Aujourd’hui, nous avons appris le décès de Bruno 60 heures. Hier, c’était René 58h, la semaine dernière Jeanne 90 heures. Mais n’oublions pas non plus le placement en maison de retraite de Georges 36 heures et de Suzeline 22 heures. Avec l’entrée de Gabrielle, 12 heures et Suzette 18 heures, on est bien loin du compte…
Voilà une discussion devenue classique au sein des associations d’aide à domicile :
– La famille de l’usager « Bonjour. Je suis au regret de vous apprendre le décès de mon père, ma mère…. »
– Le personnel de l’association entre eux une fois le téléphone raccroché « C’est combien d’heures de perdu encore ça ?
– « 60 heures »
– « Punaise, ce n’est pas encore avec ça qu’on va réussir à rattraper les heures déjà perdues par telle salariée dont un usager de 30 heures est décédé la semaine dernière ».
Certes, pour pouvoir faire son métier au mieux, il faut savoir prendre le recul nécessaire et ne pas s’attarder à s’attrister sur le décès d’une personne que l’on accompagnait sinon on risque de vite démoraliser et ne plus être capable de travailler dans ce domaine (ce qui est éminemment plus facile pour le personnel de bureau que pour le personnel de terrain évidemment…). Toutefois, dans ce contexte de difficultés économiques que vivent les associations d’aide à domicile, on se rend bien vite compte que les usagers deviennent des heures. « Je ne suis pas un numéro ! » a dit en son temps Patrick McGoohan dans le Prisonnier.
Et on ne peut qu’acquiescer.
Mais la réalité est là et il ne sert à rien de la nier. Monsieur Tartenpion vient nous voir pour qu’on l’aide, le financement qu’il obtient lui permet d’avoir 12 heures d’aide et on pestifère en se disant que cela ne compensera jamais la perte du dossier de Madame Dupont 60 heures. Sauf que Monsieur Tartenpion vit un drame car il sent l’âge peser sur son corps qu’il n’arrive plus à déplacer comme avant et à besoin, pour sa dignité, qu’on l’aide à assurer son autonomie et à pouvoir continuer à vivre comme tout le monde chez lui et que la famille de Mme Dupont vient de perdre un être cher, trop vite partie suite à un cancer généralisé et que les auxiliaires de vie qui étaient à ses côtés depuis plusieurs années sont particulièrement attristées par cette nouvelle.
Mais oui mais voilà. Ces mêmes aides à domicile ont un contrat de travail qui leur permet de toucher un salaire leur permettant de subvenir à leur besoin. Et nous qui gérons l’ensemble des contrats du personnel de terrain s’arrachons les cheveux pour trouver des solutions afin que leurs contrats soient remplis et qu’un jour on n’ait pas à leur proposer un avenant à la baisse pour raisons économiques car les heures qui entrent ne compensent plus celles qui sortent… Et oui, lorsque une personne décède comme cela a été le cas aujourd’hui le premier réflexe est de regarder combien d’heures l’association perd avec le décès de cette personne, c’est-à-dire combien d’heures les salariés auront en moins pour remplir leur contrat… mais on n’oublie pas pour autant que c’est une personne qui vient de décéder et aussitôt passé le « combien d’heures ? », le second réflexe est toujours le même : parler entre nous des anecdotes qui nous ont marqué avec cette personne qui vient de nous quitter, penser au conjoint et à l’image du petit couple attendrissant se tenant la main après 60 ans de vie de couple et à la tristesse du conjoint survivant…
Sébastien Charrière
sebastien.charriere@laposte.net
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