Dans le contexte actuel de remise en cause de la loi d’avril 2005 relative aux
droits des malades et à la fin de vie, il nous parait nécessaire de préciser le
point de vue de professionnels de santé ou de bénévoles d’accompagnement
impliqués au quotidien par ces questions.


Il est essentiel de réaffirmer en préalable la complexité des problèmes posés.
Ils appellent une réflexion approfondie et dépassionnée et non des solutions
simples voire simplistes. Très souvent les arguments avancés font appel à
l’émotion et à la souffrance générées par le tragique ou la perte : cette
approche émotionnelle ne nous apparaît pas suffisante dans la recherche de
réponses sages et prudentes. C’est bien une approche rationnelle a-dogmatique
et une large concertation qui doivent être proposées pour éclairer le débat
citoyen.




Les partisans d’une « légalisation de l’euthanasie » assimilent
systématiquement deux questions pourtant fondamentalement différentes : d’une
part la question du droit de chacun d’entre nous au refus de l’obstination
déraisonnable et d’autre part la question du suicide légalement assisté. Cette
confusion se retrouve de manière caricaturale dans une récente parution
adressée aux présidentiables : le livre blanc de l’ADMD (« Fin de vie : une
nouvelle loi est indispensable
» Février 2007).


Concernant la revendication de certains à un suicide légalement assisté,
il ne s’agit pas là d’un champ qui concerne directement les professionnels de
santé que nous sommes. C’est une question adressée à l’ensemble de nos
concitoyens et à leurs représentants. Il s’agirait pour ces partisans
d’organiser par la loi un droit à l’assistance au suicide. Il concernerait donc
des personnes ne souhaitant plus continuer à vivre et qui demandent à la
société de les « aider à mourir ». Chacun est libre d’approuver ou non
un tel projet de société. Notre rôle ici est d’attirer l’attention sur deux
points :

 

  • Le droit au suicide de chaque
    individu n’est pas contesté par la loi actuelle. La création d’un
    suicide légalement assisté qu’envisagent certains modifierait radicalement
    notre fonctionnement social.
  • Il n’existe aucun argument recevable
    pour que si notre société décidait de reconnaître une telle « assistance
    légale au suicide
    », cette tâche soit confiée aux professionnels de
    santé. Donner la mort ne requiert aucune compétence médicale. Les
    professionnels de santé n’assumeront donc pas ce rôle !


La question du droit au refus de l’acharnement thérapeutique (ou obstination
déraisonnable) est par contre au coeur de nos préoccupations quotidiennes.

Nous y sommes directement confrontés en tant que professionnels de santé ou
bénévoles impliqués dans l’accompagnement de malades en fin de vie notamment.
C’est pourquoi nous avons soutenu la démarche d’élaboration de la loi d’avril
2005.

Cette loi est un
élément important dans la clarification des enjeux. Elle apporte des solutions
concrètes à ces questions difficiles. Portée par la patrie des Lumières et des
Droits de l’Homme, elle a vocation à être un modèle pour l’Europe et le Monde.
Issue d’un large débat et d’un remarquable travail parlementaire, votée à
l’unanimité par l’Assemblée Nationale, elle affirme le droit fondamental pour
chaque citoyen au refus de traitements inutiles et/ou dépourvus de sens. Elle
établit clairement que c’est au sujet concerné (le malade) de décider ce qui
est ou non une obstination déraisonnable pour lui.

Qu’il soit en fin
de vie, ou qu’il soit maintenu en vie artificiellement par un artifice
technique, le malade, capable de décider pour lui-même, peut arrêter tout
traitement, y compris ceux qui, le cas échéant, le maintiennent en vie. Les
médecins ont l’obligation
de se conformer à cette décision. Lorsque le
malade n’est pas en capacité de décider pour lui-même le médecin doit
lui éviter tout ce qui peut apparaître comme de l’acharnement thérapeutique (ou
obstination déraisonnable).
Il doit pour cela s’appuyer sur les indications
laissées par le patient lui-même (avant son incapacité) notamment au travers
des directives anticipées et de la désignation d’une personne de confiance,
ainsi que sur l’avis de la famille et des proches.


Deux ans après sa promulgation il est malheureusement exact que
l’application concrète de la loi d’avril 2005 reste très imparfaite.
En
infraction avec elle, des situations d’acharnement inadmissible persistent. Il
faut appliquer la loi et non la changer !
Nos concitoyens connaissent mal cette
loi et les droits importants qu’elle leur confère.. Le pourcentage de patients
rédigeant des directives anticipées et désignant une personne de confiance est
infime. Certains professionnels de santé, également mal informés, ne savent pas
comment appliquer la loi. Les patients qui ne peuvent faire valoir leurs droits
et ne savent pas vers qui se tourner pour obtenir satisfaction.

C’est pourquoi, un
certain nombre de mesures concrètes sont indispensables :

  • Organisation d’une campagne
    nationale d’information autour des possibilités offertes par la loi en
    direction du grand public
  • Organisation d’une campagne
    nationale de sensibilisation et de formation en direction des
    professionnels de santé
  • Création d’un Observatoire des
    pratiques en matière d’obstination déraisonnable dont les missions seront
    d’évaluer l’application concrète de la loi de 2005, d’organiser
    l’information, la sensibilisation et la formation évoquées ci-dessus. Il
    devra aussi assurer un rôle d’expertise pour les professionnels de santé et
    de médiation pour les malades et leurs familles dans les cas complexes
    d’application de la loi. Il s’agira d’éviter un recours judiciaire qui
    reste aujourd’hui la seule possibilité en cas de refus manifeste
    d’appliquer la loi. Cet observatoire devra associer l’ensemble des
    sociétés savantes concernées et coordonner la mise en œuvre de
    recommandations de bonne pratique afin de préciser les champs
    d’application de la loi aux différentes réalités cliniques.


En tant que professionnels de santé et que bénévoles d’accompagnement
confrontés à la question de la fin de vie, nous pensons que l’interpellation
des candidat-e-s à la présidentielle doit se recentrer sur une question
fondamentale: quelles mesures prendre pour que soit mieux appliquée la loi sur
les droits des malades et la fin de vie ?
Cette clarification du débat nous
apparaît comme un préalable essentiel à toute prise de position.

  • Les sociétés savantes
    signataires du Plaidoyer

La Société Française
d’Accompagnement et de soins Palliatifs
(SFAP)

La Société Française de Gériatrie et de Gérontologie (SFGG) qui précise
qu’elle participera activement aux débats afin de souligner les risques de
dérive d’une dépénalisation de l’euthanasie pour la part importante de la
population que représentent les personnes âgées malades et vulnérables

La Société Française d’Anesthésie Réanimation(SFAR)

La Société Française d’Hématologie (SFH), par la voix de son Président
le Pr J-Y. Cahn

Le Groupe de Réflexion sur l’Accompagnement et les Soins de Support pour les
Patients en Hématologie et en Oncologie
(GRASSPHO), par son Président le Pr
P. Colombat

L’Association Nationale des Médecins Généralistes
exerçant à l’Hôpital Local
(AGHL), dont le conseil d’administration
s’engage aussi à soutenir le développement de la démarche palliative dans les
hôpitaux locaux