Leurre du 5ème risque de protection sociale
 
« La France a 30
années de retard en matière de politique de la vieillesse
 ». Nous
le répétons, avec d’autres dessillés et sensibilisés, depuis des années, mais
cette fois, c’est Xavier Bertrand, Ministre du Travail, des relations sociales,
de la famille et de la solidarité qui l’a confirmé implicitement en préambule
au plan Grand Age.

Bien. Exprimer
une telle réalité nous avait paru courageux et laisser espérer des remèdes
 propres à hisser la France en la matière, au
niveau de nos voisins, l’Allemagne, la Norvège, le Danemark, la Suède, la Belgique… L’idée
d’ajouter aux 4 risques actuels (maladie, accidents du travail – maladies
professionnelles, famille et vieillesse) un 5ème risque en faveur de
la dépendance nous paraissait être une avancée appréciable.

Car il existe à ce jour une double réalité.
Primo, le reste à charge des familles, des personnes âgées en situation
d’handicap, devient insupportable tant il croît régulièrement (ce qui
n’implique pas d’accuser les établissements, leur octroyer des moyens
indispensables légitimerait même une hausse des forfaits hébergements) mais il
existe une distorsion entre ces coûts qui augmentent d’environ 5% par an et
l’évolution des pensions qui stagnent à 1% (peut-être 1,8% fin 2008 ?). Secundo,
nos réponses à l’handicap, notamment âgé, sont défaillantes, inégales,
injustement déclinées selon le territoire et l’âge, enfin, osons le dire,
indignes, tant les moyens manquent dans un pays qui s’affiche comme étant le 5ème
le plus riche au monde.

Or, que dit le Gouvernement ? :
Il sera créé un droit « universel » face au
risque dépendance.

Mais on ne
peut parler de droit universel que lorsque celui-ci s’applique à tous, au-delà
des caractéristiques individuelles notamment de revenus, de patrimoine et
d’âge. Ce qui ne sera pas le cas, on renoue avec la funeste Prestation
Spécifique Dépendance (P.S.D.) Le seul droit universel aurait dû être décliné
selon le principe qui fonde la sécurité sociale via la solidarité nationale.

Dans une
société moderne, équilibrée et apaisée, l’accès à la compensation de la perte
d’autonomie devrait être effectivement un droit universel dès lors qu’il est
ouvert à tous, quels que soient les revenus, mais c’est en amont au niveau du
financement qu’il est nécessaire de tenir compte des disparités, notamment des
revenus.

La ficelle
est grosse : en décembre 2007, les Présidents des Conseils Généraux,
relayés par leur indéfectible allié, le Sénat, avaient souhaité que l’A.P.A.
puisse faire l’objet d’un recours sur succession. Face à la bronca, ils avaient
renoncé. Mais la tentative, expulsée par la fenêtre, revient en grande force
par la porte ministérielle, perfidement masquée puisque demain l’A.P.A. sera
ventilée non seulement selon les ressources (ce qui est déjà le cas) mais aussi
selon le patrimoine.

Quand on sait
que le succès de l’A.P.A., exempté de recours sur succession, traduit ainsi de
réels besoins, on conçoit tout à fait que demain, les personnes âgées en perte
de capacité (« dépendantes »)
préféreront renoncer à une aide qui privera leurs enfants et petits-enfants
d’un humble patrimoine qu’elles espéraient légitiment pouvoir transmettre.
Elles renonceront, donc feront l’objet d’une prise en charge au rabais. Ou
elles préféreront mourir soit, au terme de suicides traditionnels¹, ou soit au
terme de suicides masqués, par renonciation (« on se laisse mourir² »). Et quel sera le poids des familles
dans cette affaire de succession ?

En fait, le gouvernement n’a-t-il pas
recours à une sémantique ambiguë et trompeuse lorsqu’il parle de droit
universel
 ? ; il convient peut-être de lire jusqu’au bout : « droit universel… à l’accès à un plan
personnalisé d’autonomie
 ». N’oublions pas le complément, essentiel.
Mais, de quel plan s’agira-t-il si au rabais ? Car conditionné au recours à
des contrats individuels d’assurance privée où la garantie du risque
« dépendance », pour être efficiente, devra nécessairement être corrélée
à des primes substantielles dépassant les possibilités contributives de
nombreux Français. Par contre, un boulevard juteux pour les assureurs.

Enfin, on
nous promet depuis des années de moderniser et d’harmoniser les réponses à
l’handicap : on constate à ce jour que la compensation à l’handicap sera
toujours déclinée selon le cap fatidique des 60 ans puisque avant 60 ans on
sera une personne handicapée, après la personne âgée restera marquée au
sinistre, désuet, inique et infamant sceau de « la personne âgée dépendante ».
Notamment dépendante du bon cœur des autres, car on en reste à un concept de
compassion au nom de l’âge pour ceux qui ne pourront recourir à des contrats
d’assurance ou ne voudraient renoncer à hypothéquer leurs biens. Oui, toujours
de la compassion là où il conviendrait de délivrer des droits citoyens, quel que
soit l’âge. Et évidemment la pingre portion après 60 ans via ce 5ème
risque fesse-mathieu, croupion d’une authentique 5ème branche de
sécurité sociale

Nous
constatons que notre retard, s’agissant de la politique concernant les
personnes âgées, non seulement, ne faiblit pas mais s’accentue au nom d’une
double réalité : celle de la démographie avec des besoins croissants, et
celle des fausses solutions retenues.
 
Rien ne changera tant que les
gouvernements qui se succèdent n’auront pas une vue holistique, globale,
synoptique de la problématique vieillesse
, tant qu’ils poursuivront à faire
du colmatage, du rustinage, de la discrimination là où il conviendrait d’avoir un réel projet, fondé sur une conception
moderne et volontariste impliquant, il est vrai, et a fortiori, des réflexions
et décisions sur le financement où seule la solidarité nationale est une
réponse socialement acceptable, équitable et pérenne.

Il existe un abîme entre ce 5ème
risque de protection sociale tel que proposé et une authentique 5ème
branche de sécurité sociale. Hier la terminologie, selon une rouerie politique
dont on jugera eu égard à la nature de la thématique, a trompé le citoyen-électeur,
demain, concrétisé il pénalisera le citoyen-usager.

Cette
proposition manque de surcroît de vision : primo parce que le risque
dépendance va croître et devenir plus que jamais un risque de société, secundo
parce que le ver est dans le fruit puisque demain, à petits pas feutrés, le
recours au principe assurantiel l’emportera sur la part de la solidarité
nationale. Mais c’est sans doute l’objectif.

Bref, « L’individu qui pense contre la société qui
dort, voilà l’histoire éternelle et le printemps aura toujours le même hiver à
vaincre 
» (Alain,
Emile-auguste Chartier dit)

Dr Guy Pétin, Président de l’ASAPAR

Le 18.06.08

¹Les hommes, à partir de 85 ans,
en France, se suicident 4 fois plus fréquemment que chez nos voisins.

²«Les vieillards meurent parce qu’ils ne sont plus aimés »
(Henry de Montherlant)