Les orientations de la France au regard d’autres pays européens type en matière de politique médico-sociale vieillesse

Par Jean-Claude Henrard, Université de Versailles-Saint Quentin-en-Yvelines

La politique de réponse aux situations de handicap est singulière en France car elle élève une barrière d’âge entre les moins de 60 ans et ceux plus âgés. Il en résulte une catégorisation sociale des personnes âgées enfermées dans le ghetto de la dépendance et bénéficiant de prestation spécifique (prestation spécifique dépendance en 1997 ; allocation personnalisée d’autonomie en 2002)

 Celles-ci sont moins généreuses que celles attribuées aux adultes plus jeunes ayant les mêmes besoins d’aide et de soins. Le dispositif de prise en charge est en outre éclaté entre de multiples décideurs, financeurs, gestionnaires de services et établissements et professionnels de l’aide et du soin. Il s’en est suivi de multiples tentatives e coordination impulsés par l’Etat central qui n’ont jamais pu être généralisées faute de relais locaux.

Qu’en est-il de la barrière d’âge et de la fragmentation des dispositifs d’aide et soin dans les autres pays européens.

Aucune barrière d’âge n’existe dans les autres pays quel que soit le système de prise en charge. Celui-ci dépend du régime de protection sociale choisi.

Dans le régime dit "social-démocrate" des pays nordiques toute personne quel que soit son âge a droit aux prestations médicales ou sociales nécessaires en raison de maladie ou de handicap. Ces pays ont en outre décentralisé les responsabilités en matière d’organisation, financement et fourniture des services et établissement conférant ces tâches aux municipalités. Elles ont mis à la disposition de leurs administrés toute une gamme d’intervenants de premier recours : services à domicile fonctionnant 24 heures sur 24 et 7jours sur 7 procurant aide-ménagère, soins à la personne et soins infirmiers à domicile (les soins techniques sont assurés par une infirmière sous la supervision du médecin de famille) ; aides techniques et adaptation des logements par un département dirigé par ergothérapeute ; rééducation physique d’entretien très souvent ; activités sociales ; transports pour personnes handicapées ; aides financières. Il s’agit donc d’un véritable système d’aide et de soins intégré. Les soins hospitaliers de deuxième recours sont assurés par les comtés. Lorsque des personnes "bloquent" des lits pour raisons non médicales, les municipalités ont l’obligation de rembourser les coûts de soins hospitaliers aux comtés. Cela constitue une forte incitation au développement des services de soutien à domicile. En matière d’hébergement collectif le Danemark se singularise par l’arrêt de construction tout nouvel établissement depuis 1987. Des appartements adaptés aux différents handicaps prennent la place, les personnes font appel aux services de soutien à domicile en cas de besoin.

Dans le régime dit "conservateur corporatiste" dont l’Allemagne et la France sont les représentants. Des assurances obligatoires fondent la sécurité sociale : les droits sont liés aux cotisations sociales des employés et des employeurs et limités aux risques reconnus : maladie, pension de retraite, etc. ; la gestion est principalement assurée par les partenaires sociaux présents sur le marché du travail d’où un intérêt moindre pour les problèmes des personnes professionnellement inactives (ex les handicapées). La prise en charge des conséquences de leur handicap est laissée principalement aux familles, l’action sociale des pouvoirs publics est une aide sociale résiduelle car limitée aux pauvres. L’augmentation des handicaps liés aux maladies chroniques invalidantes, du fait notamment de la montée des personnes du grand âge, a conduit les pays ayant ce régime à partir du milieu des années 1980 ont recherché une solution à leur prise en charge.

En Allemagne, un consensus s’est établi entre partenaires politiques et syndicaux pour créer, en 1994, une nouvelle branche – aide et soins de longue durée – de sécurité sociale. L’éligibilité dépend du niveau d’incapacités pour accomplir les activités de soins personnels et d’entretien du ménage du fait de maladie ou de handicap chronique quel que soit l’âge. Les personnes éligibles ont le choix entre prestations en espèces ou en nature en établissement ou au domicile. Cette nouvelle branche d’assurance sociale a rendu de nombreuses personnes solvables (plus de 2 millions de bénéficiaires). Elle a permis à l’Allemagne de combler pour partie son déficit en service et personnels dans le secteur de l’aide à domicile (les personnels ont été multipliés par 2,5 en six ans) en renforçant les prestataires caritatifs et en développant massivement le secteur privé à visée commerciale (il a plus que triplé en six ans). La séparation du financement des soins curatifs de celui des soins de longue durée ne permet pas d’assurer la continuité des soins et notamment leur dimension préventive par exemple en matière de rééducation. En outre, l’augmentation croissante de la population du grand âge rend le financement difficile et nécessite de nouvelles sources.

Le choix en France de la  barrière d’âge génère des problèmes d’inégalité dans la prise en charge des personnes handicapées et des personnes âgées dites dépendantes. La question de la convergence des prestations entre les deux secteurs est posée, la création d’un risque commun étant un moyen d’y répondre.

L’Angleterre a un régime mixte. Dans le secteur sanitaire existe un système national (NHS) universel financé par l’impôt qui paye les soins hospitaliers et de ville. Son organisation distingue une graduation des soins : première ligne comprenant médecins de famille, infirmiers et services infirmiers "communautaires" (incluant infirmières visiteuse, auxiliaire etc.). Dans le secteur social, les Autorités locales (AL) qui sont responsables des services ménagers, du portage de repas, de l’adaptation des logements et de l’hébergement collectif de longue durée. L’éligibilité se fait plus sur le montant des ressources que sur les besoins. Un secteur privé offre les mêmes types de prestations. Pour remédier à cette dichotomie et augmenter l’efficience des prestations, le gouvernement a entrepris de faciliter l’intégration des soins médicaux et sociaux par deux grands types de mesures. Le premier est l’introduction tente à lever par voie législative les barrières administratives et financières entre NHS et AL : par exemple financements de services par un "pot" commun, délégations de responsabilités à un leader unique pour la planification et l’achat de services, intégration des services dans une même organisation avec gestion et personnels en commun. Le second est la création de groupements voire de "trusts" de soins de première ligne comprenant tous les médecins généralistes d’une localité responsables de 100 à 250 000 patients. Ils gèrent un budget unique pour passer contrat avec les établissements hospitaliers locaux et les différents prestataires d’aides et soins de longue durée. Ils font l’objet d’incitations financières pour se coordonner avec les services sociaux des AL afin de développer de nouveaux services à la frontière des deux secteurs : soins intensifs à domicile (correspondant à des soins hospitaliers à domicile), intervention rapide des équipes médico-sociales, services de réadaptation active pour faciliter les sorties rapides lors d’hospitalisation et pour en éviter.

Dans l’ensemble, les pays du sud de l’Europe ont peu développés le secteur professionnel de soutien à domicile. En dehors de l’aide familiale très dominante, l’aide à domicile est souvent apportée par des aidants non formés provenant de pays extérieurs à l’UE, payés "au noir". Dans certaines régions de l’Italie, depuis 1990, des expériences de soutien à domicile intégré coordonnés par des municipalités, regroupe des services avec médecin gériatre, infirmier et travailleur social. Après évaluation de la situation des demandeurs ils établissent un plan d’aide et de soin qui peut comporter une large gamme de prestations (ex kinésithérapie à domicile) répondant au mieux aux besoins. Dans les faits, il se limite le plus souvent aux seuls services médicaux par manque de coopération entre secteurs sanitaire et social et du fait de différences dans les modalités de financement.