Une association d’assistants sexuels pour personnes handicapées peut-elle exister en France?

Par Anne Doat Sexo-pédagogue, responsable de projet

avec l’aimable autorisation du site internet http://www.quelsexe.com


En
France, l’évolution des moeurs aboutit aujourd’hui à se poser des
questions sur de nouvelles réponses à l’accompagnement de la sexualité
des personnes handicapées. Confrontée à cette question dans le cadre de
mon expérience professionnelle, j’ai choisi d’aborder ce thème dans un
cadre de recherche universitaire.
Chargée de formation continue auprès d’institutions ou associations
sanitaires et médico-sociales, je suis amenée à constater combien la
question de la sexualité des personnes handicapées est omniprésente et
combien la réponse est parfois complexe, puisque l’on touche à une
question très «taboue» en France. Ainsi, dans le cadre de mon diplôme
de sexologie, j’ai fait des recherches sur les différentes prises en
charge en Europe sur cette problématique. Il existe une reconnaissance européenne voire internationale (1)
des droits fondamentaux, comme le respect de l’intimité de la personne,
mais la question de la sexualité des personnes handicapées n’est pas
abordée de la même manière selon les pays. Est-ce à dire que nous
sommes réfractaires à l’intervention d’un assistant sexuel en France?
Là est toute la question et notamment au coeur de nos institutions et
associations en charge ou représentant les personnes handicapées. Nos
homologues européens se sont déjà penchés sur cette question et ont
notamment mis en place des prises en charge des besoins sexuels de
personnes handicapées, dont la plus controversée est l’intervention
d’assistant sexuel, car elle fait naître des craintes qu’elles soient
socio-culturelles, éthiques ou juridiques, politiques.

Mais de quoi parlons nous au juste quand on parle d’assistant sexuel en
Europe. Aspect fondamental du problème c’est que l’on regroupe dans
cette initiative différentes appellations, pratiques, sources de
financement, recrutement, objectifs, qu’il est important de définir et
analyser afin de comprendre que le problème vient peut-être plus de ces
disparités d’organisation, que le projet en lui-même.

Appellations

Caresseur, caresseuses: qui englobent plusieurs offres sensorielles, sensuelles et sexuelles, à l’exception des baisers et des pénétrations.
Assistant sexuel:
définition première qui comprend l’idée d’être avec, d’être présent et
aider concrètement en mettant son corps en jeu dans la relation.
Aide sexuelle: adopté à l’époque en Suisse,
et qui relevait cette fois du soin sexologique (au même titre que le
soin physio-thérapeutique, d’hygiène et de rééducation fonctionnelle,).
cette précision témoignant d’une volonté de se distinguer d’un acte de
prostitution.

Objectifs

Sans relation sexuelle. Une mission qui demande
beaucoup de préparation, des discussions avec les aidants, parents
professionnels qui travaillent avec la personne en situation de
handicap. Pendant les séances sont proposés des massages, un contact
corps à corps, des enlacements, des caresses et des touchers. Mais pas
de rapports sexuels, ni relation sexuelle orale. L’orgasme n’étant pas
l’objectif principal. Pour certaines personnes c’est la première fois
de leur vie qu’ils ont un contact physique proche, sensuel.
Avec relation sexuelle:
avec pénétration, avec comme objectif l’orgasme, d’ou une limite plus
difficile à trouver entre l’assistance sexuelle et la prostitution.

Recrutement: Qui sont les assistants sexuels?

Des professionnels qui exercent dans le cadre d’associations en Hollande, au Danemark en Allemagne et en Suisse, sont des volontaires issus des professions médicales (infirmières, aides-soignantes), sensibilisés aux problèmes des handicapés.
Mais aussi des call girls
en contact avec des associations qui les mettent en relation avec des
personnes handicapées. C’est à mon avis la source de confusion entre
assistante sexuelle/association, prostituée/proxénétisme.

Les sources de financement

Les sources de financement sont toutes aussi variées
que l’appellation et la mission. Nous sommes là aussi devant une
ambiguïté de prise en charge par les Etats qui rend difficile la
légalisation Européenne. Il apparaît que certains pays remboursent les
prestations. L’échange financier permet d’établir un contrat clair de
l’assistant sexuel avec une définition de la mission (avec ou sans
rapport sexuel) Les gestes proposés et prodigués le sont sur une liste
précise et limitée. Une rémunération pouvant être effectuée aussi par
la personne elle-même.

Le premier constat que je fais par rapport à cette étude, c’est que
l’émergence de cette fonction en Europe reste très aléatoire, qu’elle
est à l’initiative de chaque pays. Que le manque d’harmonisation
légalisée de ces pratiques professionnelles, est peut-être ce qui
empêche la France à s’engager dans cette solution. Ceci n’étant pas le
seul frein à la création d’une association, car parler de financement
en échange de pratique sexuelle soulève automatiquement la question
mythique de la prostitution, et de son corollaire le proxénétisme.

I. LA DEMANDE EXISTE-ELLE EN FRANCE?

L’assistance sexuelle est née à partir des demandes précises de
personnes vivant avec un handicap. En effet, se satisfaire sexuellement
seul ou avec un partenaire s’avère très compliqué, voire impossible
selon les limitations du corps. Afin de savoir si la fonction
d’assistant sexuel correspond à une demande en France. J’ai élaboré un
questionnaire, et eu des entretiens dans une association pour personnes
handicapées moteur. Le résultat est significatif:

Questionnaire

Question Oui Non Ne sais pas
Pensez-vous que cette fonction peux-être utile en France? 90% 0 10%
Etes vous favorable à l’organisation d’une association en France? 90% 0 10%
Pour vous, cette fonction d’assistant sexuel est ce de la prostitution? 10% 70% 20%

II. QUELLE DIFFERENCE ENTRE LA PROSTITUTION ET LA MISSION D’ASSISTANT SEXUEL?

Toute l’ambiguïté de cette fonction d’assistant sexuel est sa
ressemblance par les faits avec la prostitution. Peut-on dire que le
terme d’Assistant sexuel est utilisé pour ne pas dire le mot prostitué?
car il y a bien échange de services et plaisirs sexuels contre rémunération.
Beaucoup (hommes autant que femmes handicapées) pensent que l’accès à la prostitution est le symbole d’une égalité restaurée avec les valides
Pour les juristes, en tout premier lieu, se pose une question de
définition. Autrement dit, qu’est-ce que la prostitution ou qu’est-ce
qu’une personne prostituée? En droit, le régime de cette dernière est
défini par un décret du 5 novembre 1947:
l’activité d’une personne qui consent habituellement à des rapports
sexuels avec un nombre indéterminé d’individus moyennant rémunération.
Le terme de "rémunération" peut être pris au sens large: argent mais
également objets à valeur marchande ou même services.
Le principe juridique sur lequel repose le droit en
matière de prostitution est celui du droit de disposer de son corps:
cette liberté va jusqu’à l’utilisation de son propre corps à des fins
lucratives, principe qui fait exception à celui de l’indisponibilité du
corps humain, c’est-à-dire l’interdiction de vendre son sang, un
organe, etc. exception faite des cheveux. Aussi, le droit de se
prostituer est acquis parce que le droit d’entretenir des relations
sexuelles relève strictement du droit au respect de la vie privée. La
prostitution n’est donc pas, en soi, un délit. Cependant, le droit de
se prostituer a des limites, notamment résultant de la loi du 13 avril
1946.
La prostitution n’est pas, en tant que telle, une activité illégale en France,
pas plus que dans d’autres pays européens. Seules, certaines de ses
formes sont pénalisées. Son exploitation et la reconnaissance
professionnelle de cette activité donne lieu, en Europe, à des
législations contrastées. En France toutes formes de soutien et
d’exploitation de la prostitution sont caractérisées par le délit de
proxénétisme et donc sanctionnées.
En Europe l’enjeu qui se profile, en termes de politiques publiques,
qu’elles soient pénales, d’emploi ou de santé, pourrait bien être celui
de l’homogénéisation européenne. Cet enjeu est dominé actuellement par
une approche sécuritaire de la réponse à donner au phénomène de la
traite des êtres humains d’une part, et par des enjeux d’ordre public
d’autre part. Les notions qui seront discutées par les états membres
traiteront autour de la traite et de la dignité humaine.
L’organisation d’un marché de la prostitution est impossible sauf s’il
est engagé par les Etats qui ont souverainement décidé de le
réglementer pour mieux surveiller l’activité, et lutter efficacement
contre la traite.
Donc dans le cadre de l’assistant sexuel, le problème majeur que nous
rencontrons pour la mise en place d’une association en France est entre
autres cette notion d’intermédiaire que sera l’institution, l’association l’aidant.
Cet intermédiaire qui de prés ou de loin sera en relation avec
l’assistant sexuel, soit du fait de la dépendance de la personne
handicapée, soit de son lieu de résidence, sera taxé de proxénétisme.
Car en ce qui concerne la France en particulier le Code pénal (loi du
19/03/2003 art 225-5) est très clair en ce qui définit le proxénétisme.
Toute personne et de quelque manière que ce soit, qui aide, assiste,
protège, tire profit de la prostitution d’autrui, embauche, entraîne,
détourne une personne en vue de la prostituer est punie par 7 ans
d’emprisonnement et 150 000 euros d’amendes.

("notamment pour les millions de handicapés qui n’ont pas la chance de
se déplacer seuls et d’aller à la rencontre d’une fille de joie".)
Cette mesure symboliserait pour eux "le droit à une vie sexuelle
épanouie". Certains y voient un "réconfort".

III. En conclusion,

 
Apartir du constat que la France est en retard concernant les
modalités a appliquer pour résoudre les problèmes sexuels des personnes
handicapées, alors que certains pays ont réglé ces problèmes de
manières différentes, certes plus ou moins partiellement, je pense
qu’il est possible de mettre en place une politique d’assistant sexuel
au bénéfice des personnes handicapées, mais uniquement dans le cadre
d’un projet à l’échelon Européen, gérée par un groupe de référent dont
les objectifs seront:
continuer le militantisme
pour que les représentations sociales de la personne handicapée
changent et évoluent, de façon à avoir une reconnaissance absolue de la
personne handicapée et de ses besoins sexuels
– mettre en place un débat éthique
autour de la question qu’est ce que la relation d’aide, jusqu’ou
pouvons nous aller, pourquoi avons nous peur de donner du plaisir au
corps?… alors que nous n’avons aucune appréhension à le faire souffrir
– élaborer le cadre juridique de fonctionnement de l’assistant sexuel
– travailler des amendements aux textes de loi sur la prostitution et le proxénétisme
– Harmoniser les pratiques d’intervention
– Harmoniser les sources de financements
– Coordonnée les politiques sociales
– Définir les critères de recrutement, l’encadrement, les indicateurs d’évaluation de l’assistant sexuel
L’organisation d’une association
en France ne verra le jour que si l’élaboration de ce projet s’organise
à partir d’une étude d’un groupe de réflexion éthique Européen, que si
ce projet d’assistant sexuel est clair, précis, coordonné, harmonisé à
l’échelon Européen. De façon à ce qu’enfin il y ait une réponse aux
besoins incontestables des personnes handicapées. L’assistant sexuel
peut-être une réponse à la souffrance qu’engendre l’abstinence, la
solitude affectif et sexuel des personnes handicapées.
L’intelligence est l’arme la plus redoutable dont disposent les
humains, elle les conduit à se poser des questions, à imaginer des
réponses, à orienter leurs forces vers les buts qu’ils se donnent…
donnons nous ce but.

Anne Doat Sexo-pédagogue, responsable de projet

Notes
1. Cela est clairement précisé par les textes relatifs à la
bioéthique, tels que la Déclaration universelle sur le génome humain et
les droits de l’homme de l’UNESCO (1997), la Convention sur les droits
de l’homme et la biomédecine du: Conseil de l’Europe 1997, Charte européenne des droits fondamentaux intégrée dans le traité de Rome de 2004 et clairement inspirée par la Convention européenne des droits de l’homme de 1950. Le premier article de la Charte y est consacré à la dignité humaine et est clairement inspiré par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948. (Retour au texte)

Voir aussi
Les handicapés veulent des «aidants sexuels» sur le site de la Dépêche.