Les retraites, à COR et à cri
avec l’aimable autorisation de la fondation Copernic
mars 2007 – par Michel Husson et Isaac Johsua, membres du Conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic
Une
analyse précieuse de la logique, de la genèse et de l’architecture de
la réforme des retraites. Elle montre, entre autres, combien le
discours sur le financement supposé difficile des retraites, s’appuie
sur l’absence de volonté de redistribuer des richesses très inégalement
réparties.
–>A
quelques mois du rendez-vous prévu en 2008, le dernier rapport du COR
(Conseil d’Orientation des Retraites) relance le débat et vient
rappeler que la loi Fillon ouvrait un processus de réforme permanente.
Ce rapport a été réduit à une seule recommandation : un nouvel
allongement de la durée de cotisation. Ici encore, il faudrait donc
« travailler plus longtemps », cette fois pour obtenir une
retraite décente. Mais rien ne garantit que les salariés pourront, ou
voudront, travailler plus longtemps. C’est d’ailleurs l’un des
résultats les plus explosifs du rapport : « l’allongement de la durée
d’assurance, conjugué au système de décote et de surcote, ne se traduit
pas par un décalage de même ampleur de l’âge moyen de départ en
retraite. Entre 2003 et 2020, le recul supplémentaire de l’âge moyen de
départ en retraite dû à la réforme de 2003 serait limité à 0,2
an dans le secteur privé et à 1 an ½ pour les fonctionnaires, pour des
allongements de durée d’assurance de respectivement 1 an ¾ et 4 ans
¼ ». Bref, compte tenu des incertitudes sur l’avenir les salariés et de
la situation sur le marché du travail – qui fait que 40 % seulement de
ceux qui liquident leur retraite ont un emploi – les salariés ne
travailleront qu’un peu plus longtemps et partiront à la retraite à peu
près au même âge, mais avec une pension réduite. Telle est la logique
profonde de cette « réforme ».
Le gouvernement prétend vouloir favoriser l’emploi des
seniors, mais il continue à encourager
les départs anticipés. Raphaël Hadas-Lebel, le président du COR, a
souligné cette incohérence :« Nous n’avons pas été très contents de
certaines décisions prises par le Parlement, à la demande sans doute du
patronat, sur des mesures touchant à l’emploi des seniors » (Le Monde
du 11 janvier). Il rejoint le constat de la présidente (CFDT) de
l’Unedic, Annie Thomas, sur le
« double langage du patronat, qui négocie un accord en faveur de
l’emploi des seniors d’un côté, mais agit différemment dans les
entreprises ».
L’accent mis sur l’âge de la retraite – ainsi
d’ailleurs que le projecteur braqué sur les régimes spéciaux (qui ne
représentent que 6% du total des pensions !) – dissimulent cette
réalité paradoxale : il n’y a plus aujourd’hui de problème de
financement des retraites. A l’horizon 2020, il ne reste à trouver que
0,7 point de PIB, et « entre un peu moins de 2 points et près de 5
points de PIB » à l’horizon … 2050. Ces évaluations sont
considérablement réduites par rapport aux données sur lesquelles on
raisonnait en 2003, parce que les projections de population active ont
été entre-temps révisées : natalité plus élevée, allongement de
l’espérance de vie moins rapide que prévu, recours accru à
l’immigration (100000 entrées nettes au lieu de 50000).
Certes, le déficit de la CNAV passerait de 1,9
milliards d’euros en 2005 à 2,4 en 2006, puis à
3,5 en 2007. Mais le COR insiste pour dire que ces « perspectives
dégradées » résultent d’une
« évolution de la masse salariale moins favorable » qui ne saurait
justifier de nouvelles mesures modifiant durablement le système de
retraites.
Malheureusement, cet équilibre repose aussi sur un appauvrissement
programmé des retraités, qui résulte principalement du mode de calcul
des droits à pension et d’indexation sur les seuls prix. Dans ces
conditions, le recul de l’âge de la retraite est une bombe sociale à
retardement :
il suffit de projeter dans l’avenir les carrières chaotiques actuelles
pour s’en rendre compte. Qui pourra alors se prévaloir de 40 ans de vie
active pleinement rémunérée ?
Cette fuite en avant repose sur un postulat lourd de
régression sociale. Une société solidaire nepeut pas décréter que la
part du revenu national consacré aux pensions doit être bloquée à
sonniveau actuel, alors même que la proportion des retraités est
appelée à augmenter. Il faut aucontraire ajuster la répartition des
revenus, et l’augmentation des cotisations sociales est le moyen
naturel de le faire dans un système par répartition. La restauration
d’un système solidaire passe alors par quatre mesures : indexation des
pensions sur les revenus d’activité ; garantie d’un taux de
remplacement moyen de 75 % du salaire ; retour aux 37,5 annuités de
cotisation pour avoir une retraite à taux plein ; pas de pension
inférieure au Smic. C’est possible, à moins de considérer comme
immuable la part des richesses qui va aux revenus financiers et qui ne
financeront que les retraites … des riches. Il suffit que l’intégralité
des gains de productivité retourne aux salariés – actifs et retraités –
et qu’une fraction (de l’ordre de 0,4 % par an) accompagne
l’augmentation du nombre relatif de retraités. Il y a là un choix
desociété qui est à notre portée, contrairement à tous les discours
catastrophistes qui dissimulent l’égoïsme d’intérêts sociaux étroits
derrière une prétendue fatalité démographique.
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