A l’heure où on évoque de nouveau dans les médias que le secteur de l’aide à domicile continue de souffrir et notamment la chute de l’emploi direct à domicile, je veux vous faire part de mon agacement face à un ensemble de pratiques persistantes de structures tant lucratives qu’associatives qui gâchent tout l’effort que tentent de fournir nombre de professionnels sensibles tant par la condition des salariés que par la qualité des prestations fournies.
En effet, le droit du travail ne m’apparait pas être une potiche que l’on sort juste quand on veut faire beau et dont on se débarrasse quand elle nous encombre. Tout d’abord, cela s’impose à tout à chacun, et quand on s’argue d’être au service de la société, la moindre des choses me semble de devoir savoir respecter les règles de cette société. Ensuite, dès lors qu’il s’agit d’assurer un minimum de droit aux salariés qui travaillent pour nous, respecter leur droit social, c’est aussi respecter les hommes et les femmes qui travaillent au service de cette société. Enfin, et tout là est le nerf de la guerre finalement, le droit social a un coût nécessaire et inévitable qui s’impose à celui qui est soucieux de son respect et qui est fatalement allégé pour celui qui ne s’en préoccupe pas (par méconnaissance ? à l’insu de son plein grès ? volontairement… ?).
Je m’explique. Je suis juriste. Je suis juriste mais je suis aussi responsable du personnel. Le juriste est celui qui « dit le droit », le responsable du personnel quant à lui se sert de l’outil qu’est le droit afin de gérer son personnel. J’ai appris par la pratique de la gestion des ressources humaines que finalement l’un ne va pas sans l’autre et qu’en ressources humaines, on apprend à balancer des risques et que parfois on est bien obligé de « s’arranger » avec les règles de droit. Toutefois, je suis convaincu que malgré les imperfections du droit social, il s’agit d’un verrou minimal indispensable avec lequel il vaut mieux éviter de trop jouer. Respecter le droit des salariés, c’est respecter le salarié et, pour ce qui nous concerne, un premier pas important vers le respect de l’usager bénéficiaire de nos services. Comment peut-on imaginer que nier le droit des salariés permet de proposer un moindre coût d’intervention au bénéficiaire et donc de rendre un réel service d’intérêt public à celui-ci ? Comment peut-on arguer que les prestations sont de qualités optimales si les droits de la personne qui vient chez vous ne sont déjà pas respectés ?
J’ai deux illustrations parmi une foultitude d’autres illustrations à vous soumettre et que nombre d’entre vous doivent certainement connaitre. Je m’adresse à ceux qui comme moi sont fatigués de multiplier les efforts coûteux pour voir un opérateur bafoué tout le travail réalisé en affichant un coût moindre par magie. Je vous invite à discuter avec vos salariés ou avec les candidats à l’embauche et à étudier de prêt l’ensemble des documents qu’ils vous soumettent des emplois précédents ou actuels qu’ils ont eu ou exercent encore car c’est croustillant à souhait.
Une candidate me parle d’un emploi qu’elle vient de quitter et qu’elle a exercé 5 ans durant dans le secteur associatif. Elle n’a aucun diplôme ni aucune formation touchant de prêt ou de loin à ladite profession et m’explique que, sans aucun entretien d’embauche, elle s’est occupée d’un usager atteint d’Alzheimer et d’un autre atteint de Parkinson pour faire leur toilette et le change. Je sais que le monde de l’aide à domicile vient de loin mais quand même ! Et pour couronner le tout, elle travaillait 7 jours sur 7 et sa rémunération variait d’un mois sur l’autre en étant salarié de la structure (elle ne faisait pas de mandataire). N’y a-t-il qu’un juriste pour être choqué de cela ? Au-delà du droit, n’y-a-t-il pas quelque chose de quelque peu perturbant dans ces propos ? Comment peut-on dire à l’usager que la prestation fournie est nécessairement une prestation de qualité ?
Récemment, je me suis penché sur le dossier d’une salarié que l’on vient de recruter. Parmi les documents qu’elle nous a fournis figure un document épatant venant d’une enseigne relativement connu du secteur lucratif. Ce document intitulé contrat de mandat est passé entre cette enseigne et l’auxiliaire de vie par lequel l’enseigne s’engage à lui présenter des clients, à charge pour elle la responsabilité pleine et entière de la prestation pour laquelle l’enseigne se décharge complètement (le client en a-t-il conscience ???). Mais ce qui m’a vraiment interpellé dans ce contrat, c’est surtout la clause faisant référence à la rémunération promise à l’auxiliaire de vie. Dans un premier temps rien de choquant, la rémunération était de l’ordre du SMIC horaire. Ce qui est par contre particulièrement dérangeant réside dans la précision que cette rémunération horaire « inclus l’indemnité de précarité (!), le déplacement (!!), ainsi que les heures complémentaires éventuellement prévues (!!!!) ». Pire encore, après avoir interrogé la salarié sur ce contrat, il s’avère qu’elle était rémunérée directement par l’enseigne et non par le client…
Allez, une 3ème anecdote pour la route. Dans un documentaire télévisé sur M6, on a pu voir un responsable d’une agence de service à la personne chercher quelqu’un pour un bénéficiaire dont le besoin a été évalué à 7 jours sur 7. Le responsable discutant avec la personne s’occupant du planning lui dit le plus naturellement du monde : essayez de ne trouver qu’une seule personne pour cette prestation… 7 jours sur 7 ? J’ai certainement du dormir le jour de ce cours de droit à l’époque…
Sébastien Charrière
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