Conférence nationale de la vie associative

Jean-Marie BARBIER

L’objet de mon propos est d’éclairer de manière concrète la problématique des relations entre l’Etat, les collectivités territoriales et les associations, par le témoignage de l’APF.

Pour que vous puissiez comprendre, l’APF est une association majeure dans champ du handicap avec la particularité d’animer un mouvement de 30 000 adhérents et des personnes concernées tout en gérant près de 400 établissements et services sociaux et médico-sociaux sur l’ensemble du territoire.

Cette double identité enrichit sensiblement notre point de vue, les relations étant évidemment différentes avec l’Etat et les collectivités territoriales, selon que l’on se place dans un registre politique ou de gestion.

Pour nous, dans ces deux champs, il est de toute première importance que les représentants de l’Etat et des collectivités territoriales prennent en compte l’expression des personnes directement concernées et les associe :

– dans la nature des revendications portées

– et dans les réponses et l’adaptation de notre offre de service.

Cette participation citoyenne est essentielle à une saine gouvernance démocratique nationale ou territoriale, associant toutes les parties prenantes : décideurs, citoyens, professionnels.

Et notre association soutient cette démarche en interne en permettant l’expression directe de milliers de personnes en situation de handicap auprès de leur maire, de leur président du conseil général ou de leur préfet.

Cela fait écho à la table ronde de ce matin sur le dialogue civil. Mais, pour faire le lien avec notre table ronde, il s’agit bien aussi de rappeler les bases dans lesquels les politiques publiques nationales et territoriales doivent être élaborées et mises en oeuvre.

Etre partie prenante, c’est aussi pour l’APF d’engager un réel partenariat, une contractualisation dans une logique de réponse à l’intérêt général. Intérêt général qui est donne sens à nos valeurs associatives. Et ne laissons pas dire que nos valeurs associatives ne peuvent résister à la gestion de services. A l’APF, nous pensons témoigner, comme beaucoup d’autres associations ici présentes, l’importance de l’essence associative pour nos directeurs, nos professionnels et nos usagers.

Ne laissons pas croire non plus que la gestion associative = gestion publique = gestion privée. Chacun à ses logiques de gestion, ses objectifs.

Mais pour l’APF, la gestion associative de services ne peut être assimilée et réduite à une délégation de service public dans une logique unilatérale de réponse à la commande publique, via les appels à projets… Ni être mis en parallèle avec une logique marchande de services.

Nous souhaitons que les associations soient reconnues dans leur  participation, leur enrichissement à la notion de « mission d’intérêt général » inscrite dans la loi 2002-2. Car nous ne sommes pas de simples opérateurs de service public ou de service marchand, mais bien des acteurs d’utilité publique et sociale !

2 exemples peuvent éclairer ces propos :

Premier exemple : nous sommes de plus en plus sollicités dans le cadre d’appels à projets de conseils généraux pour créer des services polyvalents, c’est-à-dire apportant une réponse à toute personne en situation de handicap, quel que soit sa déficience.

Ce genre d’appel à projet priorise la dimension de réponse de proximité.

Mais il ne prend pas en compte des modes d’accompagnement pour des publics ayant des besoins spécifiques très variés et qui nécessitent des compétences professionnelles totalement distinctes. Ce type d’appel à projets démontre bien que l’on est dans un cadre totalement unilatéral et l’on quitté une logique de négociation, de co-construction, bref de démocratie sociale. Les autorités publiques définissent en amont, pour des besoins essentiellement d’économie de moyens, et sans aucune concertation avec les associations des modes de réponses qui ne correspondent pas aux besoins des personnes en situation de handicap, qui sont des besoins spécifiques.

Si on a avantage parfois à collaborer notamment dans les départements ruraux où il y a pénurie de services, dites « zones blanches », en complétant nos savoir-faire avec ceux d’autres secteurs associatifs, il est tout à fait capital pour la qualité du service rendu, de ne pas diluer nos compétences dans des établissements pluri-handicap, les besoins ne sont pas du tout les mêmes.

Deuxième exemple relatif à l’articulation des politiques nationales et départementales avec la question des services d’aides humaines et la façon dont elle est traitée entre l’Etat et les conseils généraux.

Aujourd’hui les services d’aide humaine – notamment ceux qui ont fait le choix d’une gestion dans le cadre de la loi du 2 janvier 2002, sont en grande difficulté financière, conséquence notamment de la décentralisation. D’un côté, l’Etat n’apporte plus de soutien financier (par exemple pour nos services, suppression des « forfaits postes » d’auxiliaires de vie) et de l’autre les conseils généraux qui refuse de tarifer les services à la hauteur des prix de revient. Et difficile d’avoir un espace de concertation efficace lorsque l’Etat nous répond que c’est la responsabilité des départements et que de l’autre, l’Assemblée des Départements de France nous répond que chaque Conseil général est responsable. Aujourd’hui, avec qui négocier pour une politique sociale national garantissant une équité de réponse sur tout le territoire ?

En conclusion, pour l’APF, nous avons plusieurs questionnements : quelle « marge de négociation » conserve encore l’association dans le cadre de logique d’appel à projet, de mise en concurrence ? Pour l’APF, notre responsabilité associative est d’être présent en amont des orientations politiques qui nous concernent et d’être partie prenante des décisions qui en découlent. quelle place à l’innovation associative, considérant qu’un principe d’un Etat qui sait et d’une association qui suit oublient que précisément et historiquement l’association fait parce que l’Etat ne sait pas ! quelle identité associative spécifique ? La généralisation de la logique

d’appel d’offre permet peu à peu la participation du secteur marchand et s’apparente à une dérégulation d’un secteur social devenu « marché ».

Il est urgent de garantir à l’espace associatif toute son identité citoyenne et ses développements, en le distinguant bien des logiques publiques et des logiques marchandes qui sont de natures différentes. Et pour l’APF, nous rajouterons : en y associant les personnes concernées !