Lorsque, co-gérant d’un service à domicile, j’ai proposé l’idée de la mise en place d’un conseil de la vie sociale, il faut l’avouer : cela n’a pas été la joie de la part de mon entourage. J’avoue aussi que, moi-même, je ne savais pas trop où « je m’embarquai ».

Avant toute chose il est utile de faire une mise au point sur la législation et sur le service à domicile que je co-gérais. L’article 311-6 du Code d’action sociale et des familles dispose que « afin d’associer les personnes bénéficiaires des prestations au fonctionnement de l’établissement ou du service, il est institué soit un conseil de la vie sociale, soit d’autres formes de participation.

Les catégories d’établissements ou de services qui doivent mettre en œuvre obligatoirement le conseil de la vie sociale sont précisées par décret. Ce décret précise également, d’une part, la composition et les compétences de ce conseil et, d’autre part, les autres formes de participation possibles. »

Ce décret qui précise les catégories d’établissements ou de services devant obligatoirement mettre en place un conseil de la vie sociale est le décret n° 2004-287 du 25 mars 2004 relatif au conseil de la vie sociale et aux autres formes de participation. Dans ce décret il est dit que « le conseil de la vie sociale est obligatoire lorsque l’établissement ou le service assure un hébergement ou un accueil de jour continu ou une activité d’aide par le travail au sens du premier alinéa de l’article L. 344-2. Il n’est pas obligatoire lorsque l’établissement ou service accueille majoritairement des mineurs de moins de onze ans, des personnes relevant du dernier alinéa de l’article 6 et du III de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles » à savoir « les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale » et « les lieux de vie et d’accueil qui ne constituent pas des établissements et services sociaux ou médico-sociaux au sens du I doivent faire application des articles L. 311-4 à L. 311-8 ».

Ce qui veut dire qu’un service à domicile n’a pas obligation de mettre en place un conseil de la vie sociale. Par contre « lorsque le conseil de la vie sociale n’est pas mis en place, il est institué un groupe d’expression ou toute autre forme de participation ».

La majorité de ces services met en place une autre forme de participation et notamment un questionnaire de satisfaction. Pourquoi ? Parce que c’est moins risqué ? Moins long à mettre en place ?

En fait, si nous regardons de plus près, mettre en place un questionnaire de satisfaction peut prendre beaucoup de temps et d’énergie, bien plus qu’un conseil de la vie sociale :

  1. Composition d’un comité pour l’élaboration d’un questionnaire
  2. Plusieurs réunions de ce comité pour l’élaboration du questionnaire
  3. Validation par le comité et de la direction de ce questionnaire
  4. Envoi du questionnaire
  5. Relance pour recevoir les réponses
  6. Regroupement et analyse des réponses

Théoriquement, nous serions tentés de dire que le service en question doit envoyer les résultats de ce questionnaire aux personnes aidées et partenaires, mais… si nous sommes toujours informés par force communiqué de presse des bons résultats qui frôlent souvent les 90 % de satisfaction (ressemblant aux résultats de feu l’URSS ou d’une dictature en Afrique) nous ne sommes pratiquement JAMAIS informés du pourquoi des 10 % d’insatisfaits ni des suites données !

L’autre inconvénient de taille est que les personnes âgées ou en perte d’autonomie qui ont des soucis avec l’écrit ou la lecture, feront appel…aux aides à domicile. Or, le questionnaire portera sur la qualité de la prestation fourni par les intervenantes à domicile…je vous laisse deviner ce que dira d’écrire sur le questionnaire la personne aidée à son aide à domicile…

La solution serait qu’un responsable de secteur aille au domicile pour questionner « en direct » la personne aidée….mais là aussi, que répondra la personne concernant les planning envoyés en temps et en heure, la présentation de la nouvelle aide à domicile, les remplacements, le respect des horaires choisis, les réponses suites aux attentes de la personne, etc. ? En outre, cela ne peut pas être envisagé pour les grosses structures, qui ont plusieurs centaines de clients…

Enfin chose importante, cela ne concernera que les personnes aidées, et non pas, aussi, les salariés…car après tout, ces derniers n’ont-ils pas le droit de donner leur avis, notamment sur le fonctionnement de la structure ?

Lorsque nous avons créé notre service à domicile nous avions décidé que notre structure serait une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), je reviendrai sur ce point dans un prochain billet. Cette structure ayant un fonctionnement plus démocratique qu’une association, nous voulions que les clients et les aides à domicile puissent tenir un rôle non figuratif en son sein, et donc de créer un conseil de la vie sociale (CVS).

Par précaution, nous avions demandé l’avis de la déléguée territoriale de l’ANSP qui a accueilli cette proposition de fonctionnement avec bienveillance. Nous nous étions engagés à lui remettre chaque compte rendu des réunions de CVS.

Il est vrai que cela ne s’est pas fait en peu de temps. A la différence d’un EHPAD où il est possible de réunir tous les résidents le même jour dans la même salle, pour les clients d’un service à domicile « c’est une toute autre histoire ». Surtout que les clients sont tous différents : des personnes âgées mais aussi des personnes handicapées, des jeunes couples en activité, jeune maman avec « naissance multiple », célibataire, etc.

Pour cela, nous avons décidé de sensibiliser en premier lieu les intervenants à domicile car, si les personnes aidées avaient des interrogations, l’intervenant à domicile serait la première personne interpelée. Le plus difficile a été de bien cadrer le rôle du CVS, de ne pas confondre avec le délégué du personnel ou le délégué syndical…

Ensuite, nous avons envoyé un courrier à tous les clients pour expliquer notre démarche et le rôle du CVS. Pour les plus fragiles, et pour ceux qui le demandaient, nous sommes allés au domicile.

L’appel à candidature s’est fait par courrier. Nous avons eu des réponses de la part, à la fois des intervenants à domicile mais, aussi, des personnes aidées.

Enfin, le vote des représentants au CVS s’est déroulé en toute quiétude. Des personnes ont même assisté au dépouillement.

Lors de la première réunion du CVS, les membres ont élu le président et vice président. Ces derniers étaient respectivement une personne âgée et une personne handicapée. Puis le règlement intérieur  a été discuté et voté à l’unanimité.

Je pensais sincèrement que les membres du CVS allaient critiquer le fonctionnement (quel service à domicile connait la perfection ?) or cela n’a pas été le cas, bien au contraire. Ils se sont sentis écoutés et se sont donc investis. Ils se sont « appropriés » LEUR service à domicile et ont donc posé des questions sur la structure elle-même : Qu’est-ce qu’une coopérative ? Qu’est-ce que l’agrément qualité ? Que faites-vous si un salarié et un client ne s’entendent pas ? Comment recrutez-vous ? Etc. Cela nous a permis de voir que même si nous présentions le service à domicile dès le début voire avant la prestation, il était nécessaire de faire des « piqures de rappel ». De même, le principe de l’agrément n’était pas clair, je n’ose imaginer pour les structures qui sont « labellisées » ou certifiées…

Le procès verbal élaboré avec la présidente du CVS a été envoyé, ensuite, à toutes les personnes clients et aux intervenants à domicile.

Ce qui est intéressant, par rapport aux EHPAD, est que les membres du CVS sont plus jeunes (ou moins dépendants) et sont plus longtemps au sein de la structure. Ils s’investissent plus, selon moi, et deviennent de véritables « ambassadeurs » de la structure.  Par la suite, je me suis aperçu que ce procès verbal était très attendu, y compris par les personnes, que je pensais à tort, peu concernées par notre structure et qui n’étaient que « consommatrices ».

Pour faire un bilan de la courte expérience de ce CVS, en plus du fait que les membres du CVS ont pu nous faire des suggestions de services que nous n’avions pas pensé, nous nous sommes aperçu que le CVS en lui-même a permis d’éviter les « clash » avec les clients ou les aides à domicile. Exemple, lorsque je disais aux salariés de faire des efforts pour arriver à l’heure au domicile de la personne, on m’écoutait plus par politesse mais cela a changé lorsque un représentant des personnes aidées l’a dit, devant moi, aux représentants des aides à domicile…surtout que cela a été écrit dans le procès verbal et envoyé à tout le monde ! Comme quoi un CVS peut être un outil de communication efficace et une aide précieuse pour un dirigeant de structure.

Enfin, les dirigeants de services à domicile ont tous un ou plusieurs clients « difficiles ». Le CVS a permis de canaliser ces personnes. Elles ont eu un moyen de s’exprimer …et s’entendre dire, parfois, aussi, de la part de leurs représentants, qu’il y avait, peut être, de « l’exagération » de leur part même si ces mêmes représentants de CVS ont transmis leurs demandes.

Aussi je conseille vivement aux dirigeants de service à domicile de réfléchir à la mise en place d’un CVS car cela peut être plus un allié qu’un « empêcheur de tourner en rond ». En outre, du fait du faible nombre de service à domicile ayant un CVS c’est un outil de communication très intéressant lorsqu’on en parle aux différents médias…

Je profite aussi de ce billet pour lancer un appel à connaître d’autres expériences dans d’autres SAAD ou SSIAD, pour réfléchir ensemble sur les méthodologies que nous pourrions proposer et les conditions de réussite que nous pourrions suggérer aux SAAD ou SSIAD qui seraient intéressés par l’aventure…

Laurent Giroux

Consultant – Evaluateur externe

 

Textes de référence :

Loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale,

Décret n°2004-287 du 25 mars 2004 relatif au conseil de la vie sociale et aux autres formes de participation institués à l’article L. 311-6 du code de l’action sociale et des familles,

Décret n°2005-1367 du 2 novembre 2005 portant modifications de certaines dispositions du code de l’action sociale et des familles (partie réglementaire) relatives au conseil de la vie sociale et aux autres formes de participation institués à l’article L. 311-6 du code de l’action sociale et des familles.