Précisions sur l’humanitude et autres approches relationnelles
Dans le champ gérontologique, l’actuel succès, souvent relayé par les médias, de certaines philosophies de soin et approches dites « relationnelles » ou « non-médicamenteuses », pourrait faire oublier quelques évidences qu’il faut donc rappeler :
Il existe de nombreuses philosophies de soin. La philosophie de soin qu’Yves Gineste et Rosette Marescotti ont appelée "Philosophie de soin de l’humanitude" est actuellement en France l’une des plus connues – mais pas plus elle qu’une de ses consœurs ne permet d’éviter d’aller découvrir les autres et y puiser de quoi nourrir sa réflexion et sa pratique…
D’autant que – souvenez-vous… – les professionnels du prendre-soin ont souffert, pendant plusieurs décennies, de ne se voir enseigné qu’un seul modèle – qui provenait d’une sorte de compilation caricaturale des travaux de Virginia Henderson et d’Abraham Maslow. Il serait plus que dommage, maintenant que nous possédons de nombreuses sources de réflexions et de connaissances, de continuer à ne s’abreuver qu’à une seule d’entre elles !
Les philosophies de soin, comme toutes les philosophies, tendent à perdre en profondeur ce qu’elles gagnent en étendue. Autrement dit, au fur et à mesure qu’elles se répandent, elles se simplifient. Réduits à la pyramide, les travaux de Maslow ont perdu l’essentiel de leur valeur, comme réduits à quelques citations ou à quelques belles déclarations d’intention, les réflexions sur l’éthique ou sur la bientraitance perdent l’essentiel de leur substance.
Le domaine de la formation – initiale comme continue – n’échappe pas à la règle : une heure, une journée, sur l’éthique, sur la bientraitance, sur les philosophies de soin, les condamne d’emblée à être simplifiées, appauvries, vidées de la complexité, des nuances, des prudences qui seules permettent d’appréhender les relations de prendre-soin avec humilité et souplesse. D’où la nécessité, dans le seul champ des réflexions sur le prendre-soin, de ne pas se contenter des aperçus et des synthèses et d’aller puiser directement aux ouvrages de Hildegard Peplau, de Marie-Françoise Collière, de Walter Hesbeen
Plus synthétiquement, pour le lecteur vraiment pressé (dans tous les sens du terme), le livre de Suzanne Kerouac, La pensée infirmière : conceptions et stratégies, permettra au moins de replacer les différentes philosophies de soin dans leur contexte historique et de découvrir quels sont les écrits et travaux qui ont, des années 60 à aujourd’hui, inspiré les philosophies de soin contemporaines, dont celle dite « de l’humanitude ».
Rappelons également que les philosophies de soin ne constituent pas les seuls apports à la réflexion sur le prendre-soin. De nombreux aspects, psychologiques, sociologiques, politiques notamment, n’y sont que peu ou pas abordés, empêchant ainsi souvent les (futurs) soignants de penser leur métier et leur pratique en lien avec d’autres dimensions. Là encore, et pour ne citer que deux-trois pistes, évoquons l’importance des réflexions autour de la notion de « care » (en France, travaux de Patricia Paperman et Sandra Laugier), l’apport des travaux d’Axel Honneth sur la reconnaissance (reconnaissance des personnes vulnérables comme reconnaissance de celles et ceux qui en prennent soin), dans le champ philosophique les réflexions de Paul Ricoeur sur la sollicitude au sein des relations inégales, dans le domaine éthique les travaux de Jean-François Malherbe et de Michel Geoffroy. Une partie de ces travaux, comme bien d’autres non cités ici, sont évoqués dans la recommandation de l’ANESM sur la bientraitance : elle aussi constitue un apport important à la réflexion sur le prendre-soin et une invitation documentée à enrichir sans arrêt les liens entre la réflexion et la pratique (au sujet de la notion de "bientraitance", voir également cet article)
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