La problématique liée à la durée minimale d’intervention dans l’aide à domicile associatif
Auteur : Sébastien CHARRIERE
La convention collective de branche (CCB) de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile du 21 mai 2010 (applicable depuis le 1er janvier 2012) prévoit que « la durée minimal de l’intervention doit permettre la faisabilité de celle-ci afin d’assurer, dans le respect des recommandations officielles en matière de bientraitance, aux usagers une qualité de services et aux salariés de bonnes conditions de travail. La question de la durée minimale d’intervention fait l’objet d’une consultation du comité d’entreprise ou à défaut des délégués du personnel, s’ils existent, au moins une fois par an ».
Cet article, qui n’était pas prévu à l’origine, est le fruit de revendications très fortes de la CFDT et de la CGT sur une durée minimale d’intervention. Il y avait une véritable volonté des représentants syndicaux de protéger les conditions de travail des aides à domicile en empêchant la possibilité pour les employeurs de les faire travailler au lance-pierre, situation entrainant ainsi de la maltraitance pour les usagers et un stress important pour les salariés. La CFDT avait proposé que les interventions aient une durée minimale, hors temps de trajet, d’une heure continue pour les actes essentiels à la vie courante et d’une demi-heure dans les autres cas. Pour les représentants employeurs, il n’était évidemment pas question de maintenir une telle durée minimale, mais sensible à cette question, les employeurs ont souhaité intégrer une disposition précisant que l’intervention doit permettre au salarié d’intervenir dans des conditions permettant la faisabilité de l’acte prévu.
C’est ainsi, qu’aujourd’hui, les structures soumises à la CCB sont invitées à vérifier que chacune des interventions permettent d’assurer à l’usager le respect de sa bientraitance et de la qualité de services conformes aux prescriptions et au salarié le respect de ses conditions de travail. Pour s’assurer que la question soit régulièrement posée au sein de la structure, la CCB prévoit que les employeurs doivent faire le point au moins une fois par an sur la question de la durée d’intervention avec les instances représentatives du personnel (IRP). Toutefois, aujourd’hui, en pratique, qu’elle est la véritable marge de manœuvre des associations à ce sujet ?
Prenons un territoire d’intervention lambda sur lequel interviennent plusieurs formes juridiques de structures d’aide à domicile agréées et/ou autorisées. L’association qui lors de sa première consultation auprès des IRP aura estimé qu’elle ne devait raisonnablement pas descendre sous les 45 minutes pour un acte essentiel à la vie courante pour accorder de bonnes conditions de travail à ses salariés et ne pas entrainer de la maltraitance involontaire chez l’usager, aura assurément joué le jeu. Le financeur présente un plan avec des passages de 30 minutes qu’il demande à l’association d’accepter ou non. Le responsable de secteur négocie des passages de 45 minutes auprès de l’usager en justifiant de compléter par un financement personnel 15 minutes supplémentaires par une meilleure qualité, plus de faisabilité, de la bientraitance ou une amélioration des conditions de travail du salarié (et donc d’augmentation du taux de présence de ce dernier suite à la baisse du nombre d’arrêts maladie). Sauf que ce même usager aura lu dans la presse locale qu’une autre structure propose des interventions de 20 minutes. Combien de temps l’association ayant choisi de limiter la durée des interventions à 45 minutes pourra-t-elle tenir sa position avant de se rendre compte que le financeur lui propose de moins en moins de plan d’aide ? Car le financeur, que l’association aura tenté de convaincre que dans tel ou tel dossier, il n’est pas possible de descendre en dessous de 45 minutes, va forcément s’interroger sur la capacité du concurrent à faire 30 minutes, là où justement lui a déterminé qu’il faut 30 minutes pour intervenir. Car l’usager, qui ne comprend pas pourquoi l’association lui demande de compléter de sa poche, là où la structure concurrente le fera sans problème, s’interrogera sur une volonté détournée de l’association de vouloir le faire payer plus pour s’en mettre plus dans les poches.
La question de la durée minimale d’intervention est extrêmement frustrante : les exigences de bientraitance de l’usager et des conditions de travail des salariés conduisent nécessairement à se poser la question mais la pratique des plans fractionnés avec un temps donné pour chaque acte (10 minutes un repas, 5 minutes une élimination, 10 minutes un habillage…) entremêlée à la question de la survie d’une structure et de la concurrence sur le territoire semble rendre le débat inextricable. Il n’aurait pas été possible de suivre la proposition de la CFDT tant on voit la pratique d’intervention au quart d’heure se développer et d’un autre côté la rédaction de cet article de la CCB conduit tout simplement dès lors qu’on arrive à le justifier à diminuer encore et toujours les temps d’intervention poussé en cela par les plan d’aide qui affluent en ce sens. La réflexion et les expérimentations sur le financement au forfait apporteront-ils une solution satisfaisante à ce dilemme…
Sébastien Charrière
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