Vieillesse
et toxicomanie: un défi inédit pour la société et le domaine de la
santé et la société. Comment traiter les personnes toxicomanes
vieillissantes? Les institutions traditionnellement conçues pour les
personnes âgées ne sont pas particulièrement adaptées à leurs besoins,
encore moins si, à 50 ans, ces personnes sont dans l’état physique et
ont les problèmes de santé des personnes âgées.


Un regard sur le
siècle passé révèle que chaque décennie a connu sa substance phare.
Dans les années 30 et 40, c’était la morphine – à l’époque une «drogue
d’élite» -, puis les années 60 ont vu l’apparition du cannabis et du
LSD qui ont, à leur tour, cédé la place à l’héroïne, de plus en plus
consommée dans les milieux de la drogue des années 70 jusqu’au début
des années 90. L’héroïnomanie galopante de cette époque révèle
désormais ses effets. Les personnes toxicomanes qui ont survécu à leur
addiction, ou qui ont réussi à s’en sortir, vieillissent avec leur
dépendance ou avec leurs thérapies. Aujourd’hui, le patient le plus âgé
bénéficiant d’un traitement de substitution a 68 ans. Si l’on observe
les statistiques des âges de diverses institutions, on peut s’attendre
à une recrudescence de situations de ce type. L’âge moyen des personnes
hospitalisées pour toxicomanie augmente d’année en année; en 1994, il
était de 29 ans, en 2005 il est déjà de 37 ans. On retrouve cette
évolution des âges chez les habitués des lieux de consommation, et dans
les traitements de substitution avec prescription de méthadone ou
d’héroïne.

Les personnes toxicomanes vieillissent précocement

Lorsque l’on
parle de «vieux toxicomanes », il ne s’agit pas forcément de
toxicodépendants ou de patients soignés parvenus à l’âge de la
retraite. Une longue carrière de toxicomanie accélère le processus de
vieillissement à tel point que l’état de santé d’un héroïnomane de 50
ans peut correspondre à celui d’une personne de 70 ou 80 ans. Ces
personnes souffrent fréquemment d’hépatites non traitées, susceptibles
de conduire à de graves complications après 20 ans. Parmi les autres
pathologies que l’on rencontre dans le milieu des drogués, on peut
citer la tension artérielle élevée, des problèmes cardiaques (causés
par les effets secondaires indésirables de divers médicaments), des
maladies du métabolisme dues à une insuffisance du foie, le diabète,
des abcès, de l’ostéoporose, la réduction de la masse musculaire et des
blessures par chute pendant des périodes de «défonce» ou suite à des
co-médications défavorables. De même, les conséquences de modes de vies
défavorables à la santé pendant des décennies, comme le tabagisme ou la
consommation excessive d’alcool, une mauvaise alimentation et un manque
d’activité physique accélèrent le processus de
vieillissement de manière drastique chez les toxicomanes. Leur état
mental est tout aussi précaire: démence précoce et dépressions ne sont
que deux des nombreuses maladies psychiques dont souffrent ces
personnes.

Attention à la co-médication

Si, pendant un
temps, la politique de drogue était essentiellement orientée sur la
substance, la dépendance est, aujourd’hui, bien davantage considérée
comme une caractéristique de la personnalité, c‘est-à-dire comme une
pathologie psychique indépendante de la substance. Cette
«psychiatrisation» de la dépendance s’est accompagnée d’un changement
dans le traitement médicamenteux: les prescriptions de psychotropes
sont en augmentation. Toutefois, en cas de prescriptions multiples, la
prudence est de rigueur, surtout pour les personnes dépendantes les
plus âgés. Les médecins et le personnel soignant ne doivent pas
sous-estimer l’action combinée des médicaments et de l’état de santé
général, la plupart du temps mauvais, des patients toxicomanes plus
âgés.

Le
nombre croissant de personnes toxicomanes âgées ou vieillies
précocement confronte la société, et en particulier le système de
soins, à de nouvelles interrogations. Où et comment soigner
ces personnes? Dans des établissements spéciaux pour toxicomanes âgés,
dans des institutions spéciales de soins de longue durée, ou à la
maison? Il y a un déficit, non seulement en institutions de soins
adéquates et en nouveaux programmes de soin, mais aussi en offres de
formation pour le personnel soignant et en assurance qualité capables
de répondre aux exigences complexes de ce groupe de
patients. Il faudra pourtant remédier à ce déficit si l’on veut
respecter en tous points le principe des 4 piliers (prévention,
réduction des risques, thérapie et répression), quel que soit l’âge des
personnes concernées.

Thomas Egli, Section Drogues,

thomas.egli@bag.admin.ch

Source: Spectra 66