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Dépendance,
5e risque : faut-il espérer du Parti socialiste ?
janvier 2012
par Jérôme
P.
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François Hollande a récemment désigné son équipe de
campagne. Le « chargé du dossier personnes âgées », au sein du
« pôle Santé, social, personnes âgées et handicap », est Luc Broussy,
conseiller général du Val d’Oise et directeur de publication d’EHPA Presse.
La présence de Luc Broussy au sein de cette équipe
nous amène donc à évoquer un rapport, passé plutôt inaperçu au moment de sa
publication, qu’il écrivit il y a quelques mois sur le sujet de la
« réforme de la dépendance ».
Un rapport qui nous interroge tout particulièrement
désormais : les opinions que Luc Broussy y exprime sont-elles uniquement
les siennes ou donnent-elles un avant-goût de la future politique du Parti
Socialiste sur ce sujet ?
Rappel : l’inégalité de
traitement des personnes handicapées selon leur âge
(La lecture de ce passage peut allégrement être sautée
par les personnes au fait des différences entre la PCH et l’APA et autres
joyeusetés de même acabit…)
Avant d’analyser quelques passages de ce rapport, un
petit rappel, sur l’une des spécificités de la France : avoir inscrit dans
ses dispositifs une mesure qui officialise de moins bien aider, accompagner,
les adultes handicapés âgés que les moins âgés.
Évoquons-la en prenant un exemple très concret.
Imaginons deux sœurs, l’une âgée de 59 ans, l’autre de 61 ans. Elles ont un
accident de voiture [1] à
la suite duquel elles se retrouvent toutes les deux dans la même situation, par
exemple de ne plus pouvoir se faire à manger ou se laver seules. Elles sont
dans la même situation de handicap mais ne vont pas disposer des mêmes aides.
Car l’une a moins de 60 ans : elle est considérée comme une adulte
handicapée. Il existe un dispositif, qu’on appelle la PCH (prestation de
compensation du handicap), destiné à financer les aides humaines et matérielles
nécessitées par les activités de la vie quotidienne que la personne ne peut
plus accomplir elle-même. Cette aide n’est pas limitée : que la personne,
selon son handicap, ait besoin de deux heures d’aide par jour ou de vingt
heures d’aide par jour, le dispositif les couvre.
L’autre sœur, qui a plus de 60 ans, n’est pas, elle,
considérée comme une adulte handicapée mais comme une personne âgée
dépendante. [2] Pas
de PCH, donc, mais un autre dispositif, réservé à ces personnes handicapées de
plus de 60 ans qu’on appelle des « personnes âgées
dépendantes » : l’APA (allocation personnalisée d’autonomie). L’APA
diffère notamment de la PCH par une particularité importante : elle
possède un montant maximum, indépendamment de la situation de la personne.
Autrement dit, si la personne handicapée a besoin de deux heures d’aide par
jour, l’APA les couvrira. Mais si elle a besoin de huit ou de vingt heures
d’aide par jour, l’APA ne les couvrira pas. Si la personne et sa famille
peuvent les payer directement, alors elle sera correctement aidée. Si elles ne
le peuvent pas, pas le choix : soit la personne va vivre chez elle en
étant en permanence en manque d’aides, soit elle va devoir entrer dans un
établissement. (On mesure bien là l’hypocrisie des politiques qui nous parlent
du « libre choix entre le domicile et l’établissement ». C’est
faux ! La plupart des vieux handicapés n’ont pas le choix puisqu’ils ne
peuvent plus être aidés à domicile passé un certain niveau de handicap.)
On a donc, officiellement inscrit dans la loi
française, un système de discrimination selon l’âge. Qui témoigne bien de la
manière dont l’âgisme est relativement banalisé et accepté dans nos sociétés.
Car imaginez que la situation dont on vient de parler, de discrimination entre
ces deux sœurs en fonction de l’âge, existe en fonction d’autres critères. Que
l’une de ces deux sœurs soit officiellement moins aidée que l’autre parce que
musulmane plutôt que catholique, ou homosexuelle plutôt qu’hétérosexuel… Ou que
les femmes handicapées ne bénéficient pas du même dispositif que les hommes
handicapés. Ça ne passerait pas ! Des associations, des citoyens, se
battraient.
Pour nos « personnes âgées dépendantes »,
peu de combattants. Certes, nous sommes quand même un certain nombre à nous
battre, mais cette discrimination n’a jamais mobilisé comme les autres
discriminations le font ou le feraient.
En 2005, une loi fut votée en France qui reconnaissait
l’aspect discriminatoire de cette inégalité de traitement entre les personnes
handicapées de moins de 60 ans et celles de plus de 60 ans, et indiquait
donc :
« Dans un délai maximum de cinq ans, les
dispositions de la présente loi opérant une distinction entre les personnes
handicapées en fonction de critères d’âge en matière de compensation du
handicap et de prise en charge des frais d’hébergement en établissements
sociaux et médico-sociaux seront supprimées. »
2010-2011 : l’espoir déçu d’un
« 5e risque »
L’année 2010 est passée et elles n’ont pas été
supprimées (sur ce sujet, voir aussi cet
article). En 2010-2011, certaines personnes eurent de nouveau
quelque espoir, en lien avec le projet annoncé par le gouvernement Fillon de ce
que l’on appelait au début le « 5e risque », en référence aux
« risques » de sécurité sociale (maladie, maternité, accident du
travail…). L’idée était de créer un risque « perte d’autonomie » avec
un dispositif unique, quel que soit l’âge, que le handicap survienne à 40 ans
ou à 70 ans. Cette idée-là a été abandonnée très rapidement par le gouvernement
Fillon, qui lui a substitué le projet d’une « réforme de la
dépendance », c’est-à-dire d’une réforme du seul dispositif qu’est l’APA –
une réforme visant à explorer puis conforter de nouveaux modes de financement,
l’objectif implicite étant que ce ne soit plus la solidarité nationale qui
seule finance le dispositif.
Ce qui se profilait : d’imposer aux personnes
âgées handicapées ce qu’on n’impose pas aux adultes handicapés plus
jeunes : de recourir à des assurances privées pour couvrir l’ensemble de
leurs besoins. Des assurances qui coûteront aux Français plus cher qu’un
système de type sécurité sociale, mais qui permettent aux gouvernements de ne
pas augmenter les cotisations sociales tout en accroissant les bénéfices des
assureurs (dont certains, comme par exemple le groupe Malakoff-Mederic, dont le
délégué général est Guillaume Sarkozy, frère de Nicolas Sarkozy, sont très
proches de l’UMP).
Âgisme
Si ce projet de réforme visait à amoindrir la
participation de la solidarité nationale pour l’ensemble des personnes
handicapées, quel que soit leur âge, on aurait un libéralisme barbare à
l’œuvre, sans âgisme. Ce qui est frappant dans ce projet de réforme c’est, une
fois de plus, qu’elle ne propose cet amoindrissement que pour les personnes
handicapées de plus de 60 ans.
Comment ne pas voir dans une telle mesure l’un des
signes que ces personnes ne sont pas considérées comme des citoyens à part
entière, devant être traitées à égalité avec les autres ?
A travers ce projet, l’UMP ne faisait qu’accroître ce
que l’État affirme sans cesse avec ces dispositifs (PCH & APA) qui
discriminent sur le seul critère de l’âge : que le bien-être, la qualité
de vie et la santé de ses citoyens de plus de 60 ans sont moins importants que
ceux de ses citoyens plus jeunes.
Le rapport de Terra Nova
En 2011, le think tank Terra Nova publie un
rapport intitulé « Pour une prise en charge solidaire et pérenne du risque
dépendance », signé par Luc Broussy. Un rapport précieux puisqu’il nous
fournit de manière très précise l’ensemble des arguments utilisés par ceux qui,
à droite comme à gauche, s’opposent à la convergence et à la disparition de la
barrière discriminatoire des 60 ans. Un rapport aujourd’hui d’autant plus
inquiétant qu’il est signé du nouveau « responsable du dossier personnes
âgées » dans l’équipe de campagne de François Hollande.
Ces arguments sont habituellement de trois types.
1. Confusion et convergence…
Un premier type d’argument, beaucoup utilisé également
ces dernières années par les membres du gouvernement Fillon, se base sur une
célèbre formule attribuée à la CNSA : « Oui à une convergence mais
sans confusion ».
Une formule qui a de l’avenir, surtout quand on la
manipule : on va voir en effet comment, en provoquant la confusion au nom
de cette non-confusion, certains vont prôner la non-convergence !
L’argument confusionnant consiste à faire croire
qu’une même prestation pour toutes les personnes handicapées, quel que soit
leur âge, empêcherait de travailler sur les situations spécifiques de chacun.
Ainsi, opposant les handicapés « jeunes » et les handicapés
« âgés », Terra Nova écrit :
« Il n’est pas absurde de penser que les
personnes désignées ici [les moins de 60 ans et les plus de 60 ans] n’ont pas toutes les mêmes
besoins et ne sont pas confrontées aux mêmes situations sociales. […]
À des situations aussi différentes doivent répondre
des dispositifs qui ne peuvent être similaires. Il convient dès lors
d’organiser des logiques d’aide véritablement adaptées à la situation que
vivent les personnes. Cette adaptation ne milite pas pour un système unique
quel que soit l’âge. […]
Apporter des réponses différentes à des situations
différentes n’a rien de discriminatoire ! »
L’argument, très jésuitique, confond (volontairement)
la question de la prestation (qui doit être la même pour tous quel que soit
l’âge, reposant sur le principe de solidarité nationale, et sans montant
maximum) et la question des dispositifs (qui doivent évidemment être différents
selon les situations). C’est un peu comme si on disait qu’un jeune enfant
atteint du cancer devant disposer de soins et d’aides différents d’une femme
enceinte et différents d’un homme ayant une cirrhose du foie, la sécurité
sociale, système unique, ne convient pas ! L’objectif d’un tel argument
est de créer la confusion… chez les citoyens qui ainsi ne voient pas clairement
l’aspect discriminatoire. [3]
Soulignons au passage que cet argument caricature
évidemment les partisans de la convergence, qui n’ont jamais plaidé pour que
soient aidées de la même manière toutes les personnes handicapées
indépendamment de leur situation, mais insistent au contraire toujours sur la
nécessaire personnalisation des aides selon la situation – une personnalisation
qui doit juste, pour être conforme au principe d’égalité, pouvoir être
accomplie avec des moyens financiers semblables que la personne aidée ait 20 ou
80 ans…
Confusion intellectuelle ?
Nous nous devons de rappeler au rédacteur de ce
rapport, qui dans un moment d’égarement a dû oublier certains de ses cours de
droit, que la discrimination n’a jamais consisté à apporter des réponses
différentes à des situations différentes (il n’est en effet pas
discriminatoire, par exemple, d’aider différemment une personne ne pouvant se
déplacer seule et une personne pouvant se déplacer mais ne pouvant pas se faire
à manger), mais bien à apporter des réponses différentes à des situations
identiques (par exemple, en ne fournissant pas à deux personnes ne pouvant se
déplacer seules le même financement d’aides au prétexte que l’une des deux est
une femme, ou a plus de 60 ans, ou est homosexuel, etc.).
2. L’autonomie, c’est que pour quand
t’es jeune !
Le deuxième type d’argument est en fait destiné à
illustrer le premier et mérite d’autant plus notre attention que s’y révèle une
forme d’âgisme particulièrement nauséabonde. L’objectif est ici, pour ceux qui
tiennent de tels propos, de prouver en quoi le handicap, avant ou après 60 ans,
est vraiment toujours et fondamentalement très différent. En voici un exemple,
issu du même rapport de Terra Nova :
« Quant un jeune handicapé doit trouver les
moyens de son autonomie pour sa vie entière, une personne âgée est en situation
de perte d’autonomie en moyenne pendant quatre ans.
La notion même d’autonomie ne peut recouvrer le même
sens pour un jeune handicapé qui doit organiser sa vie sociale et relationnelle
et une personne âgée en établissement qui souhaite terminer sa vie dans les
meilleures conditions.
Accompagner un handicapé tout au long de sa vie pour
le rendre le plus autonome possible et accompagner une personne âgée en perte
d’autonomie vers la fin de vie dans les conditions les plus dignes constituent
deux parcours qui ne font pas appel au même type d’aides. »
Étonnants propos qui, sans être basés sur autre chose
qu’une vision caricaturale de l’autonomie et de la vieillesse, affirment que
l’autonomie change selon l’espérance de vie et prétendent nous dire ce que
veulent les personnes âgées handicapées : grosso modo, passé un certain
âge (lequel ?… mystère !), nous est-il dit, on ne souhaite plus
« organiser sa vie sociale et relationnelle » mais « terminer sa
vie dans les meilleures conditions »… Dès lors, l’objectif n’est pas de
nous aider à rester le plus autonome possible, mais à nous « accompagner
vers la fin de vie ». Bref, ça le dit en tortillant du cortex, mais ça le
pense bien : un seul projet pour les vieux handicapés : mourir
bientôt !
L’ensemble des personnes qui, actuellement,
réfléchissent et travaillent sur les questions de prendre-soin se battent
justement contre de telles visions, dignes des hospices des années 1970, où
l’on occupait comme on pouvait les vieux en attendant qu’ils meurent. Se
battent justement pour que, quel que soit l’âge, chaque personne handicapée
soit aidée à vivre au mieux de ses valeurs et désirs, en respectant son
autonomie, et en accordant la même valeur à chacun, quelle que soit la proximité
de sa mort. Il est affligeant de voir un rapport contemporain ignorer de telles
réflexions et de tels travaux.
3. Les vieux handicapés, ça ne vaut
pas le coût
Mais venons-en à l’ultime argument, au vrai argument,
à celui que les deux premiers tentaient de masquer sous de spécieux
oripeaux : l’argument économique. Lequel apparaissait également à chaque
fois que, durant le travail sur le projet de « 5e risque », Mesdames
Bachelot ou Monchamp étaient un peu poussées dans leur retranchement (autant
dire rarement, vu l’incapacité crasse des journalistes français à le faire).
Lequel est très clair dans le rapport de Terra nova :
« Financièrement, une prestation unique de
compensation n’est pas non plus réaliste. […]
En 2009, en effet, 1,1 million de personnes âgées
percevaient l’APA pour un montant moyen de 406 euros à domicile et de 307 euros
en établissement. Dans le même temps, 71 000 personnes percevaient la PCH
pour un montant moyen de 980 euros. [4]
Des chiffres qui montrent trois réalités :
– les titulaires de l’APA sont quinze fois plus
nombreux que les titulaires de la PCH ; [5]
– la PCH est quant à elle d’un montant moyen près de
trois fois supérieur à l’APA, le montant des plans d’aide n’étant pas plafonné
et le « ticket modérateur » beaucoup plus faible ;
– aligner demain l’APA sur le niveau de la PCH
coûterait donc entre 5 et 8 milliards d’euros à nombre constant de
bénéficiaires… Totalement irréaliste. » [6]
Oui, que ce soit dans ce rapport de Terra Nova ou dans
certains propos de membres du gouvernement Fillon, Roselyne Bachelot notamment,
que la discrimination soit reconnue explicitement ou qu’elle soit hypocritement
masquée, l’ultime argument est bien celui-ci : mettre fin à cette
discrimination coûterait trop cher. Donc il faut la laisser perdurer.
Là encore, au-delà des questions (de choix)
économiques – ne sont jamais jugés irréalistes les sommes phénoménales
nécessaires pour renouveler sans cesse un arsenal nucléaire démesuré, pour
renflouer des banques, etc. –, c’est bien la marque de la banalisation de
l’âgisme que de pouvoir aussi aisément légitimer cette inégalité de traitement
par un « c’est financièrement irréaliste ». Si c’étaient, non les
plus de 60 ans handicapés, mais les femmes handicapées ou les catholiques
handicapées, qui se voyaient imposer une sous-prestation, on parviendrait
probablement à y mettre fin, quel qu’en soit le coût. Mais là, pour des
retraités même plus productifs, pour des « dépendants » (beurk), pour
des qui ont ce mauvais goût de nous rappeler en permanence qu’on est fragiles
et périssables…
Soit dit en passant, heureusement que nos aînés du
Conseil national de la Résistance, dans la France ruinée de 1945, n’ont pas agi
en fonction de ce qui était « financièrement irréaliste ». S’il
l’avait fait, nous n’aurions aujourd’hui ni retraites ni sécurité sociale.
Toutes ces choses que certains libéraux – de tous bords – veulent
officiellement détruire : voir notamment cet
article.
Terra Nova, la voix du Parti
Socialiste ?
De nombreux citoyens espèrent que le Parti Socialiste,
s’il vient à gagner les prochaines élections, traitera mieux ce « dossier
de la dépendance » que ne le fit le Gouvernement Fillon. Il faut donc
espérer avec eux que les opinions de Terra nova en la matière, identiques à
celles exprimées ces dernières années par Roselyne Bachelot, ne sont pas
désormais celles du Parti socialiste (dont le dernier communiqué officiel sur
la question, en juillet 2011, comportait le souhait de « la reconnaissance
d’un droit universel à la compensation de la perte d’autonomie, à tout âge de
la vie ») [7]. Si
elles le sont, cela signifie que ledit Parti, lorsqu’il gouvernera de nouveau,
ne mettra aucunement fin à cette discrimination, se contentant au mieux de
remplacer les mesures de financement ultra-libérales (assurances privées,
recours sur succession, etc.) par des mesures socio-libérales.
Convergences sans confusion
Il y a actuellement, sur ces sujets, plus de
convergences (de pensée) que de confusion, tous partis confondus. Et des
convergences suffisamment inquiétantes pour que nous les évoquions.
Convergence quant à la manière de traiter ceux
qui défendent simplement, simplement mais sans relâche et sans concession, le
respect du principe d’égalité.
On se souvient d’un ministre de l’Intérieur traitant de
« droits de l’hommiste » ceux qui lui rappelaient les principes d’une
certaine Déclaration…
Que ce soit dans le rapport de Terra Nova (« On
entend bien ceux qui, par humanisme, estime [8] que
toute distinction opérée entre handicap et dépendance s’apparente à une
“discrimination” selon l’âge. ») ou dans les propos tenus lors de
débats par Mme Bachelot, on retrouve de semblable accents : il y
aurait les politiques – eux sont évidemment réalistes – et les empêcheurs de
gouverner en rond : penseurs, intellos, humanistes, rêveurs…, qui ne
connaissent pas la réalité.
Ainsi éliminés, ainsi caricaturés en utopistes
irréalistes, ceux qui simplement rappellent que tout dispositif sous-traitant
une catégorie de citoyens est toujours intolérable, est toujours injustifiable,
même au nom du culte du Veau d’or…
Convergence quant à une vision très quantitative
de l’autonomie, en la liant à l’âge ou à l’espérance de vie : ce souci,
profondément humain, d’autonomie, ce souci profondément humain d’être respecté
comme être autonome, devient ainsi automatiquement variable selon qu’on est
jeune ou vieux, selon qu’on s’attend à mourir dans cinq ans ou dans
trente ! La valeur de l’autonomie (la valeur de la vie ?) pourrait
alors se mesurer, se quantifier.
Sans doute peut-on voir là encore le signe d’une de
ces influences profondes de l’idéologie libérale sur nos manières de
penser : quand l’autonomie, comme la santé, devient un capital qu’il faut
investir – et à quoi bon investir quand on est vieux ? Quand on est vieux,
du moment qu’on peut terminer sa vie au chaud avec des repas à heures fixes et
une télévision qui marche…
En écho :
– Ce psychanalyste expliquant : « Je ne
conseillerais pas une analyse à une personne âgée, pour une simple raison de
rentabilité : à quoi bon investir quand les jeux sont faits ?
Dépenser trois mille francs par mois pendant cinq ans, cela vaut la peine si on
a sa carrière à faire, c’est-à-dire l’avenir devant soi. Sinon, ce n’est pas
rentable. » [9]
– Martin Hirsch qui, en 2010, proposait de rétablir le
vote censitaire, mais en l’indexant sur l’espérance de vie : ainsi, le
bulletin de vote d’un citoyen ayant 30 ans d’espérance de vie aurait six fois
plus de poids que le bulletin de vote d’un citoyen ayant 5 ans d’espérance de
vie ! Si, si, véridique… (Voir sur ce sujet cet
article de l’Observatoire de l’âgisme)
Convergence aussi quant à la manière de dire
systématiquement à la place des vieux ce qu’ils sont censés vouloir et
désirer. Piège tendu à tout « spécialiste des personnes âgées »,
piège dans lequel aucun d’entre nous n’est jamais tombé, pour la bonne raison
qu’il s’offre très facilement à tous ceux qui, contrairement aux vieux les plus
fragiles, disposent d’une voix forte, et d’un auditoire. Piège dans lequel on
s’englue jusqu’au cou quand on prétend comme le fait ce rapport que The
souhait du vieux en ehpad, c’est de « terminer sa vie… »
Convergence in fine sur cette vision
caricaturale, présente également dans certains textes de la CNSA, entre le
jeune handicapé, presque toujours dépeint comme parfaitement autonome
(psychiquement), freiné par le handicap pour tout un tas de projets, ouvert aux
technologies (et les méritant), plein d’énergie, etc., et le vieil handicapé,
le « dépendant » (beurk), très souvent identifié à un modèle de malade
d’Alzheimer au stade ultime de sa maladie, chez lequel il n’y aurait plus de
désirs, plus de projets, plus d’autonomie, plus d’avenir. [10]
Des désirs pour l’avenir, il peut pourtant y en avoir
d’aussi intenses chez un vieux monsieur de 90 ans que chez un candidat à la
présidentielle. Il n’est, même, pas du tout sûr que les citoyen-ne-s de 90 ans
pensent moins à long terme que les candidats à la présidentielle.
[1] Ou
un AVC, ou toute autre maladie pouvant conduire à des incapacités.
[2]
Notons toutefois un fait intéressant : les personnes qui travaillent
peuvent demander la PCH même si elles ont plus de 60 ans. Pour être précis, il
faut donc dire que sont considérées non plus comme "adultes
handicapés" mais comme "personnes âgées dépendantes" les
retraités ou chômeurs handicapés de plus de 60 ans, et non l’ensemble des
personnes de plus de 60 ans !
[3] Une
confusion que la notion même de « dépendance » entretient largement
depuis des années, depuis qu’on s’est mis à appeler les personnes handicapées
de plus de 60 ans des « personnes âgées dépendantes », faisant ainsi
croire à beaucoup d’entre nous qu’elles seraient moins handicapées, ou auraient
moins besoin d’aides et d’accompagnement, que les adultes handicapés plus
jeunes. Rappelons le rapport du Comité de pilotage de l’année internationale
des personnes âgées (1999) : « Rien ne justifie […] d’avoir
remplacé la notion de handicap par celle de dépendance que les Français sont
seuls à utiliser, entraînant des incompréhensions dans les échanges
internationaux, professionnels et scientifiques, une réglementation fondée sur
la segmentation des politiques et contribuant à la renforcer, la ségrégation
des populations, l’inefficacité et l’inégalité des prises en charge sur le plan
des personnes, des financements et des allocations. […] La notion de dépendance
est donc un véritable vecteur d’exclusion de la société qui représente de
manière déformée et fausse la réalité des relations entre la personne
handicapée et son entourage, qui est une relation d’interdépendance et de lien
social. » Jean-Marie Palach (éd.), Une société pour tous les âges
(Rapport du Comité de pilotage de l’année internationale des personnes âgées),
Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, 1999.
[4] Ces
chiffres datent d’avant une forte montée en charge. En septembre 2011 :
129.000 bénéficiaires de la PCH et 84.000 bénéficiaires de l’ACTP (remplacée
peu à peu par la PCH).
[5] En
réalité, environ six fois plus nombreux, et non quinze…
[6] Sur
le coût que représenterait la mise en place, en France, d’un système sans
discrimination, sur le modèle du dispositif en vigueur en Allemagne,
voir : http://www.lamaisondelautonomie.com/index.php/Chroniques/100-balles.html
Un coût qui, selon Jean-Michel Caudron, ne représente
qu’environ "50 % des dépenses de publicité des entreprises
pharmaceutiques par an, 33 % de la réduction de TVA pour les restaurateurs
par an, 15 % des dépenses annuelles des français pour leurs animaux
domestiques, 10 % des dépenses annuelles des français pour les jeux
d’argent, 25 % des réductions fiscales et sociales des 10 % les plus
aisés des français utilisateurs des services à la personne, 25% de… Jérôme
Kerviel, etc." Cf. Jean-Michel Caudron, Mes voeux de 2011 recyclés
en 2012 : « J’aurais 80 ans en 2011… », en ligne à
l’adresse : http://www.lamaisondelautonomie.com/index.php/Dernieres-news/Mes-voeux-de-2011-recycles-en-2012.html
Il est important de montrer ainsi que cette mise en
place coûterait moins cher que ce que prétendent les joueurs d’apocalypse. Mais
il est important aussi de rappeler que la suppression d’une discrimination
n’est pas affaire de marchandages.
[7]
Citation complète : "Nous souhaitons la reconnaissance d’un droit
universel à la compensation de la perte d’autonomie, à tout âge de la vie. Ce
sont les incapacités réelles et propres à chaque individu qui doivent justifier
sa prise en charge, non son âge ou son lieu de résidence." Texte « Pour
une prise en charge publique et solidaire de la perte d’autonomie » –
En ligne à l’adresse : http://www.parti-socialiste.fr/articles/pour-une-prise-en-charge-publique-et-solidaire-de-la-perte-d-autonomie
Texte porteur d’espoir. Je croyais néanmoins qu’une
des différences entre un électeur et un parti, c’est que l’électeur souhaite
là où le parti s’engage.
[8]
L’orthographe est d’origine. Ce singulier révèlerait-il un fantasme :
qu’il n’existe plus qu’un seul humaniste en France ?
[9]
Cité par Gérard Lagneau, « Vieillissement et Société ». In :
Association internationale de gérontologie psychanalytique, Psychanalyse et
Vieillissement. Paris : SOPEDIM, 1980.
[10]
Il est frappant de constater qu’on retrouve presque à chaque fois que sont
évoquées, dans ces affaires de handicap/dépendance, les situations des jeunes
et des vieux, les mêmes situations et les mêmes stéréotypes. Le vieux y est
essentiellement désorienté, vivant en maison de retraite, bien entendu inactif,
n’accordant plus d’importance aux relations sociales, aux activités
associatives, politiques, culturelles, et totalement réfractaires aux
(nouvelles) technologies. Le jeune handicapé, lui, est si systématiquement
dépeint comme accordant tant d’importance à tout cela qu’on en arrive à se
demander si c’est bien un citoyen comme tant d’autres ou une sorte de sur-homme
technophile bouillonnant de projets de vie, d’activités, etc.
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