jeudi 1er mai 2008, par VALS
http://www.respublicanova.fr/spip.php?article394
L’affaire Chantal
Sébire a relancé le débat sur l’euthanasie, avec toujours la même utilisation
médiatique et émotionnelle d’une situation particulière, qui laisse la désagréable
impression d’une manipulation de l’opinion au détriment de la vérité et d’un
débat sérieux et honnête. Aussi, plutôt que de céder à l’émotion en accordant
une exception d’euthanasie, mieux vaut se poser vraiment la question de la
signification de cette « mort douce » pour notre société. Cet
article, trop court pour faire une véritable mise au point sur la fin de vie,
se contente de proposer quelques remarques pour aiguiser la réflexion sur un
sujet complexe, parce qu’il touche à la science et à la philosophie, à la
politique et à la vie privée.
Un problème lié au progrès médical et à une crise de
culture
Il faut commencer par remarquer que c’est une question qui, bien
qu’elle ait traversé l’histoire, se pose avec acuité aujourd’hui dans les pays
riches. Dans les autres pays, on n’a pas les moyens de maintenir un patient en
vie artificielle, et la mort survient de façon plus rapide, non sans mal car
les moyens de traitement anti-douleur manquent aussi. Mais la question de la
fin de vie telle qu’elle se pose aujourd’hui est clairement un problème de pays
riches en état de progrès scientifique et technologique avancé.
Dans ce contexte des pays riches et développés, la question de
l’euthanasie révèle une crise de confiance dans le progrès : les avancées
de la médecine ne sont pas sans apporter de nouveaux problèmes. Et l’on se rend
compte que la science n’a pas réponse à tout. Si elle repousse l’heure de la
mort, elle n’assure pas pour autant la qualité de cette mort, et elle ne nous en
délivre pas.
Elle est aussi le fait d’une crise culturelle forte. Notre
société de consommation effrénée n’aime pas la mort ni la souffrance… Ce qui se
comprend : la mort est toujours une terrible épreuve, et la souffrance un
mal. Seulement, dans une société du « tout, tout de suite », où la
science peut tout, on peine de plus en plus à accepter cette souffrance et à la
dire. L’individu souffrant est dans un isolement qui accentue l’absurdité de sa
situation, et son entourage reste impuissant, et même réticent à y assister. La
souffrance et la mort nous font peur, nous rendent mal à l’aise et on les cache
le plus possible dans des hôpitaux aseptisés et impersonnels. La mort a été
surmédicalisée, et on a fini par oublier que ce n’est pas qu’un phénomène physique :
c’est une expérience humaine inéluctable, mystérieuse, angoissante, et qui
d’une certaine façon se prépare. La grande souffrance des personnes en fin de
vie vient peut-être de ce qu’on ne sait plus penser la mort, la préparer,
l’accompagner. On en a fait un problème médical, mais la mort est beaucoup plus
que cela. La revendication du droit à l’euthanasie relève de cette crise
culturelle et elle la pousse à bout : par l’euthanasie, la mort est
définitivement médicalisée, c’est le médecin qui administre la mort.
Deux niveaux de la question :
La question de l’euthanasie se pose alors à deux niveaux :
– le premier niveau est collectif : Que signifie pour une
société d’accepter l’euthanasie ? Une société peut-elle se donner les
moyens d’achever les personnes en fin de vie qui le réclament ?
– le deuxième niveau est individuel, mais se pose à tous, c’est
la question primordiale de la mort et de la souffrance : Est-il légitime
de revendiquer d’être tué quand on ne peut pas se suicider ? L’euthanasie
est-elle une solution acceptable à la souffrance de la fin de vie ?
Une revendication de liberté ?
La revendication du droit à l’euthanasie apparaît le plus souvent
comme une revendication de liberté : « je considère que ma vie ne
vaut plus la peine d’être vécue, j’ai bien le droit de décider de ma mort, je
suis libre, personne ne peut m’imposer de rester en vie dans un état que
j’estime incompatible avec ma dignité, laissez-moi mourir ! » Une
telle revendication n’est-elle pas légitime dans le pays qui se targue d’avoir
pour devise « liberté, égalité, fraternité » ?
Mais le problème est plus complexe : car l’euthanasie
n’implique pas uniquement celui qui la réclame. Elle se distingue du suicide
précisément parce qu’elle en appelle à autrui. Le suicide est un acte
solitaire, l’euthanasie étend la responsabilité de la mort aux médecins et à la
famille, et c’est là que le bât blesse.
À cela, les partisans de l’euthanasie peuvent objecter que le
médecin est libre de répondre ou non à la demande d’euthanasie de son patient,
et que s’il ne veut pas porter la responsabilité de cet acte, il n’a qu’à
envoyer le patient vers un autre médecin, mais qu’il n’aurait pas le droit de
s’opposer à la liberté du patient. Le problème de l’euthanasie ne serait alors
qu’un problème de liberté individuelle. Le patient est libre de mourir, et le
médecin de l’euthanasier, personne ne contraint personne et la liberté règne en
maître…
Seulement la revendication d’euthanasie dépasse le cadre des
libertés individuelles car elle engage le corps médical tout entier. Elle ne
consiste donc pas seulement à accorder à des personnes qui veulent se suicider
mais qui ne le peuvent pas, de réaliser leur volonté de mourir. Aider à mourir
n’est pas l’équivalent d’un suicide, c’est un meurtre consenti. La question est
donc plus grave, et c’est pourquoi il est difficile de légiférer sur un tel
acte. Peut-on rendre quelqu’un légalement apte à tuer ? La revendication
d’euthanasie pose un problème de définition du rôle du médecin. Un médecin,
même en accord avec la demande de son patient, peut-il administrer la mort sans
trahir sa fonction ? Le rôle du médecin est de soigner, depuis quand la
mort est-elle une thérapie ? Elle met fin à la souffrance certes, mais au
prix de la vie. Comment peut-on légiférer sur une telle demande et rendre les
médecins aptes à tuer leurs patients s’ils le demandent ? Car c’est bien
de cela qu’il s’agit : de tuer. On pourra mettre tous les euphémismes que
l’on voudra ("euthanasie", "aide active à mourir",
"assistance médicalisée pour mourir"), le résultat reste la mort
volontaire de quelqu’un. Même si c’est le patient qui le demande, est-il
légitime d’intégrer cette pratique à la vocation du médecin qui est de
soigner ?
Mourir dans la dignité ?
Le slogan « Mourir dans la dignité » des partisans de
l’euthanasie relève d’une tromperie monstrueuse. Mourir dans la dignité
signifie en effet pour eux soit choisir le moment de sa mort avant de tomber
dans un état de trop grande dépendance, soit de demander à mourir parce qu’on n’en
peut plus. Comment affirmer qu’une personne qui veut mourir parce qu’elle ne
supporte plus son état meurt dans la dignité ? N’est-ce pas au contraire
le comble de la souffrance que de vouloir mourir ?
En réalité, mourir dans la dignité, c’est mourir en bénéficiant
de toute l’attention et de tout le soutien que mérite une personne souffrante.
C’est être traité avec respect jusqu’au bout. Et ce n’est pas respecter les
gens que de les achever. Refuser l’euthanasie, ce n’est pas priver les malades
de leur liberté, c’est leur rappeler leur dignité malgré leur grande
souffrance, c’est leur redire le respect que nous leur portons parce qu’ils
existent, qu’ils sont encore en vie, et que même cette vie-là a un sens.
On peut me faire ici une objection : c’est que, en laissant
vivre le malade qui souffre atrocement, on est en quelque sorte en train de le
torturer, et donc de lui manquer de respect, de le rabaisser, de lui ôter sa
dignité. Mais cette objection laisse supposer qu’il n’y a qu’un choix cornélien
entre l’euthanasie et l’agonie dans d’atroces souffrances. Or l’euthanasie
n’est pas la seule solution à la fin de vie. Les soins palliatifs, encore mal
connus et pas assez développés sont davantage adaptés à ce problème de la fin
de vie. Ils consistent en effet à accompagner les personnes en état de maladie
incurable et avancée par des traitements anti-douleur, et par tout un soutien
social et psychologique.
La position de l’ADMD est sur ce point très ambiguë : tout
en insistant sur la nécessité de développer les soins palliatifs, les partisans
de l’euthanasie remettent en cause leur efficacité : « Cependant,
malgré tous les progrès de la science dans les thérapeutiques, tout le
dévouement du personnel soignant, il existe toujours des douleurs que l’on ne
peut apaiser, des dégradations physiques, des pertes de fonction, des
souffrances existentielles, des angoisses qui rendent à certains leur fin de
vie intolérable. Les partisans des soins palliatifs s’accordent d’ailleurs à
reconnaître que, bien que minoritaires, il est des mourants qui ne désirent pas
être accompagnés jusqu’au bout de leur chemin. Ainsi, au nom de leur conception
de la dignité et de la liberté, certaines personnes souhaitent-elles anticiper
leur mort plutôt que de la voir prise en charge jusqu’à son échéance ultime par
un service de soins palliatifs. En effet, ceux-ci ne sont pas l’unique réponse
aux affres de la maladie incurable ou de la fin de vie ». (http://www.admd.net/droit/soins-palliatifs.htm)
C’est finalement un manque de confiance dans le progrès qui,
s’ajoutant à la revendication de liberté absolue, justifierait la légalisation
de l’euthanasie ; et plutôt que de travailler à toujours améliorer la
recherche et le traitement en fin de vie, on irait faire perdre du temps et des
moyens à administrer la mort au lieu de les utiliser à combattre la douleur et
à aider à mourir en paix. On s’interdit d’avance le progrès médical en
introduisant la possibilité d’achever les malades plutôt que de chercher à les
guérir, ou du moins à les soulager.
J’oserai même dire ce qui risque d’en choquer plus d’un, – et
j’ai conscience que je vais un peu loin car il s’agit là d’un sujet grave qui
touche les personnes dans leur chair -, mais pour moi l’euthanasie est quelque
chose comme une solution de facilité. Se confronter à sa propre souffrance, à
celle d’un proche ou à celle d’un patient, c’est terriblement difficile,
éprouvant, angoissant, et l’euthanasie aurait l’avantage d’éviter cette longue
souffrance, de refuser cet état. Attention, je ne dis pas tant cela pour les
malades dont la demande d’euthanasie peut apparaître comme un sursaut de
volonté pour voir la mort en face. Quand je parle de solution de facilité, il
s’agit du choix politique d’autoriser l’euthanasie : en l’autorisant, on
court le risque que le corps médical, la famille, la société toute entière ne
cherchent plus vraiment à accompagner la mort. L’euthanasie apparaîtra comme la
solution la plus rapide, la moins coûteuse, financièrement comme
psychologiquement. Mais je déclare qu’elle a un coût humain et culturel énorme.
C’est toute la dignité de la personne que l’on remet en cause, et c’est
davantage une fuite devant la mort qu’un acte de liberté et de compassion.
Pour comprendre cela, il faut sans doute accepter de considérer
la dignité autrement que comme un état. Elle est une propriété intrinsèque de
la personne. Elle semble en effet mise à mal dans les malades en état de
maladie avancé, mais est-ce pour autant qu’ils perdent leur dignité ? Non,
mais il faut accepter que la dignité de la liberté humaine, ce n’est pas
l’indépendance totale, la maîtrise intégrale de sa vie. La revendication de
l’euthanasie relève d’une conception de la vie très contestable : seule
une vie en parfaite indépendance et en bonne santé vaut le peine d’être vécue.
La fin de vie est alors scandaleuse car on dépend des autres, et l’on a du mal
à accepter cette dépendance. L’entourage du malade aussi a du mal à comprendre
que malgré son impuissance à soigner la personne, sa simple présence et son
écoute sont le lieu où la dignité du malade se déploie avec autant de grandeur
qu’en bonne santé. Il faut alors déceler derrière la demande d’euthanasie non
pas une revendication de liberté lucide et volontaire, mais un appel au
secours. L’appel au secours de la souffrance et de la dépendance, qui demande
simplement le respect, le soin et l’attention des autres jusqu’au dernier
souffle, ce que font les services de soins palliatifs avec de plus en plus
d’efficacité. C’est donc cette voie-là qu’il faut poursuivre pour répondre aux
souffrances de la fin de vie, pas celle de l’euthanasie. Les soins palliatifs
ont cela de très beau qu’ils ne se contentent pas du soin médical, mais qu’ils
accompagnent la mort dans toutes ses dimensions, en en refaisant un lieu
d’humanité et de respect. Mais c’est une voie exigeante, qui demande que la
société toute entière s’investisse, et pas seulement les médecins. Face au
nombre croissant de personnes en fin de vie, c’est une solidarité sociale et
intergénérationnelle qu’il faut éveiller pour que la mort reste humaine.
Commentaires récents