Les politiques publiques de prise en charge de la vieillesse 

        Une comparaison France-Japon (1962-2005)

Par Bernard Ennuyer, Directeur d’un service d’aide à domicile, Docteur en sociologie, Enseignant à Paris Descartes

Le 28 février 2008, Miyako Nakamura Fujimori soutenait, à l’Université Paris 5 Descartes, sa thèse de sociologie dirigée par Anne-Marie Guillemard. Le présent texte est un résumé de ce remarquable travail de comparaison entre les politiques publiques de prise en charge de la  vieillesse menées en France et au Japon depuis 1962

  Avant d’aborder cette comparaison proprement dite, l’auteur dans son introduction générale insiste sur la situation particulière du Japon quant à l’emploi après la retraite. Un chiffre est à cet égard très parlant. Entre 1971 et 2001, le taux d’emploi masculin du groupe des 55-64 ans est passé en France de 73% à 41,4%, alors qu’au Japon il est passé de 85,3% à 77,5%.

Ce chiffre traduit la différence de conception de la vieillesse  entre les deux pays qui se concrétise par des logiques d’action contrastées. Contrairement à la France, au Japon la pension de retraite des travailleurs n’est considérée ni comme une garantie de ressources pour « leurs vieux jours » ni comme une régulation de la cessation de l’activité professionnelle. Cela veut dire, entre autres, que depuis les années 1960 le cumul entre travail et retraite est tout à fait légal. L’auteur affirme nettement que le mode de vie des français implique « une vieillesse au repos » alors qu’au Japon s’est imposé  le modèle d’un cumul retraite emploi qui allège le poids des dépenses sociales.

L’essentiel  de cette thèse aborde donc la comparaison des politiques vieillesses menées en France et au Japon d’abord au niveau national et ensuite à partir de leur mise en application à l’échelon local. Elle insiste aussi particulièrement sur les différences concernant la prise en charge de la « dépendance » en France et au Japon.

Du point de vue des politiques de prise en charge de la vieillesse, vue du Japon, la France apparaît comme un Etat providence développé, mais considérablement mois unifié et bismarckien que ce qu’en disent les analyses qui en sont généralement présentées. Le Japon, de son coté, qui a été longtemps considéré comme un Etat providence faible et surtout un Etat libéral dans la typologie d’Esping Andersen, apparaît comme un Etat providence considérablement fort dans le domaine de la vieillesse et particulièrement dans la prise en charge de la « dépendance » et il semble plus axé que le modèle français sur une mise à disposition de services pour la population âgée. La restriction apportée par l’auteur à cette vision d’un Etat providence fort au Japon tient au fait que ceci est vrai, dit-elle, surtout pour le « médical » alors il s’agit plutôt d’une «  Famille providence » pour le social.

Selon l’auteur, le Japon a mené des politiques en faveur du médical car celui-ci permet une analyse dépenses/ recettes que le social supposé ne pas faire de bénéfice ne permet pas. En clair l’investissement dans le médical est plus rentable que dans le social d’autant plus que le médical contribue au développement de  l’industrie pharmaceutique et de l’appareillage médical. D’où des excès de médicalisation des politiques publiques dans le champ de la prise en charge des populations vieillies et notamment une présence importante de cette population dans les hôpitaux généraux inadéquats à son mode de vie.

En ce qui concerne la question de la prise en charge de la « dépendance », l’auteur rappelle qu’une assurance dépendance, promulguée le 17 décembre 1997 comme 5éme mesure de sécurité sociale, est entrée en vigueur le 1er avril 2000 dans tout le pays.

Rappelons à cet égard que le vieillissement du Japon s’est produit de façon très accélérée depuis les années 1980. Les 75 ans et + représentaient en 2005, 10% de la population totale contre 8%  seulement en France.

L’originalité du Japon est que cette assurance « dépendance » a été en grande partie obtenue sous la pression des femmes revendiquant le développement des services à domicile pour les soulager … et sous la pression des dirigeants d’entreprise qui y ont vu un nouveau gisement d’investissements pour relancer la mauvaise conjoncture économique. Ces entreprises ont d’ailleurs réussi à entraver la délivrance des prestations en espèces destinées aux « aidants informels » au sein de la famille à la différence des solutions prévues notamment par l’assurance dépendance allemande et l’allocation personnalisée d’autonomie française (APA). Soulignons que le mot traduit en français par « dépendance » signifie en Japonais « prise en charge des personnes en perte d’autonomie ». La particularité de l’assurance Japonaise, au delà d’être un risque mutualisé de Sécurité sociale, est de couvrir tous les niveaux d’incapacité y compris les niveaux faibles permettant ainsi des actions de prévention. Alors que son niveau supérieur de financement était en 2007 de 2279 euros par mois contre seulement 1190 euros par mois pour l’APA, le niveau le plus faible était de 316 euros par mois permettant des actions préventives que ne prévoit pas l’APA. Il y a 8 niveaux de « dépendance » prévus dans la grille nationale du Japon.

L’assurance dépendance est gérée par les municipalités. Elle est destinée aux personnes de 40 ans et plus selon deux catégories : 40 à 64 ans et 65 ans et plus. Toutes les personnes de plus de 40 ans  sont cotisantes avec des cotisations différentes pour les 40-64 ans et les 65 ans et plus. La demande de prestation se fait à la mairie de la résidence de la personne. Ensuite il y a évaluation de la « dépendance » et un plan d’aide établi par un « care manager ». Les services d’aide et de soins comportent 12 catégories de services possibles, du secteur social, médico-social ou médical. Le ticket modérateur  est de 10% du cout des prestations. Les cotisations des 65 ans et plus (autour de 25 euros mensuels) sont fixées par les municipalités et sont déduites des pensions de retraite. 50 % du coût total des prestations sont financés par les cotisations des retraités, les 50 % restant sont financées par l’Etat (25%), les départements (12,5%) et les communes (12,5%). Il y avait  environ 3,1 millions de bénéficiaires  de   65 ans et plus en 2004 soit environ 12,5 % de cette population.

Dernière partie de ce travail, une comparaison des politiques vieillesses à partir des politiques locales. A l’issue d’un travail minutieux d’appariement pour comparer des municipalités ayant des populations similaires, l’auteur a choisi deux municipalités plutôt favorisées, la commune de Musashino au Japon et la commune de Rueil Malmaison en France, et puis deux communes plus ouvrières la commune de Kiryu au Japon et celle de Sotteville les Rouen en France.

De cette comparaison minutieuse entre les services mis en place par ces communes, il ressort que les municipalités japonaises sont beaucoup plus innovantes dans le domaine de l’action gérontologique à cause des mécanismes de financement. L’essentiel des services effectués par la municipalité sont les services nationaux financés de manière croisée par l’Etat le département et la commune. Le système Japonais se caractérise à la fois par une centralisation forte et une autonomie des municipalités qui effectuent 70% des activités de service en direction des populations âgées. Il y a donc à la fois centralisation et décentralisation  grâce notamment aux mécanismes d’autofinancement des municipalités en fonction de leurs recettes provenant des taxes locales. Les municipalités élaborent notamment des schémas globaux des politiques municipales qui visent à établir une société communautaire urbaine permettant aux vieilles personnes de «  résider dans la joie de vivre au sein de cette commune » ( Musashino). A Kiryu, le développement du soutien à domicile s’est appuyé sur les services d’aide ménagère, les centres de jour et les hébergements temporaires.

L’auteur souligne que le défi commun à venir des communes françaises et japonaises est la participation des citoyens à la vie sociale. Il semble que, tout comme en France, la loi sur les collectivités locales renforce leurs compétences et que la tendance générale à la participation des intéressés au choix des programmes de service qui les concernent se soit développée au Japon.

En conclusion l’auteur affirme que les défis posés par le vieillissement constituent un gisement d’emplois neufs et une nouvelle chance de relance économique et de développement industriel. C’est cette direction que le Japon a clairement choisie au tournant des années 1990. C’est ainsi que la loi de 1997 sur l’assurance dépendance constitue une étape importante voire fondatrice dans cette optique de voir le vieillissement comme une chance et non pas un handicap ce qui semblerait actuellement plutôt la position française à voir les discussions actuelles autour de la création d’un 5éme risque de protection sociale et d’une façon générale le regard négatif de la société française sur son vieillissement.