Dépendance, 5e risque : faut-il espérer du Parti socialiste ?

vendredi 6 janvier 2012

par Jérôme Pellissier (de www.jerpel.fr)

François Hollande a récemment désigné son équipe de campagne. Le « chargé du dossier personnes âgées », au sein du « pôle Santé, social, personnes âgées et handicap » [1], est Luc Broussy, conseiller général du Val d’Oise et directeur de publication d’EHPA Presse.

La présence de Luc Broussy au sein de cette équipe nous amène donc à évoquer un rapport, passé plutôt inaperçu au moment de sa publication, qu’il écrivit il y a quelques mois sur le sujet de la « réforme de la dépendance ».

Un rapport qui nous interroge tout particulièrement désormais : les opinions que Luc Broussy y exprime sont-elles uniquement les siennes ou donnent-elles un avant-goût de la future politique du Parti Socialiste sur ce sujet ?

Rappel : l’inégalité de traitement des personnes handicapées selon leur âge

(La lecture de ce passage peut allégrement être sautée par les personnes au fait des différences entre la PCH et l’APA et autres joyeusetés de même acabit…)

Avant d’analyser quelques passages de ce rapport, un petit rappel, sur l’une des spécificités de la France : avoir inscrit dans ses dispositifs une mesure qui officialise de moins bien aider, accompagner, les adultes handicapés âgés que les moins âgés.

Évoquons-la en prenant un exemple très concret. Imaginons deux sœurs, l’une âgée de 59 ans, l’autre de 61 ans. Elles ont un accident de voiture [2] à la suite duquel elles se retrouvent toutes les deux dans la même situation, par exemple de ne plus pouvoir se faire à manger ou se laver seules. Elles sont dans la même situation de handicap mais ne vont pas disposer des mêmes aides. Car l’une a moins de 60 ans : elle est considérée comme une adulte handicapée. Il existe un dispositif, qu’on appelle la PCH (prestation de compensation du handicap), destiné à financer les aides humaines et matérielles nécessitées par les activités de la vie quotidienne que la personne ne peut plus accomplir elle-même. Cette aide n’est pas limitée : que la personne, selon son handicap, ait besoin de deux heures d’aide par jour ou de vingt heures d’aide par jour, le dispositif les couvre.

L’autre sœur, qui a plus de 60 ans, n’est pas, elle, considérée comme une adulte handicapée mais comme une personne âgée dépendante. [3] Pas de PCH, donc, mais un autre dispositif, réservé à ces personnes handicapées de plus de 60 ans qu’on appelle des « personnes âgées dépendantes » : l’APA (allocation personnalisée d’autonomie). L’APA diffère notamment de la PCH par une particularité importante : elle possède un montant maximum, indépendamment de la situation de la personne. Autrement dit, si la personne handicapée a besoin de deux heures d’aide par jour, l’APA les couvrira. Mais si elle a besoin de huit ou de vingt heures d’aide par jour, l’APA ne les couvrira pas. Si la personne et sa famille peuvent les payer directement, alors elle sera correctement aidée. Si elles ne le peuvent pas, pas le choix : soit la personne va vivre chez elle en étant en permanence en manque d’aides, soit elle va devoir entrer dans un établissement. (On mesure bien là l’hypocrisie des politiques qui nous parlent du « libre choix entre le domicile et l’établissement ». C’est faux ! La plupart des vieux handicapés n’ont pas le choix puisqu’ils ne peuvent plus être aidés à domicile passé un certain niveau de handicap.)

On a donc, officiellement inscrit dans la loi française, un système de discrimination selon l’âge. Qui témoigne bien de la manière dont l’âgisme est relativement banalisé et accepté dans nos sociétés. Car imaginez que la situation dont on vient de parler, de discrimination entre ces deux sœurs en fonction de l’âge, existe en fonction d’autres critères. Que l’une de ces deux sœurs soit officiellement moins aidée que l’autre parce que musulmane plutôt que catholique, ou homosexuelle plutôt qu’hétérosexuel… Ou que les femmes handicapées ne bénéficient pas du même dispositif que les hommes handicapés. Ça ne passerait pas ! Des associations, des citoyens, se battraient.

Pour nos « personnes âgées dépendantes », peu de combattants. Certes, nous sommes quand même un certain nombre à nous battre, mais cette discrimination n’a jamais mobilisé comme les autres discriminations le font ou le feraient.

En 2005, une loi fut votée en France qui reconnaissait l’aspect discriminatoire de cette inégalité de traitement entre les personnes handicapées de moins de 60 ans et celles de plus de 60 ans, et indiquait donc :

« Dans un délai maximum de cinq ans, les dispositions de la présente loi opérant une distinction entre les personnes handicapées en fonction de critères d’âge en matière de compensation du handicap et de prise en charge des frais d’hébergement en établissements sociaux et médico-sociaux seront supprimées. »

2010-2011 : l’espoir déçu d’un « 5e risque »

L’année 2010 est passée et elles n’ont pas été supprimées (sur ce sujet, voir aussi cet article). En 2010-2011, certaines personnes eurent de nouveau quelque espoir, en lien avec le projet annoncé par le gouvernement Fillon de ce que l’on appelait au début le « 5e risque », en référence aux « risques » de sécurité sociale (maladie, maternité, accident du travail…). L’idée était de créer un risque « perte d’autonomie » avec un dispositif unique, quel que soit l’âge, que le handicap survienne à 40 ans ou à 70 ans. Cette idée-là a été abandonnée très rapidement par le gouvernement Fillon, qui lui a substitué le projet d’une « réforme de la dépendance », c’est-à-dire d’une réforme du seul dispositif qu’est l’APA – une réforme visant à explorer puis conforter de nouveaux modes de financement, l’objectif implicite étant que ce ne soit plus la solidarité nationale qui seule finance le dispositif.

Ce qui se profilait : d’imposer aux personnes âgées handicapées ce qu’on n’impose pas aux adultes handicapés plus jeunes : de recourir à des assurances privées pour couvrir l’ensemble de leurs besoins. Des assurances qui coûteront aux Français plus cher qu’un système de type sécurité sociale, mais qui permettent aux gouvernements de ne pas augmenter les cotisations sociales tout en accroissant les bénéfices des assureurs (dont certains, comme par exemple le groupe Malakoff-Mederic, dont le délégué général est Guillaume Sarkozy, frère de Nicolas Sarkozy, sont très proches de l’UMP).

Âgisme

Si ce projet de réforme visait à amoindrir la participation de la solidarité nationale pour l’ensemble des personnes handicapées, quel que soit leur âge, on aurait un libéralisme barbare à l’œuvre, sans âgisme. Ce qui est frappant dans ce projet de réforme c’est, une fois de plus, qu’elle ne propose cet amoindrissement que pour les personnes handicapées de plus de 60 ans.

Comment ne pas voir dans une telle mesure l’un des signes que ces personnes ne sont pas considérées comme des citoyens à part entière, devant être traitées à égalité avec les autres ?

A travers ce projet, l’UMP ne faisait qu’accroître ce que l’État affirme sans cesse avec ces dispositifs (PCH & APA) qui discriminent sur le seul critère de l’âge : que le bien-être, la qualité de vie et la santé de ses citoyens de plus de 60 ans sont moins importants que ceux de ses citoyens plus jeunes.

Le rapport de Terra Nova

En 2011, le think tank Terra Nova publie un rapport intitulé « Pour une prise en charge solidaire et pérenne du risque dépendance », signé par Luc Broussy. Un rapport précieux puisqu’il nous fournit de manière très précise l’ensemble des arguments utilisés par ceux qui, à droite comme à gauche, s’opposent à la convergence et à la disparition de la barrière discriminatoire des 60 ans. Un rapport aujourd’hui d’autant plus inquiétant qu’il est signé du nouveau « responsable du dossier personnes âgées » dans l’équipe de campagne de François Hollande.

Ces arguments sont habituellement de trois types.

1. Confusion et convergence…

Un premier type d’argument, beaucoup utilisé également ces dernières années par les membres du gouvernement Fillon, se base sur une célèbre formule attribuée à la CNSA : « Oui à une convergence mais sans confusion ».

Une formule qui a de l’avenir, surtout quand on la manipule : on va voir en effet comment, en provoquant la confusion au nom de cette non-confusion, certains vont prôner la non-convergence !

L’argument confusionnant consiste à faire croire qu’une même prestation pour toutes les personnes handicapées, quel que soit leur âge, empêcherait de travailler sur les situations spécifiques de chacun. Ainsi, opposant les handicapés « jeunes » et les handicapés « âgés », Terra Nova écrit :

« Il n’est pas absurde de penser que les personnes désignées ici [les moins de 60 ans et les plus de 60 ans] n’ont pas toutes les mêmes besoins et ne sont pas confrontées aux mêmes situations sociales. […]

À des situations aussi différentes doivent répondre des dispositifs qui ne peuvent être similaires. Il convient dès lors d’organiser des logiques d’aide véritablement adaptées à la situation que vivent les personnes. Cette adaptation ne milite pas pour un système unique quel que soit l’âge. […]

Apporter des réponses différentes à des situations différentes n’a rien de discriminatoire ! »

L’argument, très jésuitique, confond (volontairement) la question de la prestation (qui doit être la même pour tous quel que soit l’âge, reposant sur le principe de solidarité nationale, et sans montant maximum) et la question des dispositifs (qui doivent évidemment être différents selon les situations). C’est un peu comme si on disait qu’un jeune enfant atteint du cancer devant disposer de soins et d’aides différents d’une femme enceinte et différents d’un homme ayant une cirrhose du foie, la sécurité sociale, système unique, ne convient pas ! L’objectif d’un tel argument est de créer la confusion… chez les citoyens qui ainsi ne voient pas clairement l’aspect discriminatoire. [4]

Soulignons au passage que cet argument caricature évidemment les partisans de la convergence, qui n’ont jamais plaidé pour que soient aidées de la même manière toutes les personnes handicapées indépendamment de leur situation, mais insistent au contraire toujours sur la nécessaire personnalisation des aides selon la situation – une personnalisation qui doit juste, pour être conforme au principe d’égalité, pouvoir être accomplie avec des moyens financiers semblables que la personne aidée ait 20 ou 80 ans…

Confusion intellectuelle ?

Nous nous devons de rappeler au rédacteur de ce rapport, qui dans un moment d’égarement a dû oublier certains de ses cours de droit, que la discrimination n’a jamais consisté à apporter des réponses différentes à des situations différentes (il n’est en effet pas discriminatoire, par exemple, d’aider différemment une personne ne pouvant se déplacer seule et une personne pouvant se déplacer mais ne pouvant pas se faire à manger), mais bien à apporter des réponses différentes à des situations identiques (par exemple, en ne fournissant pas à deux personnes ne pouvant se déplacer seules le même financement d’aides au prétexte que l’une des deux est une femme, ou a plus de 60 ans, ou est homosexuel, etc.).

2. L’autonomie, c’est que pour quand t’es jeune !

Le deuxième type d’argument est en fait destiné à illustrer le premier et mérite d’autant plus notre attention que s’y révèle une forme d’âgisme particulièrement nauséabonde. L’objectif est ici, pour ceux qui tiennent de tels propos, de prouver en quoi le handicap, avant ou après 60 ans, est vraiment toujours et fondamentalement très différent. En voici un exemple, issu du même rapport de Terra Nova :

« Quant un jeune handicapé doit trouver les moyens de son autonomie pour sa vie entière, une personne âgée est en situation de perte d’autonomie en moyenne pendant quatre ans.

La notion même d’autonomie ne peut recouvrer le même sens pour un jeune handicapé qui doit organiser sa vie sociale et relationnelle et une personne âgée en établissement qui souhaite terminer sa vie dans les meilleures conditions.

Accompagner un handicapé tout au long de sa vie pour le rendre le plus autonome possible et accompagner une personne âgée en perte d’autonomie vers la fin de vie dans les conditions les plus dignes constituent deux parcours qui ne font pas appel au même type d’aides. »

Étonnants propos qui, sans être basés sur autre chose qu’une vision caricaturale de l’autonomie et de la vieillesse, affirment que l’autonomie change selon l’espérance de vie et prétendent nous dire ce que veulent les personnes âgées handicapées : grosso modo, passé un certain âge (lequel ?… mystère !), nous est-il dit, on ne souhaite plus « organiser sa vie sociale et relationnelle » mais « terminer sa vie dans les meilleures conditions »… Dès lors, l’objectif n’est pas de nous aider à rester le plus autonome possible, mais à nous « accompagner vers la fin de vie ». Bref, ça le dit en tortillant du cortex, mais ça le pense bien : un seul projet pour les vieux handicapés : mourir bientôt !

L’ensemble des personnes qui, actuellement, réfléchissent et travaillent sur les questions de prendre-soin se battent justement contre de telles visions, dignes des hospices des années 1970, où l’on occupait comme on pouvait les vieux en attendant qu’ils meurent. Se battent justement pour que, quel que soit l’âge, chaque personne handicapée soit aidée à vivre au mieux de ses valeurs et désirs, en respectant son autonomie, et en accordant la même valeur à chacun, quelle que soit la proximité de sa mort. Il est affligeant de voir un rapport contemporain ignorer de telles réflexions et de tels travaux.

3. Les vieux handicapés, ça ne vaut pas le coût

Mais venons-en à l’ultime argument, au vrai argument, à celui que les deux premiers tentaient de masquer sous de spécieux oripeaux : l’argument économique. Lequel apparaissait également à chaque fois que, durant le travail sur le projet de « 5e risque », Mesdames Bachelot ou Monchamp étaient un peu poussées dans leur retranchement (autant dire rarement, vu l’incapacité crasse des journalistes français à le faire). Lequel est très clair dans le rapport de Terra nova :

« Financièrement, une prestation unique de compensation n’est pas non plus réaliste. […]

En 2009, en effet, 1,1 million de personnes âgées percevaient l’APA pour un montant moyen de 406 euros à domicile et de 307 euros en établissement. Dans le même temps, 71 000 personnes percevaient la PCH pour un montant moyen de 980 euros. [5]

Des chiffres qui montrent trois réalités :

– les titulaires de l’APA sont quinze fois plus nombreux que les titulaires de la PCH ; [6]

– la PCH est quant à elle d’un montant moyen près de trois fois supérieur à l’APA, le montant des plans d’aide n’étant pas plafonné et le « ticket modérateur » beaucoup plus faible ;

– aligner demain l’APA sur le niveau de la PCH coûterait donc entre 5 et 8 milliards d’euros à nombre constant de bénéficiaires… Totalement irréaliste. » [7]

Oui, que ce soit dans ce rapport de Terra Nova ou dans certains propos de membres du gouvernement Fillon, Roselyne Bachelot notamment, que la discrimination soit reconnue explicitement ou qu’elle soit hypocritement masquée, l’ultime argument est bien celui-ci : mettre fin à cette discrimination coûterait trop cher. Donc il faut la laisser perdurer.

Là encore, au-delà des questions (de choix) économiques – ne sont jamais jugés irréalistes les sommes phénoménales nécessaires pour renouveler sans cesse un arsenal nucléaire démesuré, pour renflouer des banques, etc. -, c’est bien la marque de la banalisation de l’âgisme que de pouvoir aussi aisément légitimer cette inégalité de traitement par un « c’est financièrement irréaliste ». Si c’étaient, non les plus de 60 ans handicapés, mais les femmes handicapées ou les catholiques handicapées, qui se voyaient imposer une sous-prestation, on parviendrait probablement à y mettre fin, quel qu’en soit le coût. Mais là, pour des retraités même plus productifs, pour des « dépendants » (beurk), pour des qui ont ce mauvais goût de nous rappeler en permanence qu’on est fragiles et périssables…

Soit dit en passant, heureusement que nos aînés du Conseil national de la Résistance, dans la France ruinée de 1945, n’ont pas agi en fonction de ce qui était « financièrement irréaliste ». S’il l’avait fait, nous n’aurions aujourd’hui ni retraites ni sécurité sociale. Toutes ces choses que certains libéraux – de tous bords – veulent officiellement détruire : voir notamment cet article.

Terra Nova, la voix du Parti Socialiste ?

De nombreux citoyens espèrent que le Parti Socialiste, s’il vient à gagner les prochaines élections, traitera mieux ce « dossier de la dépendance » que ne le fit le Gouvernement Fillon. Il faut donc espérer avec eux que les opinions de Terra nova en la matière, identiques à celles exprimées ces dernières années par Roselyne Bachelot, ne sont pas désormais celles du Parti socialiste (dont le dernier communiqué officiel sur la question, en juillet 2011, comportait le souhait de « la reconnaissance d’un droit universel à la compensation de la perte d’autonomie, à tout âge de la vie ») [8]. Si elles le sont, cela signifie que ledit Parti, lorsqu’il gouvernera de nouveau, ne mettra aucunement fin à cette discrimination, se contentant au mieux de remplacer les mesures de financement ultra-libérales (assurances privées, recours sur succession, etc.) par des mesures socio-libérales.

Convergences sans confusion

Il y a actuellement, sur ces sujets, plus de convergences (de pensée) que de confusion, tous bords confondus. Et des convergences suffisamment inquiétantes pour que nous les évoquions.

Convergence quant à la manière de traiter ceux qui défendent simplement, simplement mais sans relâche et sans concession, le respect du principe d’égalité.

On se souvient d’un ministre de l’Intérieur traitant de « droits de l’hommiste » ceux qui lui rappelaient les principes d’une certaine Déclaration

Que ce soit dans le rapport de Terra Nova (« On entend bien ceux qui, par humanisme, estime [9] que toute distinction opérée entre handicap et dépendance s’apparente à une "discrimination" selon l’âge. ») ou dans les propos tenus lors de débats par Mme Bachelot, on retrouve de semblable accents : il y aurait les politiques – eux sont évidemment réalistes – et les empêcheurs de gouverner en rond : penseurs, intellos, humanistes, rêveurs…, qui ne connaissent pas la réalité.

Ainsi éliminés, ainsi caricaturés en utopistes irréalistes, ceux qui simplement rappellent que tout dispositif sous-traitant une catégorie de citoyens est toujours intolérable, est toujours injustifiable, même au nom du culte du Veau d’or…

Convergence quant à une vision très quantitative de l’autonomie, en la liant à l’âge ou à l’espérance de vie : ce souci, profondément humain, d’autonomie, ce souci profondément humain d’être respecté comme être autonome, devient ainsi automatiquement variable selon qu’on est jeune ou vieux, selon qu’on s’attend à mourir dans cinq ans ou dans trente ! La valeur de l’autonomie (la valeur de la vie ?) pourrait alors se mesurer, se quantifier.

Sans doute peut-on voir là encore le signe d’une de ces influences profondes de l’idéologie libérale sur nos manières de penser : quand l’autonomie, comme la santé, devient un capital qu’il faut investir – et à quoi bon investir quand on est vieux ? Quand on est vieux, du moment qu’on peut terminer sa vie au chaud avec des repas à heures fixes et une télévision qui marche…

En écho :

– Ce psychanalyste expliquant : « Je ne conseillerais pas une analyse à une personne âgée, pour une simple raison de rentabilité : à quoi bon investir quand les jeux sont faits ? Dépenser trois mille francs par mois pendant cinq ans, cela vaut la peine si on a sa carrière à faire, c’est-à-dire l’avenir devant soi. Sinon, ce n’est pas rentable. » [10]

– Martin Hirsch qui, en 2010, proposait de rétablir le vote censitaire, mais en l’indexant sur l’espérance de vie : ainsi, le bulletin de vote d’un citoyen ayant 30 ans d’espérance de vie aurait six fois plus de poids que le bulletin de vote d’un citoyen ayant 5 ans d’espérance de vie ! Si, si, véridique… (Voir sur ce sujet cet article de l’Observatoire de l’âgisme)

Convergence aussi quant à la manière de dire systématiquement à la place des vieux ce qu’ils sont censés vouloir et désirer. Piège tendu à tout « spécialiste des personnes âgées », piège dans lequel aucun d’entre nous n’est jamais tombé, pour la bonne raison qu’il s’offre très facilement à tous ceux qui, contrairement aux vieux les plus fragiles, disposent d’une voix forte, et d’un auditoire. Piège dans lequel on s’englue jusqu’au cou quand on prétend comme le fait ce rapport que The souhait du vieux en ehpad, c’est de « terminer sa vie… »

Convergence in fine sur cette vision caricaturale, présente également dans certains textes de la CNSA, entre le jeune handicapé, presque toujours dépeint comme parfaitement autonome (psychiquement), freiné par le handicap pour tout un tas de projets, ouvert aux technologies (et les méritant), plein d’énergie, etc., et le vieil handicapé, le « dépendant » (beurk), très souvent identifié à un modèle de malade d’Alzheimer au stade ultime de sa maladie, chez lequel il n’y aurait plus de désirs, plus de projets, plus d’autonomie, plus d’avenir. [11]

Des désirs pour l’avenir, il peut pourtant y en avoir d’aussi intenses chez un vieux monsieur de 90 ans que chez un candidat à la présidentielle. Il n’est, même, pas du tout sûr que les citoyen-ne-s de 90 ans pensent moins à long terme que les candidats à la présidentielle.

[1] Un pôle qui contient aussi un axe "Dépendance" où figurent Danièle Hoffman-Rispal et Martine Pinville.

[2] Ou un AVC, ou toute autre maladie pouvant conduire à des incapacités.

[3] Notons toutefois un fait intéressant : les personnes qui travaillent peuvent demander la PCH même si elles ont plus de 60 ans. Pour être précis, il faut donc dire que sont considérées non plus comme "adultes handicapés" mais comme "personnes âgées dépendantes" les retraités ou chômeurs handicapés de plus de 60 ans, et non l’ensemble des personnes de plus de 60 ans !

[4] Une confusion que la notion même de « dépendance » entretient largement depuis des années, depuis qu’on s’est mis à appeler les personnes handicapées de plus de 60 ans des « personnes âgées dépendantes », faisant ainsi croire à beaucoup d’entre nous qu’elles seraient moins handicapées, ou auraient moins besoin d’aides et d’accompagnement, que les adultes handicapés plus jeunes. Rappelons le rapport du Comité de pilotage de l’année internationale des personnes âgées (1999) : « Rien ne justifie […] d’avoir remplacé la notion de handicap par celle de dépendance que les Français sont seuls à utiliser, entraînant des incompréhensions dans les échanges internationaux, professionnels et scientifiques, une réglementation fondée sur la segmentation des politiques et contribuant à la renforcer, la ségrégation des populations, l’inefficacité et l’inégalité des prises en charge sur le plan des personnes, des financements et des allocations. […] La notion de dépendance est donc un véritable vecteur d’exclusion de la société qui représente de manière déformée et fausse la réalité des relations entre la personne handicapée et son entourage, qui est une relation d’interdépendance et de lien social. » Jean-Marie Palach (éd.), Une société pour tous les âges (Rapport du Comité de pilotage de l’année internationale des personnes âgées), Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, 1999.

[5] Ces chiffres datent d’avant une forte montée en charge. En septembre 2011 : 129.000 bénéficiaires de la PCH et 84.000 bénéficiaires de l’ACTP (remplacée peu à peu par la PCH).

[6] En réalité, environ six fois plus nombreux, et non quinze…

[7] Sur le coût que représenterait la mise en place, en France, d’un système sans discrimination, sur le modèle du dispositif en vigueur en Allemagne, voir : http://www.lamaisondelautonomie.com/index.php/Chroniques/100-balles.html

Un coût qui, selon Jean-Michel Caudron, ne représente qu’environ "50 % des dépenses de publicité des entreprises pharmaceutiques par an, 33 % de la réduction de TVA pour les restaurateurs par an, 15 % des dépenses annuelles des français pour leurs animaux domestiques, 10 % des dépenses annuelles des français pour les jeux d’argent, 25 % des réductions fiscales et sociales des 10 % les plus aisés des français utilisateurs des services à la personne, 25% de… Jérôme Kerviel, etc." Cf. Jean-Michel Caudron, Mes voeux de 2011 recyclés en 2012 : « J’aurais 80 ans en 2011… », en ligne à l’adresse : http://www.lamaisondelautonomie.com/index.php/Dernieres-news/Mes-voeux-de-2011-recycles-en-2012.html

Il est important de montrer ainsi que cette mise en place coûterait moins cher que ce que prétendent les joueurs d’apocalypse. Mais il est important aussi de rappeler que la suppression d’une discrimination n’est pas affaire de marchandages.

[8] Citation complète : "Nous souhaitons la reconnaissance d’un droit universel à la compensation de la perte d’autonomie, à tout âge de la vie. Ce sont les incapacités réelles et propres à chaque individu qui doivent justifier sa prise en charge, non son âge ou son lieu de résidence." Texte « Pour une prise en charge publique et solidaire de la perte d’autonomie » – En ligne à l’adresse : http://www.parti-socialiste.fr/articles/pour-une-prise-en-charge-publique-et-solidaire-de-la-perte-d-autonomie

Texte porteur d’espoir. Je croyais néanmoins qu’une des différences entre un électeur et un parti, c’est que l’électeur souhaite là où le parti s’engage.

[9] L’orthographe est d’origine. Ce singulier révèlerait-il un fantasme : qu’il n’existe plus qu’un seul humaniste en France ?

[10] Cité par Gérard Lagneau, « Vieillissement et Société ». In : Association internationale de gérontologie psychanalytique, Psychanalyse et Vieillissement. Paris : SOPEDIM, 1980.

[11] Il est frappant de constater qu’on retrouve presque à chaque fois que sont évoquées, dans ces affaires de handicap/dépendance, les situations des jeunes et des vieux, les mêmes situations et les mêmes stéréotypes. Le vieux y est essentiellement désorienté, vivant en maison de retraite, bien entendu inactif, n’accordant plus d’importance aux relations sociales, aux activités associatives, politiques, culturelles, et totalement réfractaires aux (nouvelles) technologies. Le jeune handicapé, lui, est si systématiquement dépeint comme accordant tant d’importance à tout cela qu’on en arrive à se demander si c’est bien un citoyen comme tant d’autres ou une sorte de sur-homme technophile bouillonnant de projets de vie, d’activités, etc.