Accessibilité : osons le pragmatisme !

auteur : Jean-Philippe Lamarche, secrétaire national du CDH, membre de Synergie. Blessé médulaire, il s’investit depuis longtemps dans le domaine du handicap. Cet article va être diffusé dans plusieurs publications "professionnellles" (du bâtiment), et il nous a autorisé à le publier.

Habituellement, c’est la nuit qu’ils marchent .C’est la nuit qu’ils ne rencontrent aucun ou très peu d’obstacles les empêchant de faire comme tout le monde : se lever, se laver, déjeuner, aller chercher un emploi, participer à la vie sociétale, faire du sport,…

Il faut dire que la nuit, ils rêvent et écrivent forcément une meilleure vie sur l’écran noir de leurs nuits blanches. Bien meilleure en tout cas que celle qui les attend dès le matin dans un monde qui s’avère être un véritable labyrinthe pour eux, livrés quotidiennement au parcours du combattant. Labyrinthe dans lequel ils doivent anticiper leur moindre déplacement.

Un grand manège affairé faisant des points-fixes

Le handicap semble ne laisser personne indifférent. Tout le monde, tant citoyens que politiques de tous bords, y paraît sensible car conscients du fait réel que  les épreuves induites peuvent dès demain les toucher directement ou indirectement.

C’est pourquoi tout le monde paraît s’y impliquer : détenteurs des pouvoirs législatif et réglementaire, associations (malheureusement dites) dites représentatives du handicap, métiers du Bâtiment… Mais ces acteurs, apparemment placés sur un des grands manèges, paraissent se complaire à la réalisation de points-fixes épisodiques.

Sans juger des compétences et des organisations des uns et des autres, reconnaissons cependant que seules les personnes en situation de handicaps et fragilisées peuvent en connaissance de cause reconnaître les bienfaits des solutions proposées, puis apportées.

Prenons le simple exemple du travail : loin de se poser la question si elles sont réellement reconnues pour leurs compétences quand elles recherchent un emploi voyons si l’on n’en fait pas des personnes dépendantes, assistées (sous-assistées) du fait de notre inertie ?  Ne crée t’on pas, faute de savoir s’organiser et agir, des situations de sur-handicap pour elles ?

Et puis, cette accessibilité dont on parle tant, pourquoi n’en fait-on pas une composante du développement durable ? On n’agit qu’au coup par coup oubliant qu’outre l’emploi, le tourisme et la culture… tous les thèmes ne font que démontrer la transversalité de la question du handicap et l’utilité, voire la nécessité de tout (re)grouper sous un seul binôme « citoyenneté » et « accessibilité ».

Une obligation de moyens, évidente fabrique de parapluies et d’effets d’annonce

La difficulté pour une personne fragilisée –par une situation de handicap ou tout bonnement par une dépendance face à la loi et aux réglementations– réside dans une application qui privilégie l’obligation de moyens par rapport à l’obligation de résultats.

En d’autres termes, les différents acteurs, initiateurs, maîtres d’ouvrage, contrôleurs, concepteurs et entrepreneurs cherchent avant tout à ne pas avoir commis de faute dans leur mission, à ne pas devoir supporter une responsabilité en cas de non conformité et/ou de sinistre.

Documents papiers à l’appui, bien entendu, pour les uns, cela consiste à avoir bien informé les autres des règlements, pour les autres à avoir bien procédé aux divers contrôles et bien informé les « contrôlés » des manquements ; enfin c’est souvent dans une autorisation provisoire en attente de travaux qu’un responsable d’établissement trouve sa sécurité mentale.

En l’absence de mise en œuvre de solution un problème reste entier : de ce fait, tout texte devrait dans la mesure du possible se traduire par une réponse complète et rapide. Il ne s’agit pas de produire de nouveaux textes ou de compléter ceux qui existent, il faut simplement imaginer la personne qui ne peut être autonome car une marche, un trottoir, une porte trop étroite…,  lui interdisent l’accès  à un service. En réalité, c’est le bâtiment qui est handicapé par rapport à l’utilisateur. Se justifier des raisons pour lesquelles rien n’a bougé serait scandaleux et ne peut être entendu de celui pour qui la loi était faite.

La loi du 11 février 2005 est porteuse de beaucoup d’espoir. Elle est applicable à compter du 1er janvier 2007 mais le législateur ne l’a pas accompagnée des outils d’aide à la décision. Comment expliquer que l’accessibilité sera obligatoire partout dans 10 ans ? Plus de quatre années se sont écoulées et, à ce jour, pléthore de diagnostiqueurs et autres formateurs en accessibilité courent les rues, se permettant de facturer à des montants non justifiés et, de plus, sans aucun agrément des Pouvoirs Publics. Une telle situation est-elle bien raisonnable ?

Comment interpréter la mise en place de priorités dans une commune alors que la municipalité considère que celles-ci feront partie des obligations du futur mandat ? Ces dates butoirs et délais existent -ils dans d’autres pays ? Et ne seraient-ils dans notre pays que des points de repère que l’on déplace facilement ?

Dans de nombreux pays, on impose tout simplement à tous les acteurs concernés, la mise en œuvre d’une politique d’accessibilité définie à compter d’une date déterminée. Les moyens financiers mis en œuvre seraient plus utiles dans l’action que dans un travail de commissions sans cesse entretenu qui autorise officiellement le report d’exécution et rend les quelques actions de plus en plus opaques.

Cela serait bien évidemment beaucoup plus lisible et efficace aussi chez nous d’imposer de suite la résolution de certains problèmes et la mise en travaux sans délais.

On peut penser que les moyens financiers mis en œuvre seraient plus utiles dans l’action que dans un travail de commissions sans cesse entretenu qui autorise officiellement le report d’exécution et rend les actions de plus en plus opaques.

L’effet d’annonce est de toute évidence la pire des choses pour celui qui se rend vite compte qu’il ne pourra pas avoir une réponse à ses difficultés quotidiennes.

Des personnes handicapées actives et en veille

Si l’Internet concourt souvent, au plus grand plaisir de certains dirigeants, à rendre les citoyens impuissants, isolés, coupés les uns des autres, cela n’agit que très peu en ce sens sur les personnes en situation de handicap qui, pour la plupart, ont un objectif en commun : refuser la rupture du lien social. En échangeant beaucoup sur le net elles mettent un coup de projecteur appuyé sur la problématique du handicap et deviennent non plus spectateurs mais acteurs de leur vie. Elles fuient maintenant les associations qui, sur le manège mentionné plus haut, ne travaillent que pour une seule chapelle, quand ce n’est pas pour celles de leurs dirigeants.

Il faudrait, bien loin de la « hiérarchie » et de ses voies, estomper la concurrence au profit de la coopération, développer des interactions qui tendront à faire comprendre que ce qui profite aux personnes en situation de handicap profite à tout le monde. Dans de nombreux pays anglo-saxons, les appels au civisme sont nombreux qui demandent aux citoyens d’indiquer aux bureaux des Ressources Humaines de leur communauté, les difficultés d’accès… Ces citoyens porteurs ou non de handicaps échangent aussi avec les élus sur les problèmes et les obstacles  rencontrés, sans être obligé d’appartenir à une association.

Quand des acteurs jouent le jeu, hors manège…

Des solutions techniques proposées repoussent les limites des technologies pour favoriser l’accessibilité des bâtiments et à la vie quotidienne aux personnes en situation de handicap mais aussi à nos aînés. Cette recherche de qualité d’usage génère un confort d’usage pour tous.

Au-delà de l’enjeu sociétal de ces réglementations, dont les dates de mise en œuvre sont imposées par le législateur, il est plus qu’évident que la réalisation des travaux de mise en accessibilité de notre pays permettra le soutien d’une activité économique, particulièrement à la peine aujourd’hui.

Outre le fait de devenir désabusés rapidement, ces acteurs, dont de grandes enseignes, ne risquent ils pas de s’essouffler financièrement en attendant une décision ?

Un groupe de travail se pose par ailleurs la question : « Pourquoi ne pas prendre en considération le fond de la Loi d’Adrien Spinetta sur le dommage ouvrage, qui a pour objectif de protéger les particuliers vis-à-vis des professionnels ? » ; et alors envisager sur les chantiers et à la réception des ouvrages (de promotion privée), que l’assureur inflige les mêmes pénalités concernant les malfaçons et/ou non-conformités en Accessibilité et Adaptabilité, comme pour les autres  techniques traditionnelles telles la solidité des ouvrages, les isolations acoustique et thermique, la sécurité des personnes, …, constatées par les bureaux de contrôle et que ces mêmes assureurs contraignent à la remise en ordre afin que les utilisateurs n’en soient pas pénalisés ?

Conjointement à cette carence, il serait nécessaire également de redéfinir la mission du bureau de contrôle, normalisateur de risques qui, actuellement, n’a qu’une mission aléatoire et non obligatoire tant en Accessibilité qu’en Adaptabilité ; premier intervenant sur un projet, premier à être appelé par le maître d’ouvrages et honoré de la mission de normalisation de risques,  le bureau de contrôle a pour objectifs d’assurer pour les maîtres d’ouvrages : 1/ un examen des pièces écrites 2/ un suivi du chantier  avec respect des Règles de l’Art et des Normes constructives 3/ une réception des travaux en conformité avec les décision et prescription initiales 4/ une maintenance des installations et équipements, un bâtiment vieillit et peut également avoir des changements de destination 5/ un contrôle périodique, systématique ou aléatoire, durant l’exploitation du bâtiment afin d’être sûr que des travaux d’urgence ne viennent pas modifier l’Accessibilité et l’Adaptabilité des lieux.

Il s’agit d’oser et de faire des choix…

La loi et les règlements, quand les décrets, arrêtés et circulaires ont été établis, devraient s’inscrire dans une obligation de résultats  et les responsables rester en situation d’échec tant que les solutions ne sont pas appliquées.

Pour aller vers des progrès, il faudrait qu’élus, décideurs et personnels des administrations soient un tant soit peu capables de pouvoir se sentir en état d’insécurité mentale face à leurs responsabilités et s’opposer à toute forme de justification considérée comme bien française et dite d’ouverture de parapluie. D’autant plus quand ceux qui sont sous le parapluie sont des « dormants » qui se complaisent sur le manège, voire même s’empêchent d’agir pour ne pas être tenu responsable d’une action constructive : « empressons-nous de ne rien faire » leur permet d’assurer la pérennité de leur fonction.

Les lois votées sont souvent l’aboutissement d’un long combat raison de plus pour qu’elles ne débouchent pas sur un long parcours où la désespérance succède à l’attente indéfinie

Il faut aussi transformer les passagers du manège en équipe dynamique

Sans vouloir aller jusqu’à changer tous les passagers du manège, recherchons les compétences et invitons principalement les élus (politiques et associations capables d’actions) à représenter réellement tous les citoyens concernés, invitons les aussi à Communiquer réellement et éviter de ne satisfaire que des fans relayeurs de mots et petites phrases généralement bien loin des problèmes réels des français.

Oser le pragmatisme, c’est créer une synergie en regroupant autour de l’accessibilité toutes les intelligences et compétences capables d’actions –autant particuliers qu’associations et partis politiques, personnes en situation de handicap, personnes âgées et Acteurs de leur reconnaissance et de leur mieux-être dans les domaines du social, médical et culturel… — dans le but de redonner dignité et liberté de choix aux personnes en situation de handicaps et fragilisées et de favoriser leur insertion/maintien/participation dans la société.

Au-delà des clivages politiques rencontrés habituellement, je suis persuadé que comme dans de nombreux autres domaines, qu’un consensus est possible sur la prise en compte de l’accessibilité dans la politique nationale.

Et rappelons nous que, loin des effets d’annonce, il est nécessaire dans la communication sociale de parler vrai, de partager avec l’autre dans un grand respect, de réfléchir certes, mais surtout sans oublier qu’agir devient de plus en plus impératif dans un monde où le prévisible et l’imprévisible se côtoient.