TARIFICATION : lettre ouverte aux Fédérations et Associations du secteur social et médico-social

Par olivier.poinsot

Suite au courriel adressé le 5 avril 2013 aux « têtes de réseau » et aux Associations les plus importantes du secteur social et médico-social (Adessadomicile, Alefpa, Andicat, Fédération Apajh Apf, Armée du Salut, Croix-Rouge Française, Fegapei, Fehap, Fnadepa, L’Adapt, Syneas, Synerpa, Una, Unadmr, Unafam, Unapei, Uniopss) et qui, pour l’heure, n’a pas encore reçu de réponse, la lettre ouverte suivante leur est adressée sur ce blog :

Mesdames et messieurs les Présidents,

Mesdames et messieurs les directeurs généraux,

Praticien habituel du contentieux de la tarification sanitaire et sociale depuis une quinzaine d’années, je prends la liberté de vous alerter sur la situation et le devenir des Tribunaux interrégionaux et de la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale. En effet, plusieurs évènements me paraissent de nature à justifier l’inquiétude des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) et de leurs « têtes de réseau » dans ce domaine.

D’une part, la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (CNTSS) a interrompu son activité en juin 2011 et n’a pas tenu d’audience depuis, à l’échéance du mandat des juges échevins qui la composaient. De fait, la publication de sa jurisprudence s’est également interrompue. Renseignements pris la semaine dernière auprès du secrétariat général du Conseil d’Etat, il apparaît que cette vacance est due au fait que les ministres chargés de soumettre à la Haute juridiction des listes de candidats se sont purement et simplement abstenus de le faire depuis maintenant plus de deux ans.

D’autre part, et c’est sans doute là le plus grave, il semble au vu des conclusions prononcées par les commissaires du Gouvernement lors des toutes dernières audiences des TITSS que les juridictions soient sur le point de faire évoluer leur jurisprudence dans un sens beaucoup plus sévère à l’égard des organismes gestionnaires, y compris en recourant à des constructions intellectuelles qui défient le bon sens et contredisent des solutions jurisprudentielles établies et constantes. Par exemple, alors que le caractère limitatif des enveloppes ne constituait pas jusqu’ici un motif d’abattement déterminant, il serait désormais question d’obliger l’ESSMS concerné par le contentieux de rapporter la preuve que ses demandes budgétaires n’étaient pas, par elles-mêmes, de nature à excéder l’enveloppe, ce qui constituerait du coup une exigence impossible à satisfaire (depuis le Moyen-Age, les juristes savent bien que la preuve d’un fait négatif est impossible à rapporter, c’est ce qu’on appelle la probatio diabolica). Vous pourrez obtenir confirmation de cette information auprès des représentants que vous avez désignés pour siéger dans ces Tribunaux et dont le rôle, dans ce contexte, devient prééminent.

Il est certain que le contentieux de la tarification sanitaire et sociale constitue un enjeu important du point de vue de la gouvernance publique du secteur social et médico-social. En effet, dans un système où la répartition des ressources, quel que soit le financeur, s’inscrit dans un cadre limitatif, les décisions de réformation du tarif obtenues par les organismes gestionnaires provoquent nécessairement un dépassement de l’enveloppe et font échec à la maîtrise. C’est pour cette raison qu’au milieu des années 2000, la DGAS et les DDASS ont entendu inciter très fortement les organismes gestionnaires à l’abandon des contentieux en cours, notamment à l’occasion de la négociation des contrats d’objectifs et de moyens (CPOM) et de l’instruction des dossiers de demande d’autorisation de siège social. C’est peut-être pour la même raison que les règles de composition et de fonctionnement des juridictions de la tarification ont été réformées, que leur greffe a été confié aux Cours administratives d’appel (les praticiens savent l’importance que pouvait jouer l’ancien secrétaire du Tribunal dans l’instruction des litiges) et qu’en dépit des prévisions de la loi du 2 janvier 2002, ces mêmes juridictions n’ont pas été dotées par l’autorité règlementaire du décret d’application prévu pour leur permettre de connaître des difficultés d’exécution de leurs propres décisions.

Dans le contexte budgétaire actuel, des ESSMS de plus en plus nombreux se trouvent dans une situation financière délicate. Outre les situations liées à l’historique de telle ou telle institution qui a pu voir s’installer un déficit structurel « compensé » par des reprises de résultat, des pans entiers du secteur social et médico-social sont menacés par des tendances inquiétantes (voir, entre autres exemples, la situation des centres d’hébergement et de réadaptation sociale ou CHRS, dont les taux d’évolution sont négatifs depuis plusieurs années, ou encore celle d’un tiers environ des ESAT qui sont structurellement sous-dotés).

La maîtrise budgétaire du secteur social et médico-social est évidemment un enjeu politique. Dans le temps de crise que nous connaissons, il n’est pas certain que la priorité doive être donnée à la restriction des moyens de l’action sociale. Il n’est pas davantage avéré, en dépit du taux d’évolution de l’OGD plus favorable que la moyenne mis en avant par la puissance publique, que le développement de l’offre – personnes âgées, autistes, malades d’Alzheimer, etc. – doive impérativement être financé au détriment des moyens des structures existantes. Enfin, il n’est pas inéluctable que les professionnels du secteur doivent continuer à subir les effets du déploiement de la théorie de l’agence et du new public management (développement des outils de la loi 2002-2) sans que les coûts d’agence correspondants soient financés (en matière de sécurité, de contractualisation, d’individualisation des prestations, d’évaluation, etc.).

Dans un système où la gouvernance publique continue à faire exercer par une autorité administrative unique les prérogatives de planification, d’autorisation, de contrôle et de financement – ce qui avait été dénoncé par les parlementaires, lors des débats sur le projet de loi HPST, pour des raisons évidentes de conflit d’intérêts – le recours au juge du tarif demeure le seul moyen d’une objectivation des besoins des ESSMS au regard des contraintes des autorités de tarification. Tolérer l’étouffement progressif des TITSS et de la CNTSS reviendrait à accepter que l’arbitraire l’emporte sur le droit des Associations, alors même que le Conseil d’Etat a jugé en 2008 que le droit au tarif est un droit fondamental protégé par la Convention européenne des droits de l’homme et que, par conséquent, le recours au droit et l’accès au juge sont légitimes.

Enfin, dès lors que l’insuffisance des ressources budgétaires ne pourrait plus être contestée, le système médico-social dans sa globalité prendrait les usagers en otage puisque les organismes gestionnaires n’auraient plus aucun moyen de leur garantir l’effectivité d’une qualité de prise en charge ou d’accompagnement. Plus aucune politique associative autonome ne pourrait davantage exister.

Compte tenu de ces éléments, il pourrait être opportun de rechercher un traitement politique – au sens le plus large et le plus noble du terme – de la question du contentieux de la tarification sanitaire et sociale, faute de quoi la poursuite d’une certaine action administrative pourrait bien suffire à régler, en silence, leurs comptes aux juridictions comme aux justiciables.

En vous remerciant de l’intérêt que vous voudrez bien prêter à la présente et des suites que vous pourrez lui réserver,

Je vous prie de croire, Mesdames et Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les directeurs généraux, à l’expression de ma parfaite considération,

Olivier POINSOT