être versée en plus du salaire mensuel et des indemnités des congés payés).

Si je n’ai aucun outil juridique à ma disposition, vous pouvez toujours me dire effectivement, je peux tenter de m’arranger avec un autre client qui bénéficie d’une prestation de "moindre importance" telle une aide au ménage pour reporter la prestation afin de faire intervenir l’aide à domicile sur la prestation essentielle de la vie courante. La continuité du service ne sera pas entachée pour le client chez qui on a reporté l’intervention ménagère, ce qui ne sera très certainement pas le cas de sa satisfaction…

La satisfaction du client. Dans un contexte non concurrentiel, l’obligation du service d’aide à domicile est d’assurée la tache à accomplir professionnellement dans le respect de la personne, de la déontologie et de la continuité du service. Notre souci ne devrait pas de satisfaire un client sur des désirs tel que l’âge de l’intervenante ou la couleur de ses cheveux ou de sa peau ou encore de la marque du parfum qu’elle met pour aller travailler. Qu’en est-il de la salariée qui sent la cigarette perpétuellement ? Il ne fallait pas l’embaucher certes. Mais le fait est qu’elle est là, qu’elle était présentable et sentait bon la marguerite à l’embauche et 20 ans après est devenue une fumeuse invétérée. Le client n’en veut plus. Un autre non plus. En tant que personne, je comprends aisément cela, d’autant que lorsque l’on travaille auprès des personnes, qu’on les touche, qu’on reste avec eux un certain temps dans leur domicile, leur environnement et qu’une odeur de cigarette peut vraiment indisposer. Mais en tant que responsable du personnel, quel outil juridique concret est en ma possession ? En dehors d’entretien avec la salariée, j’entends. D’outil juridique formel qui me permettrait de solutionner le problème car plusieurs clients ne veulent pas d’elle ? Pensez-vous que si je sanctionne disciplinairement ou licencie cette salariée, j’aurais de solides arguments pour justifier au juge ma position ? Je vous laisse cette question à votre réflexion.

Certains clients aimeraient également avoir leur intervenante favorite 7 jours sur 7 et ne pas être gênés à chaque fois que celle-ci prend des congés (pour quelle raison les prend elle d’ailleurs ? qu’a t’elle d’autre à faire que de s’occuper des personnes dont elle a la charge, son métier n’est-il pas un sacerdoce ?). Bien heureusement, la législation sociale interdit de faire travailler nos salariés 7 jours sur 7 et, les aides à domicile (tout comme nous) ont bien besoin de leurs semaines de congés payés durement méritées. Le droit social est parfois un empêcheur de tourner en rond, n’en déplaise à nos usagers.

La gestion du personnel de l’aide à domicile doit également concilier, plus encore ses dernières années, avec des impératifs financiers. Gérer le personnel consiste évidemment à prendre considération le coût de ses choix sur le budget général de la structure. Comme je l’évoquais plus haut, il est certain qu’un CDD étudiant me couterait moins cher en raison de l’absence d’indemnité de précarité. Choisir de jouer au maximum avec la modulation afin de prendre le moins de CDD possibles est également un élément non négligeable. Toutefois, depuis quelques temps, de nouveaux éléments entrent en compte, notamment pour les associations d’aide à domicile, le secteur privé à but non lucratif. En effet, ces dernières vivent des temps très durs notamment à cause du durcissement des aides versées auprès des personnes en perte d’autonomie et plus particulièrement pour le moment à propos des personnes âgées. Ce durcissement impose au gestionnaire du personnel une vigilance plus accrue dans l’élaboration des plannings réalisés par les responsables de secteur, dans la gestion des remplacements et dans la répartition du travail entre les aides à domicile dans le calendrier. Un exemple : depuis le 1er janvier 2012, le secteur privé à but non lucratif s’est vue imposer une nouvelle convention collective de branche qui prévoit de rémunérer les aides à domicile à hauteur de 45% du taux horaire (contre 25% du salaire médian auparavant) les dimanches et jours fériés. De nombreuses structures ont rapidement revu l’organisation des plannings afin d’éviter que des salariés avec un trop gros coefficient viennent à travailler ces jours là. Avec à la clef, des incompréhensions : les salariés concernés appréciaient la valeur ajoutée pécuniaire du travail des dimanches et jours fériés, les usagers ne comprennent pas qu’on leur enlève une auxiliaire de vie qu’ils appréciaient…

Passionnant mais terriblement frustrant…

Sébastien CHARRIERE

sebastien.charriere@laposte.net