Analyse de la concertation sur la loi d’adaptation de la société au vieillissement

Le Premier ministre a lancé le 29 novembre 2013 un processus de concertation autour de la future loi d’orientation et de programmation pour l’adaptation de la société française au vieillissement de sa population. L’animation de cette concertation a été confiée à la Ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie.

Le processus de concertation a commencé quelques jours plus tard, sous deux formes :

Audition individuelle par le Cabinet de Mme Delaunay

Auditions collectives thématiques

Ce processus de concertation a été clôt le 12 février par la Ministre des Affaires sociales et de la Santé et sa Ministre déléguée dans le cadre d’un colloque organisé au Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE).

En ce qui concerne la FNAAFP/CSF, l’audition individuelle a eu lieu le 05 novembre 2013. Jean-Louis Lemierre, Président et Guy Fontaine, Secrétaire général ont représenté la Fédération. Il s’est agit de faire part au Cabinet de Mme Delaunay de nos premières réactions sur le document de concertation présenté le 29 novembre 2013 et d’obtenir des précisions. La FNAAFP/CSF a aussi relayé auprès du Cabinet la préoccupation de notre partenaire, le GIHP, sur la question du vieillissement des personnes handicapées.

Nous vous présentons ci-dessous une brève analyse de ce cycle de concertation. La FNAAFP/CSF publiera prochainement sa contribution écrite.

Sur le processus de concertation

Point positif :

Les réunions de concertation ont réuni de nombreux acteurs, différents en fonction des thématiques. Pour la FNAAFP/CSF, cette modalité est positive. Elle rejoint partiellement notre revendication d’un Grenelle de l’Aide à Domicile. Sur la question du vieillissement, la plupart des acteurs étaient présents : administrations centrales, financeurs, syndicats d’employeurs et de salariés, représentants des usagers. Il était par exemple intéressant que les organisations syndicales de salariés entendent que les fédérations employeurs tenaient un discours convergent sur de nombreux aspects.

Points négatifs :

La concertation n’a pas porté sur un texte de loi dont on nous a confié qu’il ne serait pas rédigé avant la fin de la concertation. Les réunions étaient souvent répétitives, sur la base du document initial du 29 novembre 2013 à peine plus étayé. Difficile dans ces conditions de porter un jugement sur des déclarations de bonnes intentions faisant l’objet de peu de dispositions concrètes.

Si de nombreux acteurs étaient présents, la dimension interministérielle était quasiment absente et renforce la revendication de la FNAAFP/CSF d’un Grenelle ou d’Etats Généraux de l’Aide à Domicile et de la création d’un poste de délégué interministériel pour l’aide, l’accompagnement, les soins et les services à domicile.

Sur les principales mesures

La loi sera financée grâce aux recettes de la CASA (Contribution Additionnelle de Solidarité pour l’Autonomie) d’un montant annuel initial d’environ 650 millions d’euros. Ces recettes seront affectées à des dépenses nouvelles, de la façon suivante :

350 Mns d’euros pour financer la « Réforme » de l’APA : en réalité, il s’agit de lutter contre la saturation des plans d’aide (qui frappe essentiellement les personnes relevant de GIR 1 et 2) et de diminuer le reste à charge des allocataires ayant les plans d’aide les plus lourds (donc aussi les GIR 1 et 2).

150 Mns d’euros pour financer un fonds d’accès aux aides techniques (qui viendrait en complément de l’APA et non en substitution des aides humaines du plan APA) et des actions collectives de prévention de la perte d’autonomie.

80 Mns d’euros sous forme de droit au répit pour des aidants familiers. Cela représenterait un « droit de tirage » de 500 € par an pour 160.000 personnes afin de financer une semaine de répit.

70 Mns d’euros pour les autres mesures mais cela concernerait essentiellement la rénovation des Foyers-logements. 

Points positifs :

Théoriquement, 350 Mns d’euros pour déplafonner les plans d’aide et diminuer le reste à charge devraient se traduire, pour nos services, par une augmentation de l’activité.

Le fonds d’accès aux aides techniques devrait favoriser le développement de l’équipement en téléassistance notamment, sur lequel la France est en retard.

Le répit est un réel besoin pour les aidants familiaux dont on sait combien leur santé peut-être affectée par l’aide difficile qu’ils procurent, souvent, à leur conjoint.

Points négatifs :

Le point négatif essentiel est le suivant : le projet de loi prévoit des dépenses nouvelles qui seront financées par une recette nouvelle, la CASA. Cela signifie que la Loi n’apportera aucune réponse à la problématique du financement de notre secteur. Pour rappel, l’Etat ne compense plus en 2013, via la CNSA, que 30,9% des dépenses APA des Départements et 36% des dépenses PCH. Entre 2008 et 2013, l’augmentation naturelle[1] de la charge des Départements représente 1,5 milliards d’euros sur ces deux allocations de solidarité[2]. Ce phénomène explique pourquoi les Départements ne reconnaissent plus les coûts de revient de nos associations et cherchent, par tous les moyens (fractionnement des plans d’aide, pression aux fusions pour essayer de réaliser des économies d’échelle etc.) à réduire la dépense ou à maîtriser son augmentation.

Si théoriquement les 350 millions d’euros de la « réforme » de l’APA pourraient se traduire par une augmentation de l’activité, la tentation sera grande, pour les Départements, d’utiliser ces sommes pour réduire l’évolution naturelle des dépenses non-compensées par l’Etat. En clair, l’aide se concentrera sur les GIR 1 et 2 et peut-être 3. Ce sont les GIR 4 qui devraient pâtir de cette situation. Ce qui reviendrait à « reculer pour mieux sauter » car l’aide qui ne sera pas fournie aux allocataires en GIR 4 se traduira par une accélération du processus de perte d’autonomie…dans quelques mois ou quelques années.

Le fonds d’accès aux aides techniques et les actions collectives de prévention de la perte d’autonomie sont une idée intéressante. Mais au-delà de l’annonce, aucune indication concrète sur la mise en œuvre de ces dispositifs n’a été donnée.

Il en va de même pour le droit au répit des aidants ! Qui va faire l’évaluation de leurs besoins, à partir de quel outil, sur quels critères ? La grille AGGIR n’est pas conçue pour cela. L’Etat va-t-il garantir une équité de traitement en imposant un outil et une méthode ? Aucune réponse n’est apportée sur ce point. Ensuite, de quel répit va-t-il s’agir : 500 € par an pour une semaine, mais une semaine pour faire quoi ? La Ministre déléguée avance l’idée de sécuriser juridiquement le baluchonnage, mais notre droit du travail ne permet pas de travailler 7 jours sur 7, 24 heures sur 24…L’autre idée avancée est d’élargir la mission des EHPAD : imagine-t-on un instant un aidant fatigué qui aurait envie de se changer les idées pendant une semaine en allant côtoyer…des personnes plus dépendantes encore que son conjoint ? Et si ce droit n’est pas un droit universel puisque l’enveloppe est bloquée, comment fait-on si l’on dépasse les 160.000 aidants bénéficiaires prévus par an ?

Sur la refondation des SAAD

La FNAAFP/CSF, les Fédérations de la Branche et, au-delà, les membres du Collectif de l’Aide à Domicile (à l’exception de l’ADMR) ont signé avec l’Assemblée des Départements de France (ADF) une convention visant à la refondation des SAAD qui se traduit par des expérimentations sur trois ans. Nous espérions que la Loi institutionnaliserait cette refondation.

Point positif :

La Loi devrait généraliser le mandatement sous forme de CPOM (Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens) sur la base d’un cahier des charges fortement inspiré de celui élaboré par nos Fédérations et l’ADF. L’obligation de mettre en œuvre des missions d’intérêt général permettrait ainsi de conforter la légitimité du secteur non-lucratif tout en satisfaisant au droit européen.

Point négatif :

La Ministre déléguée considère que l’abandon de la tarification horaire pour un forfait global comme prévu par notre convention, ne fait pas consensus parmi les Conseils généraux : les expérimentations ne sont pas assez nombreuses. En conséquence, cet aspect essentiel de notre travail de refondation des SAAD ne sera pas pris en compte. La question se pose dès lors de la situation pour les Départements et les SAAD qui ont mis en œuvre une expérimentation sur trois ans et qui n’imaginent pas un seul instant « revenir en arrière » en remettant en place une tarification horaire trois ans après l’avoir abandonnée. Résultat, l’ADF milite désormais pour que la Loi autorise les deux modalités de tarification : horaire ou forfait global. Nous ne pouvons que l’approuver, bien que cela n’aille pas dans le sens d’une simplification…

En conclusion, alors que le processus de concertation s’est achevé et malgré quelques idées et dispositions intéressantes (dont nous allons examiner la traduction concrète dans l’avant-projet de loi qui vient de nous être adressé) il semble bien que la Loi d’adaptation de la société française au vieillissement de la population va passer à côté de l’essentiel. Notre secteur, en crise depuis 2009, réclamait et attendait une réforme nationale du financement. Il est clair que celle-ci ne sera pas au rendez-vous.

Saurons-nous nous mobiliser plus que nous ne l’avons fait jusqu’ici ? Saurons-nous créer un rapport de force suffisant pour amener le gouvernement à comprendre que les investissements qui ne sont pas faits aujourd’hui portent en germe des dépenses bien plus considérables demain ?

Guy Fontaine

Secrétaire général

gfontaine@fnaafp.org

06.77.05.35.53

[1] Augmentation naturelle liée essentiellement à la progression du nombre d’allocataires, à l’aggravation de leur niveau de dépendance, à l’augmentation du coût de nos services liée au GVT, glissement vieillesse technicité.

[2] Sachant qu’une troisième allocation de solidarité est à la charge des Départements, le RSA (Revenu de Solidarité Active) dont les dépenses explosent compte-tenu de la précarisation des familles en temps de crise.