Le troisième âge, une niche touristique émergente
Youssef Chiheb* – le Matin du Sahara
Youssef Chiheb Professeur associé à l’Université Paris XIII, directeur du Master «Ingénierie sociale urbaine» et expert auprès du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en ingénierie de développement territorial.
Le tourisme du troisième âge est un secteur en pleine expansion au regard d’une double opportunité inédite : d’abord, le nombre croissant des Européens qui s’installent au Maroc pour jouir d’une retraite paisible. Plus de 20.000 personnes (âgées en moyenne de 65 ans) s’enracinent dans les pôles urbains touristiques ou ceux dotés d’infrastructures médicales et gériatriques de qualité. Ce chiffre pourrait atteindre les 100.000 personnes à l’horizon 2020.
Ensuite, la perception par le gouvernement marocain de ces nouveaux flux migratoires comme étant une nouvelle niche touristique à haute valeur ajoutée. En parallèle, le vieillissement de la population marocaine, notamment celle des classes moyennes, se conjugue à une mutation sociologique et sociétale très prononcée. En effet, les liens de solidarité intergénérationnelle s’essoufflent. Les familles n’ont pu la capacité de prendre en charge (à domicile) les personnes âgées fragilisées physiquement et psychologiquement (handicapes, maladie d’Alzheimer, peu de mobilité, dépression liée à la solitude, etc.). La religion musulmane, longtemps considérée comme filet de sécurité, ne parvient plus à pérenniser ce modèle d’autorégulation. Plusieurs réformes préalables ont été certifiées par des organismes ad hoc de développement. En premier lieu, le contexte géopolitique post-11 septembre 2001 a contraint le Maroc à changer de cap par des réformes politiques majeures, la confirmation de la fin des années de plomb et l’accélération de la mise en œuvre de l’Etat de droit. En deuxième lieu, une réforme économique structurelle, s’inscrivant dans le sillage de la mondialisation et répondant, enfin, aux standards de la bonne gouvernance telle qu’elle a été définie par les bailleurs de fonds et les organismes de développement. La stratégie économique retenue est ouvertement orientée vers l’attractivité des capitaux étrangers (États-Unis, Union européenne, pays du Golfe, etc.). Le Maroc est le premier pays africain et arabe à bénéficier du statut avancé avec l’Union européenne. Il est également le troisième pays après la Chine et la Roumanie à attirer les délocalisations industrielles et tertiaires, à travers le plan «Émergence», générant une opportunité de plus de 100 000 emplois en dix ans. Le tourisme de masse est décliné dans le plan «Maroc Azur» qui vise 20 millions de touristes (sans compter les binationaux) à l’horizon 2020 faisant du pays la première destination des Européens en dehors du Vieux Continent. En toile de fond, un enjeu financier colossal lié à un «tourisme social délocalisé» émergent, celui des seniors à la quête d’une fin de vie de plénitude, loin des «mouroirs» ou des établissements pour personnes âgées dépendantes (EPAD) coûteux pour les petites pensions et budgétivores pour la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Selon des études réalisées par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), un protocole d’accord est quasiment finalisé entre le Maroc et la France en particulier qui projette l’installation de plus 100 000 personnes retraitées au Maroc. Ce potentiel est appelé à évoluer si l’on tient compte des 75 000 Marocains résidents en Europe atteints par l’âge de la retraite. Les besoins sont énormes, les structures médicales et gériatriques se multiplient, les plateaux de management se développent, les incitations fiscales et opportunités foncières sont attractives. Dans un rapport de «gagnant gagnant», le gouvernement marocain offre ses atouts majeurs aux investisseurs dits de «tourisme de troisième génération» basée sur une stabilité politique, un taux d’ensoleillement optimal, des infrastructures touristiques polarisantes et la proximité de l’Europe. En retour, il prévoit la création de 100 000 emplois (un ratio d’un employé par retraité), une recette de 800 millions d’euros par an et, à terme, un modèle économique de troisième génération. Cependant, ces perspectives d’avenir se heurtent à la spécificité de ces flux touristiques : la vulnérabilité globale et la sur-médication. Les dizaines de milliers d’emplois potentiels (hors cadre médical) sont peu ou pas formés. Au-delà de la barrière linguistique, le service à la personne est un métier à part entière et non une fonction restrictive aux tâches ménagères. Les structures locales permettant une meilleure employabilité sont peu optimales, encore frappées par le saut de la bienfaisance, faiblement dotées en moyens de formation. Une étude universitaire en 2010 démontre la faible offre marocaine en personnel qualifié et en structures ressources. Le Maroc dispose d’un institut para-universitaire pour la formation certifiée aux métiers du social à Tanger, l’Institut national de l’action sociale (INAS) sous la tutelle du ministère de la Santé. En troisième lieu, le gouvernement marocain a pris conscience du danger structurel qui menace sa stabilité : la pauvreté, les clivages territoriaux, l’absence de couverture sociale ou de retraite pour plus de 17 millions d’habitants, les fractures urbaines liées à l’urbanisme fonctionnaliste (grands ensembles en version marocaine) et autant d’éléments sociologiquement sismiques pouvant conduire à une atteinte grave à sa cohésion. En 2005, le Souverain a lancé un grand chantier, qualifié de projet de règne : l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Une politique publique majeure basée sur le principe de la discrimination positive au profit des zones urbaines, rurales recélant des poches de pauvreté. Un programme faisant appel à un partenariat public collectivités privées pour la mise à niveau globale du contexte social et territorial. Près d’un milliard d’euros sont injectés entre 2005 et 2010 dans la construction, par étape, d’un filet de sécurité sociale, en parallèle des politiques sectorielles de droit commun qui ont, à leur tour, placé l’homme au cœur de leurs stratégies de développement. Une stratégie articulée autour des thématiques suivantes :-Lutte contre la pauvreté en zones urbaines sensibles (ZUS). -Lutte contre l’exclusion et l’enclavement des zones rurales par l’accès à l’eau potable, à l’électricité et aux réseaux routiers. -La mise à niveau des infrastructures socio-médicales de proximité de nature à atténuer, à terme, la désertification des services publics dans les zones de relégation identifiées (250 communes rurales enclavées et 250 quartiers urbains ou périurbains défavorisés). -La formation professionnelle, l’alphabétisation et l’employabilité des populations longtemps exclues du système scolaire ou celles l’ayant quitté sans formation professionnelle. Le programme vise une fourchette haute de 3 millions de bénéficiaires. La lutte contre le chômage endémique des jeunes et des femmes : par la mise en place d’un dispositif appelé activités génératrices de revenus (AGR) au profit de 100 000 personnes par an, sous forme de financement à hauteur de 80% de microprojets permettant aux bénéficiaires une autonomie socioéconomique, un ancrage sur leur lieu de vie et leur soustraction aux chiffres anxiogènes du chômage. En trois ans, près de 50 000 personnes ont pu créer leurs propres activités génératrices de revenus. Une couverture sociale en cours de finalisation, moyennant une cotisation forfaitaire équivalente à 4 jours/SMIC. Le dispositif tend, à terme, à se transformer en Assurance maladie obligatoire (AMO) au profit des artisans, des petits commerçants et personnes âgées n’ayant pas de retraite. Programme de villes sans bidonvilles (VSB) ciblant les 85 bidonvilles en milieu urbain qui abritent plus de 2 millions de ménages.
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