Et si on licenciait les auxiliaires de vie qui n’ont pas de moyen de locomotion ?

Intégrer une structure d’aide à domicile lorsque l’on est auxiliaire de vie implique, surtout de nos jours, de bien réaliser ce que cela signifie en termes de déplacements. Aujourd’hui, je ne peux pas entendre d’un candidat à un poste d’aide à domicile que le métier qu’il souhaite exercer chez moi n’impose aucune contrainte. Lorsqu’il y a 20 ans, l’aide à domicile avait des prestations de ménage accordées largement par les caisses de retraite aux bénéficiaires et qu’il ou elle se retrouvait régulièrement avec un planning impliquant de travailler de 9h à 12h chez l’un et de 14h à 17h chez l’autre, le problème ne se posait pas aux responsables des structures.  Aujourd’hui, la réduction des financements au strict nécessaire, la diminution de la part réservée à l’entretien de l’habitat et du linge, le fractionnement des interventions pour des taches essentiellement limitées à de l’auxiliaire de vie et l’augmentation de l’étendue géographique d’action des structures qui recherchent les clients en dehors de leur terrain d’action habituel (et donc sur le terrain des autres), a profondément modifié le visage des plannings des intervenants à domicile. L’auxiliaire de vie doit se déplacer beaucoup plus souvent et pour des distances toujours plus grandes tout cela pour rester de moins en moins de temps au sein des domiciles.

Cette évolution dans les contraintes du métier entraine, outre des difficultés de gestion de planning, de sectorisation, de coût pour l’intervenant et pour l’association, de risques routiers ou de risques psychosociaux, une interrogation sérieuse quant à la question du sort à réserver aux intervenants présents dans la structure et qui ne sont pas véhiculés. Personnellement, ayant un secteur géographique de 25 km autour d’une commune principale, secteur comprenant une partie rurale non négligeable, je ne peux plus me permettre de recruter une personne non véhiculée. Quid des salariés en place depuis de nombreuses années et pour lesquelles les responsables ont de plus en plus de mal à remplir les plannings faute de possibilités pour l’intervenant d’aller au domicile où il faut prester ?

Peut-on, finalement, aller jusqu’à licencier un intervenant à domicile pour lequel on n’arrive plus à satisfaire le nombre d’heures prévus au contrat faute de moyen de locomotion adapté ? Toute la difficulté est bien là, surtout qu’au moment du recrutement de ce salarié, l’employeur avait connaissance de cette carence, ce qui ne l’a pas empêché de le recruter en connaissance de cause. Aujourd’hui, la détention d’un véhicule et du permis devient un élément déterminant du contrat de travail. L’évolution du métier peut-elle être un argument sérieux et légitime à l’engagement d’une procédure de licenciement à l’encontre d’un ancien salarié ayant 20 ans de boite ?

Très concrètement, la réponse à cette question aura plus pour critère décisif une balance des risques d’un point de vue économique plutôt qu’une réponse juridique clairement affirmée. Il faudra déterminer au cas par cas si un licenciement sera justifié, licenciement qui devra prendre la forme d’un licenciement pour motifs économiques : l’évolution du travail rend impossible le maintien du salarié dans le contrat tel qu’il est rédigé en l’absence de moyens de locomotion. Il faudra finalement d’abord se poser la question de la bonne foi et de la légitimité pour l’employeur d’agir. L’employeur a-t-il fait tout le nécessaire pour que l’intervenant à domicile puisse être en mesure d’exercer pleinement son travail ? Une organisation optimisée des plannings n’est-elle pas une solution suffisante afin de permettre à l’intervenant de remplir les conditions de son travail ? L’employeur a-t-il pris le temps de prévenir les salariés concernés et d’expliquer ce qui rend difficile le maintien dans l’emploi dans ces conditions en l’absence de moyens de locomotion ? Autrement dit, leur a-t-il laissé le temps de réaliser et de prendre les mesures nécessaires à l’adaptation qu’implique l’évolution du métier avant de leur tomber dessus ? Si concrètement, il s’avère qu’effectivement, il est impossible de remplir le contrat du salarié pour raisons exclusives de son absence de moyens de locomotion, il semble certainement nécessaire d’abord d’envisager de proposer une diminution du volume horaire contractuelle (que le salarié peut toujours refuser). La mesure extrême étant d’envisager le licenciement pour motifs économiques.

Malgré toutes ces précautions, rien n’est gagné. Le dossier du salarié, son ancienneté, sa volonté de toujours réussir à se débrouiller à aller aux domiciles prévus sur le planning malgré l’absence de véhicules peuvent rendre inapproprié aux yeux du juge un tel licenciement. Après s’être assuré une sécurisation juridique maximale, la décision finale repose sur une balance des enjeux financiers de ce licenciement : quel risque que le salarié conteste son licenciement aux prud’hommes ? Quel risque que si l’affaire passe devant un juge, ce dernier censure le licenciement ? La faute éventuellement reconnue aux torts de l’employeur ne serait-elle finalement lucrative pour celui-ci : quel est mon intérêt entre garder plusieurs années un salarié qui ne peut plus aller prester et pour lequel on paye un salaire pour des heures non effectuées et se séparer de ce salarié avec le risque de devoir être condamné à payer une certaine somme pour licenciement abusif ? Licencier un salarié qui n’a pas de moyens de locomotion et qui ne peut véritablement plus assurer son contrat est tout à fait possible mais comme pour n’importe quel licenciement, il faudra prendre toutes les précautions juridiques qui s’imposent tant en équité qu’en droit (n’oublions pas que les conseillers prud’homaux jugent leurs pairs en équité et en droit) et mesurer les conséquences d’une éventuelle condamnation par rapport au coût qu’implique de garder ce salarié plusieurs années.

Bien sûr, vous pouvez toujours me dire que dans le secteur associatif, les textes permettent de sanctionner disciplinairement tout salarié qui refuse d’intervenir dans des cas bien précis propres à l’urgence plus de 4 fois par période de référence. Dans l’urgence, et si cela rentre bien dans les cas prévus au texte (exemple : remplacement dans l’urgence d’un salarié malade pour un acte essentiel de la vie courante et donc autre qu’une simple prestation d’aide ménagère), si le seul salarié disponible est celui qui n’a pas le véhicule qui lui aurait permis de réaliser la prestation, comment réagir ? Le refus du salarié est-il considéré comme un refus légitime que l’employeur ne doit pas prendre en compte dans les 4 possibles ? Et puis-je au bout de ces 4 refus, rompre sans crainte son contrat en cas de 5ème refus au travers d’un licenciement pour motif personnel en raison de fautes du salarié découlant du refus ? Je ne suis personnellement pas certain que vous éviterez la censure des juges…

Sébastien Charrière

sebastien.charriere@laposte.net