Quelques réflexions sur la maltraitance

Texte publié en 2007 en postface de l’ouvrage La maltraitance envers les personnes âgées vulnérables dirigé par Jean-Michel Caudron, Valentine Charlot et Caroline Guffens (Territorial Editions).

Les définitions et les typologies
sont nécessaires pour pouvoir repérer les actes de maltraitance au plus
vite et définir les différents moyens, en amont et en aval, de les
prévenir et de les arrêter. Pour autant, toutes les définitions, tous
les classements des maltraitances possèdent leurs limites et leurs
pièges.
L’un de ces pièges est de placer souvent sur le même plan des actes qui
relèvent d’une nature et d’un traitement tout à fait différents. C’est
ainsi, que, régulièrement, nous trouvons dans des listes de
« maltraitances », placés quasiment côte à côte, un acte comme le viol
et un acte comme l’oubli de frapper à la porte de la chambre de la
personne ; ou encore des « coups et blessures » aux côtés d’une
expression comme « papi » ou « mamie » échappée de la bouche d’un
soignant. Il serait dangereux que tous ces actes, pour être mis
ensemble dans les « maltraitances », en viennent à être considérés
comme identiques. Tout aussi dangereuse, précisons-le, serait
l’attitude consistant à considérer que les seconds, au motif que ce ne
sont pas des crimes ou des délits, seraient « moins graves »… Il est
des « Papi » ou des entrées sans autorisation dans la chambre d’une
personne, aussi graves, aussi blessants, que des coups.

L’une des limites des définitions de la maltraitance,
des maltraitances, est d’être toujours, pour pouvoir englober toutes
les situations, indépendantes de LA situation, de chaque situation.
Limite importante puisque, dans de nombreuses situations, c’est
justement l’analyse de certaines caractéristiques qui nous permettra de
considérer comme maltraitance un acte ou une absence d’acte.

Caractéristiques principales : la vulnérabilité (un coup n’est pas une maltraitance s’il est reçu par un adulte non vulnérable de la part d’un autre adulte…) ; le type de relations (un coup donné par un soignant sur un patient, même si celui-ci n’est pas vulnérable, est une maltraitance) ; la question de la durée
(ne pas frapper une fois à la porte d’une chambre, oubli, n’a ni le
même sens ni les mêmes conséquences que de ne jamais frapper à la porte
des chambres…) ; le cadre professionnel

(les professionnels possèdent des devoirs que ne possèdent pas des
voisins et l’absence d’un « bonjour » de la part d’un soignant n’est
pas du même ordre que l’absence d’un « bonjour » de la part d’un
voisin…) ; etc.

Autrement dit, aucune définition de la maltraitance ne
doit empêcher de procéder, face à une situation particulière, à une
réflexion sur la nature de l’acte commis, sur la relation dans laquelle
il s’insère, sur les conséquences, sur le type de réactions qu’il
implique. Sans cette réflexion, nous le savons, nous pourrions ne pas
réagir face à des faits semblant peu importants (ce soignant qui ne
frappe pas à la porte, « c’est quand même pas comme s’il maltraitait
cette dame », sauf… Sauf qu’à force de ne pas frapper à la porte, il a
détruit le sentiment de cette dame d’être chez elle, de posséder une
vie privée, d’être une citoyenne possédant les mêmes droits que les
autres… il a détruit chez elle le bien-être de vivre-là aussi sûrement
que s’il l’avait tous les jours frappé). Ou nous pourrions réagir trop
vite face à des faits importants (est-il sûr qu’il faille toujours
séparer rapidement des couples où l’un des conjoints maltraite l’autre…
depuis des décennies ?).

Il faut en effet insister sur l’une des particularités
de la maltraitance : elle ouvre un champ qui dépasse largement celui
des actions ou omissions que les lois évoquent. En effet, au-delà des
maltraitances « pénales » (autrement dit des crimes et des délits qui,
en plus d’être crimes et délits, sont maltraitances lorsqu’ils sont
accomplis sur une personne vulnérable), il existe un immense domaine où
des petits faits, où quelques mots, où l’absence de politesse, où
quelque indifférence, s’ils atteignent au sentiment de la personne
vulnérable d’être respectée, reconnue, entendue, peuvent devenir des
maltraitances.

suite et source

merci à Jérôme Pellissier