Auteur : René RAGUENES
Des prestations s’arrêtent, notamment, de manière brutale quand la personne décède et qu’elle a beaucoup d’heures. Ces fins de prestation sont rapides, brutales, visibles, déroutantes… et un très « gros dossier » (GIR 1 et beaucoup d’heures) peut être au mieux instantanément remplacé par une personne aidée classée G5… Le nombre d’heures perdu n’est pas remplacé, du moins sur le moment. Ces pertes d’heures que nous nommerons : « pertes visibles » d’heures. Elles compliquent la gestion humaine et financière des services.
Au-delà de ces phénomènes tout à fait visibles, il existe aussi des pertes d’heures beaucoup moins spectaculaires. Nous les appellerons : « pertes invisibles » d’heures. Ces pertes d’heures quasi invisibles ont pour origine trois types de situation. Premièrement, les aides à domicile et les responsables de secteur constatent un besoin d’augmentation du nombre d’heures de prestation. La personne aidée, alors qu’une révision du plan d’aide pourrait être effectuée, refuse d’envisager d’avoir des heures en plus : les arguments sont souvent de l’ordre du déni de besoin : « Je me débrouille comme cela… ». Il n’est pas possible de recueillir plus d’éléments. Deuxièmement, la prestation s’arrête pour un autre service, dans cette situation, il n’est pas forcément aisé de savoir ce qui a suscité l’arrêt de la prestation. Troisièmement, la personne aidée part en maison de retraite alors qu’elle aurait clairement pu rester à son domicile. Les initiatives de ces pertes de prestations peuvent venir des personnes aidées elle-même ou de leurs référents familiaux : les enfants… Ces pertes invisibles d’heures peuvent aussi avoir des motivations financières, mais, pas seulement !
D’une manière globale, pour les responsables de services, il est une question intéressante à se poser : Les personnes aidées que nous aidons sont aidées sur quelle durée et quelle quantité d’heures ? Cette question a pour objectif, indépendamment du contexte de l’évolution des prises en charge, de cibler la fidélisation des personnes aidées sur la durée. On peut dire que l’important n’est pas d’avoir beaucoup de personnes aidées, mais d’être véritablement capable de les accompagner sur la durée. Ces chiffres de fidélisation des personnes aidées peuvent être établis annuellement à partir des statistiques faites sur les personnes qui ont quitté le service sur l’année en cours. D’une année sur l’autre, on peut cerner ainsi la « fidélisation » des personnes aidées. Certes, les chiffres sont intéressants, mais il y a aussi à s’interroger sur les pourquoi des problèmes de turn-over, de non fidélisation des personnes aidées. Dans le domaine des statistiques, le secteur fait référence à des sommes d’heures annuelles, mais la durée d’un accompagnement en heures et en années est significatif de ce qu’ont pu être les actions réalisées pour chacune des personnes aidée.
Il existe dans les services d’aide à domicile, un phénomène dont on parle assez peu, nous pouvons l’intituler des « micros-insatisfactions » : Les micro-insatisfactions sont les petits agacements et les gênes vécus par des personnes aidées ne sentant pas respectées par des aides à domicile dans leurs habitudes de vie et capacités. Les micros-insatisfactions ne sont pas vraiment repérées dans les systèmes qualité habituels et peuvent se transformer en refus d’aide ou en arrêt de la prestation.
Prenons deux exemples. Au démarrage de certaines prestations, face à des personnes aidées fragilisées, pas assez interrogées et prises compte dans leurs habitudes de vie quotidienne et petits rituels aux quelles elles tiennent, des aides à domicile trop sures d’elles ne remarquent pas ou ne prennent pas en considération les petits messages d’agacements envoyés en cours de prestation (« Madame X. est trop exigeante » disent des aides à domicile). En cours de prestation, il se passe une multitude de changements d’aides à domicile, des personnes aidées ne sentent plus à l’aise dans l’intimité de leur cadre de vie. Des chargés de planning disent face à cela qu’ « A l’hôpital, on ne choisit pas son infirmière ! » Dans ces deux exemples-type, des personnes aidées ne sont pas véritablement prises en considération. Quand on interroge des personnes aidées au sujet de toutes ces micro-insatisfactions, il est frappant de constater, très régulièrement, qu’au bout d’un moment d’échanges, un détail anodin est révélé. Exemple : des « minuscules » problèmes d’objet rangés à la mauvaise place sont évoqués : « Elle est maniaque! » (En fait non : elle veut tout simplement retrouver ses affaires). Autre exemple : l’aspirateur fonctionne trop longtemps : « Elle ne veut pas que l’on utilise son électricité ! » (En fait non : elle est seulement fatiguée du bruit qui dure trop longtemps). Toutes ces micros-insatisfactions créent des pertes de confiance très insidieuses, et de ce fait des pertes d’heures invisibles. Ces micro-insatisfactions, génératrices de pertes d’heures, essentiellement invisibles ne sont détectables que si les dirigeants ont une réelle sensibilité à ce qui se passe dans les domiciles, cela par le biais de visites régulières axées sur le confort de vie et la qualité de vie à donner aux personnes aidées. Notons au passage qu’un certain nombre de dirigeants, de gestionnaires, d’administratifs n’ont pas de réelle sensibilité à ce qui peut se vivre en cours de prestations aux domiciles : ils n’ont jamais réellement pris la mesure concrète des prestations en se rendant auprès de personnes aidées et en participant à des actions d’aide !
Que faire ? Pour certains services d’aide à domicile, le travail à faire est un travail de longue haleine. Il faut fidéliser les aides à domicile et les personnes aidées ! Les services d’aides à domicile qui sont les plus victimes de pertes d’heures invisibles sont dans la fatalité du fait d’une exigence croissante des personnes aidées et de leurs aidants naturels. La réalité est plus prosaïque : les services d’aide à domicile doivent travailler sur les plus profonds respects possibles des habitudes de vie et des capacités des personnes aidées.
Les attitudes des responsables de secteur et des intervenants faites de « phrases-clé » expliquent plus le métier que les documents de bonnes pratiques laissés aux domiciles et rarement lus. Prenons exemple simple : quand une aide à domicile demande à une personne aidée (devenue dépendante) avant de réaliser une action de lavage d’un sol : « Quelle quantité de produit utilisiez-vous ? », elle rentre dans une logique d’attention et peut ainsi éviter des micros-insatisfactions et par conséquent des pertes invisibles d’heures. Les bénéfices en terme de qualité de vie pour les usagers et leur fidélisation au service passe par ce type de comportements extrêmement concrets.
Ces pertes invisibles d’heures sont bien évidemment difficiles à quantifier mais, elles représentent certainement une perte de qualité de vie pour des personnes qui ne seront pas accompagnées comme elles l’auraient pu ou dû l’être, cela alors que tous les services assurent faire de la qualité, sans distinguer forcément la qualité des procédures administratives de la qualité des prestations. Entre les affichages des valeurs et leur mise en actions, les marges doivent être réduites. Avec des méthodes de travail adaptées, il est possible de réduire les micro-insatisfactions et les pertes invisibles d’heures. Tout cela passe par la sensibilisation des dirigeants à ce qui se passe dans les domiciles (l’attention aux liens des aides à domicile avec les personnes aidées) et par l’encadrement des équipes d’aide à domicile (formations à la méthodologie…).
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