Démocratie ou Technocratie Sanitaire

Cette semaine est marquée par des prises de position très contestataires contre le projet de Loi Hôpital Patient Santé et Territoire (HPST) dont débat le Parlement. Un manifeste de 25 « mandarins » de l’AP-HP, opposés au projet, a recueilli l’adhésion de plus de 3000 signataires. La grogne déborde le sanitaire pour atteindre le médicosocial, « Ral’âge » de ceux qui exercent dans l’assistance aux personnes âgées.

 Une démarche fondée sur une erreur paradigmatique

Première impression : le projet HPST couvre un très vaste domaine et nous concerne tous et a pour finalité la réforme du pilotage de l’ensemble du système de santé, qui interagit avec la société entière, ne serait-ce que par l’attribution des richesses et l’orientation des talents.

Deuxième impression : les réformes, en particulier celle de l’Hôpital, sont basées sur une problématique simpliste et dogmatique, l’affirmation que pour çà marche il faut un patron et qu’alors tout ira mieux. Si le sommet est changé, l’horizon devient radieux !

En d’autre terme, pour le Gouvernement et le Président, le changement indispensable est celui de la Loi qui va transformer un ensemble d’une extraordinaire complexité. Le projet traduit une ambition, mais il est hélas fondé sur des prémices idéologiques.

La transformation sociale et économique de la société, les progrès des sciences biologiques et technologies appliquées au médical, le vieillissement de la population impliquent de profond changement de nos systèmes de Santé. Mais ceux-ci ne s’imposeront pas par des changements de normes de fonctionnement (la Loi), mais par la prise de conscience collective des transformations indispensables et par des créations d’organisations adaptées aux besoins de la société actuelle.

La dimension économique est très importante, tout en gardant conscience que les résultats obtenus par le système n’ont de valeur qu’en appliquant aussi des critères d’éthique et de solidarité, profondément pertinents pour tout ce qui touche à la Santé, donc au destin des hommes.

C’est ce qui me permet de conclure que la démarche est fondée sur une erreur paradigmatique, qui conduit à vouloir codifier et simplifier alors qu’il faudrait modéliser et diversifier pour espérer maîtriser la complexité, tout en ayant la modestie de reconnaître que c’est en cheminant que se dessine le chemin.

Quelques pistes négligées

Le débat laisse dans l’ombre des points qui permettraient d’avancer.

Les acteurs demeurent dans le village Gaulois. Comment çà marche bien ailleurs, et comment çà marche mal ailleurs ? Aucun panorama comparatif n’est mis en exergue. Si en matière scientifique, les médecins ont des contacts internationaux, il n’en est pas de même dans la politique de la Santé. Obstacle culturel, obstacle linguistique ? Comment sont rémunérés et pour quelles fonctions non seulement les médecins mais aussi les autres acteurs, en particulier les soignants dont tout le monde dit qu’ils sont l’épine dorsale du système hospitalier et qui sont étrangement absents des joutes oratoires de ces derniers jours. Ce ne sont pas les dépenses totales engagées qui garantissent une meilleure santé : le Japon avec une dépense per capita 25% plus faible que la dépense US, a une espérance de vie nettement plus forte.

La création des Agences Régionale de Santé est présentée comme une panacée car ils auront plus de moyens que les actuels ARH. Or ces moyens supplémentaires ne sont que les actuelles DASS et DRASS ! Si les budgets hospitaliers sont considérables, ceux consacrés aux institutions médicosociales et au financement du Handicap et de l’APA sont importants. Or un silence extraordinaire est fait dans le discours officiel sur la coordination entre État et Collectivités Territoriales, alors que l’on n’hésite pas à prévoir des transferts de personnes du Long Séjour hospitalier vers le médicosocial.

Personne n’ouvre le débat sur le corporatisme qui règne et qui est entretenu par le caractère réglementé des métiers. Les médecins hospitaliers disent qu’il leur manque des infirmières. Cette formulation traduit un système de caste. Quant à la gestion des statuts, c’est un tabou ! 1000 établissements hospitaliers publics sont gouvernés par des hommes et des femmes réglementés de manière identique. N’est-ce pas une grande faiblesse pour réagir devant les ambitions des institutions commerciales ?

Il y a une fascination pour le modèle industriel qui étonne celui qui a eu une longue vie dans l’industrie. Certes la maîtrise technologique des procédés, équipements et procédures entraîne inéluctablement une spécialisation analogue à celle qui s’est développée dans la production de biens et services. Cette évolution provoque l’irruption dans le domaine de la Santé d’acteurs qui vont industrialiser les processus. Aucune réflexion de fond n’est entreprise sur le contrôle social d’investisseurs dont les finalités sont par nature égoïstes (return on investment !). Comment contrôler les appétits des entreprises qui fournissent le système de santé tout en développant un formidable lobbying. Qualité des soins d’abord, mais pertinence de certaines dépenses aussi !

La réflexion managériale est d’une grande pauvreté. La motivation des personnels, l’intégration des acteurs dans un projet partagé, la place du système d’information, les méthodes de gestion du personnel, la décentralisation et l’autonomie d’équipes pluridisciplinaires sont ignorées. Les relations de l’organisation avec le système d’information, une notion centrale, ne sont pas citées. La défense du service public de la santé ne doit ni ne peut être confondue avec celle de la réglementation bureaucratique de son fonctionnement actuel.

Enfin, l’affectation des moyens financiers et humains à la construction d’un système améliorant la qualité de la Santé n’est évoqué qu’au travers les mécanismes de financement institutionnels. Il est largement occulté que celui qui paye les soins, c’est celui qui finance par l’impôt, le prélèvement social et…sa cassette. La santé pour le pauvre et pour le riche n’a déjà plus le même sens. Qui s’offre les consultations et opérations avec dépassement d’honoraires ? Qui peut acheter des prothèses dentaires confortables (1000€/dent), des lunettes confortables (2700€), des appareils auditifs performants (4000€ la paire) ? Qui est exclu du système de soin ? Comment combattre cette exclusion ?

L’importance des évolutions de la science et de la technique biomédicale privilégie l’éradication de la maladie à la prise en considération de la personne. La spécialisation tue l’approche globale de la personne. Le médecin généraliste, le pharmacien d’officine, le petit labo de proximité, seront-ils aussi balayés par une logique financière ? Pourtant, c’est bien de contact humain et d’accompagnement dont l’homme malade a besoin, pas de la multiplication de prestations low-cost. C’est aussi d’une éducation et d’une assistance à prendre en charge de manière autonome sa santé et, last but not least, sa fin de vie.

Voici quelques questions d’un « usager » du système de Santé.

Je dédie ce « post » à mes médecins et soignants qui me permettent de vieillir de manière agréable.

Daniel CARRE

 

 

 

Paris, le 25 avril 2009.