Les deux qualités en aide à domicile
Qualité de l’organisation et qualité de la prestation en aide à domicile
Pour qui suit l’actualité du secteur de l’aide à domicile, les difficultés financières sont mises en avant. Mais, tout ne dépend pas de l’argent public pour le maintien et le développement des structures (majoritairement associatives) du secteur de l’aide à domicile aux personnes dépendantes et fragilisées. La qualité de la prestation est essentielle. Quand une prestation donne un supplément de qualité de vie aux personnes aidées elle peut durer plus longtemps : évitement de placement, etc. Dans la cadre des diverses démarches « qualité » il y a la nécessité de travailler sur une ingénierie de l’intervention auprès des personnes dépendantes à leur domicile qui permette la mise en place de méthodes de travail destinées aux encadrants intermédiaires et aux intervenants structurant une prestation qui aura des chances d’apporter un supplément de qualité de vie aux usagers.
La difficulté de la mise en place de méthodes spécifiques réside dans le fait que la prestation se déroule dans un huis-clos. Un nombre très infime de dirigeants des structures a vécu le quotidien de l’accompagnement professionnel auprès des personnes dépendantes. De plus, les démarches qualité mesurent, en suivi de prestation, la satisfaction des usagers au lieu de prendre en compte des éléments de changement liés à la qualité de vie apportée grâce à l’intervention. C’est là qu’il est urgent de distinguer de manière fonctionnelle la qualité de l’organisation et la qualité de la prestation.
En tant que formateur, il y a quelques années, après avoir entendu des aides à domicile désabusées et démotivées par le métier, j’ai voulu comprendre les sources de cette lassitude professionnelle en accompagnant des aides à domicile chez des personnes aidées. Les aides à domicile les plus démotivées étaient dans le « faire ». Ce « faire » était très répétitif (des tâches étaient répétées tous les jours sans se poser des questions… ) et le lien aux personnes aidées était déconnecté des préoccupations de leur qualité de vie au quotidien. Ce lien posait souvent des problèmes d’éthique professionnelle : pour créer un lien aux personnes aidées, plusieurs aides à domicile racontaient leur vie chez la personne aidée. Quand des aides à domicile s’intéressaient aux personnes aidées, c’était plus à leur passé qu’à leur présent ! En clair, personne n’avait expliqué à ces équipes d’aide à domicile que la base du métier était l’écoute des habitudes de vie et des capacités (restantes) des personnes aidées. On faisait le travail, (essentiellement ménager) et on causait après !
Ces constats ont permis de mettre en œuvre des méthodes de travail utilisables dès les premiers contacts par les encadrants intermédiaires et les intervenants. Le travail à réaliser par chacun des partenaires d’un service en lien avec les personnes aidées prend en compte au maximum les habitudes de vie et les capacités des personnes aidées. Des questions simples sont posées aux personnes aidées sur leur quotidien et ainsi, les liens se tissent autour de ce qui peut contribuer à donner aux personnes aidées plus de confort de vie que ce qui était attendu à priori. Ces procédures basées sur les capacités (restantes) et les habitudes de vie quotidiennes prolongent les évaluations réalisées pour le plan d’aide et peuvent s’inclure dans les diverses procédures traditionnelles en les allégeant. Ecouter les habitudes de vie et les capacités des personnes aidées n’est pas forcément évident, il faut apprendre aux encadrants et aux intervenants à le faire. Cette écoute et prise en compte des éléments de la vie quotidienne des personnes aidées amène à la mise en place de l’ «évaluation active » des actions réalisées lors des premières interventions. Ce regard à deux sur le travail fait crée une « relation d’aide active » qui débouchera sur des « activités partagées » avec les personnes aidées. Le lien aux personnes aidées est connecté aux actions à réaliser et réalisées. Et c’est ce lien particulier aux aides à domicile qui donne un plus de qualité à la vie quotidienne à des personnes fragilisées. Quelques lignes ne suffisent pas à décrire les protocoles, mais il existe bel et bien un enchaînement entre ces procédures utilisables pour les toutes premières interventions.et la mise en place sur le moyen et long terme d’activités partagées entre les aides à domicile et les personnes aidées. Depuis la mise en place des outils de la loi du 2 janvier 2002 et la mise en place des démarches qualité, des pages entières de documents sont lues ou laissées aux personnes aidées, elles expliquent le fonctionnement du service et les prestations. Les pages de papier sont vite oubliées et les meilleures explications du métier se trouvent dans le comportement professionnel commun aux encadrants intermédiaires et aux intervenants.
Dans les services d’aide à domicile, une grande majorité de personnes aidées sont de dépendance moyenne et des personnes en dépendance lourdes ont encore des capacités restantes. Ecouter les capacités restantes n’est pas le premier réflexe des intervenants en aide à domicile. Or les questions des capacités restantes doit amener des réponses positives et enrichir les plans d’aide par des projets d’activités partagées. Ces activités partagées sont une déclinaison concrète de la stimulation qui figure sur des plans d’aide. Seules des personnes dépendantes très lourdes et certaines formes de refus d’aide à l’autonomie empêchent la mise en place d’activités partagées.
Le défi des services d’aide à domicile aux personnes dépendantes est donc de travailler en «activités partagées » avec les personnes aidées. Des difficultés économiques sont indéniables, mais toutes les difficultés ne dépendent pas de l’argent public. Le travail en activités partagées permet de réduire une part des pénibilités physiques et psychologiques du métier. La motivation des encadrants et des intervenants est augmentée.
La qualité de l’organisation est essentielle : documentation claire et courte, efficience administrative… Le concept de satisfaction, du même nom que le questionnaire, peut valider auprès des usagers ou de leurs représentants légaux l’efficience administrative.
La qualité de la prestation par la prise en compte de la qualité de vie permettrait d’abandonner le concept de satisfaction par le concept de changement. L’essentiel est de centrer les questions des procédures qualité liées à l’intervention par la question très simple et posée directement aux personnes aidées. La question centrale est la suivante : « Qu’est que cela change pour vous d’avoir quelqu’un dans votre domicile ? ». Cette question permet un centrage sur la personne aidée sur un plus ou un moins de qualité de vie après le début de l’intervention.
Pour résumer, les tous premiers contacts basés sur une prise en compte opérationnelle des capacités et habitudes de vie donnent le ton pour des années d’accompagnement. Les changements opérés suites aux prestations concernent la personne aidée dépendante et son entourage. Ils concernent l’entretien du domicile, le relationnel et le confort physique de la personne aidée. Pour une prise en compte des changements apportés à la qualité de vie un encadrant intermédiaire pourrait visiter chaque personne pendant une heure environ toutes les cent heures d’intervention. Impossible à mettre en œuvre par manque de moyen ? Surement pas. Le temps passé à travailler autour d’une ingénierie de l’action autour des activités partagées permet d’éviter des refus d’aide, des conflits…
Depuis quelques années, la plus part des hébergements de personnes âgées dépendantes mettent en œuvre des stratégies collectives plus respectueuses des personnes dépendantes : elles se concrétisent par des comportements professionnels nouveaux. Dans beaucoup de services d’aide à domicile, on affiche faire de la qualité une priorité, mais dans le huis-clos des domiciles, des personnes aidées fragilisées sont souvent résignées face à des multiples petites carences liées aux méthodes de travail des intervenants : encadrants intermédiaires et aides à domicile.
Mettre en place une ingénierie de l’intervention aux domiciles doit être une priorité pour les services d’aide à domicile. Le « temps perdu » par les encadrants intermédiaires aux domiciles des personnes aidées se rattrape facilement. Ces temps de présence réguliers des encadrants aux domiciles, l’attention des aides à domicile aux capacités et habitudes de vie des personnes aidées permettent de sortir des bientraitances auto-proclamées qui peuvent s’avérer des maladresses à l’encontre des personnes fragilisées. Il est possible d’éviter des refus d’aide, des attitudes agressives des personnes aidées par un centrage des équipes sur les capacités et habitudes de vie des personnes aidées.
Pour se résumer, l’ingénierie de l’aide aux personnes dépendantes se résume autour de 3 temps :
– Avant la première intervention et pendant les 5 – 6 premières prestations, la priorité est mise sur la prise en compte des habitudes de vie et capacités des personnes aidées
– Au bout de 5 – 6 prestations, un point est fait au domicile par un encadrant intermédiaire. C’est à ce moment là, que les personnes aidées intègrent au mieux les explications sur les prestations et que la mise en place d’activités partagées peut être formalisée
– Lors des évaluations régulières aux domiciles (tous les 6 mois, tous les ans…), les personnes aidées sont directement interrogées sur les changements apportés par la prestation. Ces changements sont et peuvent être matériels (entretien du domicile…), moraux (communication dans le cadre d’activités partagées…) et physiques (confort physique dans le cadre de l’aide aux actes essentiels…). L’interrogation sur le changement concerne aussi les aidants naturels des personnes aidées.
Cette ingénierie spécifique permet de sortir d’un double sentiment de fatalité souvent constaté :
– Fatalités ressenties par les gestionnaires et intervenants : « Notre travail n’est pas reconnu… »
– Fatalités ressenties par les personnes aidées et les aidants naturels : « Les aides à domicile, on ne peut pas compter sur elles… »
La mise en place d’une ingénierie spécifique ne se décrète pas. Les dirigeants doivent s’organiser pour porter un réel intérêt à ce qui se passe dans les domiciles. A partir de là, des plans d’action et de formation permettent de travailler progressivement sur des méthodes de travail spécifiques.
René Raguénès, formateur
Pour plus d’informations: http://rene.raguenes-1.pagesperso-orange.fr
Commentaires récents