Hommage à Maurice Bonnet  – Rappel de tribune

Maurice Bonnet du collectif « Une société pour tous les âges » nous invitait, il y a quelques semaines encore, à réussir le 3ème tour de l’élection présidentielle.

Et à découvrir cette Tribune du Journal Le Monde du 2 avril 2012

Claude Alphandéry, Raymond Aubrac, Michel Dinet, Stéphane Hessel

Le contrat social écrit après la guerre est aujourd’hui remis en cause. Seul l’engagement citoyen permettra de le sauver.
La République doit résister
Il y a plus d’un demi-siècle, pendant que l’horreur humaine érigeait en principe la négation des droits humains les plus vitaux, des hommes et des femmes, rassemblés au sein du Conseil National de la Résistance écrivaient un nouveau contrat social pour la France.

Ce contrat était certes incomplet. Il faisait par exemple l’impasse sur l’égalité des droits entre les femmes et les hommes ou encore sur l’émancipation des peuples colonisés… Mais l’histoire n’a pas jugé ces manques, elle a rendu hommage d’abord à un état d’esprit : celui permettant, en dépit de la barbarie humaine qui étouffait l’Europe toute entière, d’écrire un nouveau Pacte Républicain pour notre pays.


Un état d’esprit mais aussi une formidable capacité
d’initiative nourrie par l’enracinement des maquis au cœur de la société,
amplifiée grâce aux réseaux qu’ils ont tissés et consolidés par l’union qu’ils
ont bâtie avec opiniâtreté.



C’est bien de cela dont il s’agissait hier et dont il s’agit plus que jamais
aujourd’hui. De femmes et de hommes partageant un état d’esprit, mettant en
commun leurs forces créatrices et qui, au nom d’une certaine idée de la
fraternité, proposent une remise en mouvement de la société toute entière en
dessinant l’espoir d’un possible et solide Vivre Ensemble.

Grâce à cette mise en mouvement, au fil des ans, les liens de solidarité n’ont
cessé d’être tissés unissant chaque citoyen à la nation, en premier lieu avec
la création de l’assurance maladie, la retraite par répartition et les
allocations familiales, mais aussi avec la naissance des comités d’entreprises,
le statut de la fonction publique, l’inscription du droit de grève dans le
préambule constitutionnel, la représentativité syndicale,…


Soixante ans plus tard, trois grandes lois ont complété cet édifice pour
répondre  – par des droits individuels et universels – aux évolutions
économiques et sociales. Le Revenu Minimum d’Insertion (RMI) pour faire face aux
conséquences du chômage de masse (qui deviendra plus tard le Revenu de
Solidarité Active) ;  l’Allocation Personnalisée
d’Autonomie (APA) pour soutenir les personnes âgées face à la perte
d’autonomie ; la Prestation de Compensation du Handicap (PCH) pour
permettre aux personnes handicapées de vivre dignement leur vie et de conduire
leurs projets.

Accompagnant la société civile en mouvement, ces trois lois prennent racines
dans la multitude d’initiatives et de pratiques associatives tissant solidement
le filet social et territorial et régénérant inlassablement la solidarité. Ce
faisant, ces lois donnent corps aux aspirations, aux actes et aux engagements
des innombrables associations et de leurs réseaux dans les domaines de
l’accompagnement, de la santé, de l’insertion, de l’éducation, …

Tout cela a été construit en moins d’un siècle… et même si tant d’années
séparent la création de la Sécurité Sociale de celle du RMI puis l’APA et la
PCH, ces mesures sont de même nature : elles nous permettent de faire
société.  Elles créent du lien entre chaque citoyen quel que soit son âge,
sa situation sociale et professionnelle, son handicap, son lieu d’habitation.
Elles sont des droits individuels et universels qui donnent corps à la
solidarité nationale. 

Ces droits universels sont notre
patrimoine commun. Ils nous permettent de résister ensemble et mieux que
tant d’autres aux violences des soubresauts d’une économie financiarisée
incontrôlée et en perte de repères. Nombreux sont les observateurs étrangers,
même les plus libéraux, déclarant que notre système nous avait permis, et mieux
que d’autres, d’amortir les effets de la crise. Certains allant jusqu’à dire
leur incompréhension quant aux remises en cause de ce contrat social.

Et pourtant, ces dernières années,
toutes les occasions ont été saisies pour faire oublier l’état d’esprit du
Conseil National de la Résistance dont nous sommes toutes et tous les
héritiers.


Souvenons-nous la déclaration de Denis KESSLER, ancien n°2 du MEDEF qui
déclarait le 4 octobre 2007 dans la rubrique « Opinion » du magazine
économique Challenges sous le titre « Adieu 1945,
raccrochons notre pays au monde » : «  Il est grand temps de
réformer le modèle social français qui est le pur produit du Conseil National
de la Résistance (…), et le gouvernement s’y emploie. Vous voulez la liste des
réformes ? C’est simple : prenez tout ce qui a été mis en place de
1944 à 1952, sans exception. Elle est là.
 ».


Effectivement, il n’y a pas un article du Contrat Social qui n’ait été remis en
cause : déstabilisation de notre système de santé, déremboursement de
médicaments, taxation des mutuelles,  fragilisation du système de retraite
par répartition, atteinte à l’égalité de chaque citoyen face à l’impôt,
affaiblissement des associations par la réduction des aides de l’Etat et
l’extension du champ du marché aux activités citoyennes, …

Et ne nous y trompons pas, les
droits les plus récents mis en place dans les deux dernières décennies sont
tout autant fragilisés :
En transférant la gestion du RSA, de
l’APA et de la PCH aux départements sans leur apporter les moyens financiers
nécessaires, ils ont organisé la faillite des modes de financements de ces
droits universels dans l’inconscience et l’indifférence la plus complète. La
discussion a en effet été savamment enfermée dans une querelle politique entre
l’Etat et les départements.

Pourquoi les observateurs, les éditorialistes, les commentateurs, toutes celles
et tous ceux qui prennent au quotidien le pouls de notre société n’ont-ils pas
su davantage alerter sur cette réalité qui nous concerne toutes et tous ?


D’une part parce que les associations, grâce à leurs élus, aux bénévoles et aux
professionnels font face aux difficultés en continuant de faire preuve d’audace,
d’imagination, de créativité.


Et d’autre part parce que la résistance des conseils généraux et de leurs
assemblées élues a jusqu’à présent permis de sauvegarder coûte que coûte le
financement de ces droits.


Mais à quel prix ?


– L’assèchement financier des budgets alloués au  développement
social, culturel, sportif, éducatif, à  la protection de l’environnement,
à la mobilité… Parfois par une baisse du programme d‘accompagnement des
bénéficiaires du RSA voire de l’APA et de la PCH.
– Des augmentations de la fiscalité locale totalement inadaptée et injuste
(qui peut considérer juste de financer ces droits universels  par un impôt
calculé en fonction de son logement ou de la taille de son jardin ?)
– Et pour les départements les plus fragiles, par un recours à l’emprunt
dans le contexte financier que l’on sait…

Tout cela est absurde et de toute façon
arrivé à son terme : les dernières réformes fiscales du gouvernement ont
privé les collectivités locales de toute marge de manœuvres.


Les départements ne disposent plus désormais que du levier « foncier
bâti » pour toute autonomie fiscale. Si rien n’est fait, alors la
prochaine étape s’imposera comme une évidence : la remise en cause même de
ces droits et de leur caractère universel !

Que faut-il faire pour éviter le
scénario du pire ?


Plus qu’un appel, cette tribune est un rappel : ce n’est pas à la
conjoncture de fixer les conditions de notre avenir commun, mais dans la
période tumultueuse que nous traversons, et qu’il faut bien appeler une
épreuve, nous devons découvrir,
redécouvrir et créer des leviers redonnant envie de faire société ensemble et
construire autrement notre destin commun.
Dans une période autrement difficile, c’est l’état d’esprit et l’imagination
des membres du Conseil National de la Résistance portés par le peuple et le
mouvement qu’il avait su lever, qui ont permis la construction du Pacte
Républicain qui nous unit encore aujourd’hui.

Retrouvons cet état d’esprit en puisant
dans nos indignations et nos attentes impatientes mais aussi dans les capacités
d’initiative, les forces créatrices, les pratiques nouvelles qui, bien
qu’insuffisamment connues et reconnues, existent au coeur de la société.

Nous, citoyens, acteurs des réseaux
locaux de coopération, des mouvements mutualistes, militants de l’Education
Populaire, du développement territorial, de l’économie solidaire… soyons avec
d’autres, les générateurs d’une énergie
durable qui remettra en mouvement la société toute entière au coeur d’un
édifice Républicain et décentralisé qui aura retrouvé le sens d’une
organisation redevenue le réceptacle de nos aspirations communes
 par : 


– Un Etat respectable et respecté
redevenu garant des fonctions régaliennes, des droits fondamentaux, portant
fièrement le devenir de la solidarité nationale,


– Des collectivités locales qui
ne seront plus mises injustement au banc des accusées de la dépense publique,
pour redevenir,  les actrices engagées et mieux coordonnées du
développement de nos territoires urbains et ruraux.


–  Et enfin, l’amplification
d’un mouvement démocratique décentralisé trop vite stoppé au niveau
exécutif des communes, groupements de communes, départements et régions.

 Il faut reconnaître, valoriser, permettre et
encourager l’engagement de citoyens entreprenants, invités à agir au service de
l’intérêt général.
 Il
faut ouvrir des espaces pour que les gens retrouvent l’envie de coopérer et
de créer ensemble ; des espaces pour que l’expertise d’usage rencontre
celle des techniciens, des professionnels et des élus, pour que nos concitoyens
soient invités à construire

une action
publique porteuse de sens et créatrice de liens.

Ces trois piliers sont les conditions d’un retour à la sérénité dans notre
République. Une sérénité prometteuse de créativité et d’envie collective pour
nous permettre de dépasser ensemble les crises qui nous sont imposées en
inventant pas à pas l’avenir d’une société non plus laminée par le pouvoir
financier mais génératrice d’un autre modèle économique au service du bien
commun : telle est la condition de la réussite du 3ème tour de
l’élection présidentielle.




Claude Alphandéry Résistant, président du Labo de l’Economie sociale et
solidaire
Raymond Aubrac Résistant et déporté
Michel Dinet Président (PS) du conseil général de
Meurthe-et-Moselle, 
Stéphane Hessel Résistant et ancien diplomate.