Se prémunir de la concurrence de l’ancien salarié : la clause de non-concurrence.

Afin d’éviter qu’un de vos salariés ne partent bras dessus, bras dessous avec un ou plusieurs de vos clients, vous pourriez être tenté d’envisager l’insertion au contrat de travail d’une clause interdisant au salarié, une fois la rupture de son contrat consommé, de partir à la concurrence, voire même (pensant à tort qu’il ne s’agit pas de la même chose) interdire à l’usager dans son contrat de prestation, une fois la rupture de ce dernier, d’employer un de vos salariés. Petit tour d’horizon de ce qu’on appelle clause de non-concurrence.

Tout contrat quel qu’il soit doit, en vertu de l’article 1134 du Code civil, être exécuté de bonne foi. Le contrat de travail n’échappe pas à la règle, le code du travail reprenant d’ailleurs cette obligation à l’article L. 1222-1. De cette obligation de bonne foi, les auteurs, ainsi que la jurisprudence en ont déduit une obligation implicite de loyauté qui s’impose tout aussi bien à l’employeur qu’au salarié. Le code du travail reconnait aujourd’hui cette obligation qui s’impose au salarié en son article L. 1222-5. Sur ce fondement, on pourrait reconnaitre qu’un salarié n’a pas exécuté loyalement son contrat s’il conseillait au client de quitter la structure car il serait moins coûteux de l’employer directement sans passer par la structure.

Quid de la relation post-contractuelle entre l’ancien salarié et son ancien employeur ? Une fois la rupture consommée, peut-on se protéger contre le détournement de clientèle d’un ancien collaborateur qu’il soit intervenant sur le terrain ou un personnel administratif ? S’il n’existe pas d’obligation de loyauté post-contractuelle, il faut tout de même noter que le droit de la concurrence a vocation à jouer, il n’y a pas un no man’s land juridique en la matière même en l’absence de clause de non-concurrence. En effet, la concurrence déloyale pourra être condamnée sur le principe de base de la responsabilité civile délictuelle : il faudra prouver une faute, un préjudice et un lien de causalité entre ladite faute et le préjudice. Mais effectivement, cela peut s’avérer être une tache compliquée, d’où la tentation de glisser au sein des contrats de travail une clause de non-concurrence.

Il est tout à fait possible d’insérer une clause de non-concurrence. Non seulement cela vous permettra de poursuivre l’obligation de loyauté de votre salarié après la rupture du contrat, mais en plus vous n’aurez pas à entrer dans une longue et difficile démonstration justifiant d’une concurrence déloyale : le simple constat du non-respect de la clause de non-concurrence justifiera l’octroi de dommages-intérêts et l’existence d’un préjudice. Mais attention, une clause de non-concurrence n’est pas une clause « bateau » et passe-partout que l’on pourrait impunément copier-coller dans tout contrat de travail quel qu’il soit. Le juge a construit des obligations strictes qu’il va falloir respecter au risque de voir les effets de ladite clause se retourner contre soi (il faut, en effet, savoir que si un salarié respecte une clause de non-concurrence illicite, cela lui cause nécessairement un préjudice que l’employeur devra réparer).

– La clause de non-concurrence doit être limitée dans le temps ET dans l’espace. L’interdiction doit non seulement être prévue pour un secteur géographique prévu (secteur géographique qui va s’apprécier notamment en fonction du secteur géographique d’action de la structure) mais également être limitée dans le temps et ne pas empêcher ad vitam aeternam le salarié de pouvoir exercer.

– La clause de non-concurrence doit être limitée quant à la nature des activités interdites. Il est évident que vous n’allez pas pouvoir interdire à un salarié de ne plus travailler du tout quelle que soit l’activité… il faut strictement limiter à ce qui est purement indispensable et nécessaire.

– La clause de non-concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise. L’employeur doit justifier que les intérêts légitimes de la structure justifient la présence d’une telle clause ET que l’interdiction de concurrence post-contractuelle être proportionnée à ladite protection des intérêts légitimes.

– La clause de non-concurrence doit prévoir obligatoirement le versement au salarié d’une contrepartie financière. La clause de non-concurrence n’est pas gratuite. Restreindre la liberté du travail ou d’entreprendre d’un salarié (libertés qui, rappelons-le, sont fondamentales et reconnues comme constitutionnelles) a un coût qui pèse sur l’employeur. Tu ne me concurrences pas et en contrepartie je te verse une somme d’argent (qui d’ailleurs même si elle est librement fixée par l’employeur et le salarié ne doit pas être dérisoire).

La juge est très régulièrement saisie pour des litiges sur les clauses de non-concurrence, et la jurisprudence à ce sujet est foisonnante. Il est très franchement délicat de rédiger sa clause de non-concurrence sans un avis extérieur et je ne saurais que trop vous conseiller de vous rapprocher de vos services juridiques, de vos fédérations ou d’un avocat avant de vous lancer dans sa rédaction.

Certaines structures pourraient essayer de contourner ces difficultés invalidantes en imaginant insérer au contrat de prestation une clause de non sollicitation de personnel qui lierait le client (et non plus le salarié en théorie) et qui lui interdirait d’employer le salarié de la structure qui intervient chez lui. La Cour de cassation a estimé qu’au final il s’agissait purement et simplement d’interdire au salarié de ne pas faire de concurrence après la rupture du contrat de travail et qu’en ce sens, une telle clause détournait les obligations de validité de la clause de non-concurrence et provoquait nécessairement un préjudice au salarié qui devait être réparé par l’octroi de dommages et intérêts.

Sébastien Charrière

sebastien.charriere@laposte.net