Version de Jean-Michel CAUDRON du 27 décembre 2012

Le 1er janvier 2012, j’avais recyclé mes vœux de 2011, que j’avais intitulés « J’aurais 80 ans en 2011… »…Je les commençais ainsi :

« Je serais né en 1931, j’aurais passé l’adolescence sous l’occupation nazie, mon père en camp de prisonniers en Allemagne, et j’aurais été enthousiasmé dans la vision de la société fraternelle que voulait en 1944 le Conseil National de la Résistance…

J’aurais 80 ans en 2011, je serais horrifié par le dé-tricotage systématique du programme du Conseil National de la Résistance idéologisé par le MEDEF et réalisé par le Président de la République, j’aurais signé l’appel des (derniers) résistants aux jeunes générations en 2004, car, bientôt (en montant les parties de la population les unes contre les autres), les jeunes, les aisés, les « en bon santé », accepteront-ils toujours à payer pour les vieux, les pauvres, les malades, condamnant ainsi ceux-ci à la double peine, ajoutant à leur fragilité la précarité sociale ?

Quel pacte républicain laisserais-je à mes petits-enfants, alors que les valeurs de liberté, égalité et de fraternité sont bafouées ?

Quel contrat social laisserais-je à mes petits-enfants, alors que les principes de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (article 13 : « Toute contribution est établie pour l’utilité générale : elle doit être répartie entre les contribuables, en raison de leurs facultés », repris par le Conseil National de la Résistance : « chacun contribue selon ses moyens, chacun bénéficie selon ses besoins ») sont attaqués par un affidé du Président de la République ? »

En ce 1er janvier 2013, entraîné par le slogan « Le changement, c’est maintenant ! », je fais le vœu que je n’aurai pas à recycler encore ces vœux de 2011 le 1er janvier 2014, mais…

Certes, le fond de l’air est aujourd’hui plus démocratique… Certes, les valeurs républicaines semblent moins battues en brèche, au moins en parole… Mais nombre d’inégalités sociales demeurent, attaquant la cohésion du contrat social entre les Français…, surtout au regard des contextes de vie d’autres pays européens.

Je reprends la suite de mes vœux de 2011 :

« Mais parlons un peu de moi, du haut de mes 80 ans…

J’ai eu la malchance de ne pas faire mon AVC avant 60 ans et il faut que je pense à ne pas le faire avant le 1er janvier 2011, car j’aurais alors 3 fois moins en moyenne (avec 5 fois moins en montant maximal) d’allocation pour payer mes différentes aides à domicile (différence entre l’Allocation Personnalisée d’Autonomie [APA] et la Prestation de Compensation du Handicap [PCH]) que si ma situation de handicap était survenue avant l’anniversaire de mes soixante ans…

Pourquoi pas avant le 1er janvier 2011 : c’est la date-limite pour appliquer la convergence entre les champs du handicap et du vieillissement voulue par le législateur (cf. article 13 de la loi du 11 février 2005)

Mais j’oubliais que la France avait ratifié (certes en catimini) la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées excluant toute discrimination d’âge pour la reconnaissance du handicap, je pourrais donc faire de suite mon AVC… ».

Aussi, ne devrions-nous pas réfléchir pour agir afin de réduire ces inégalités sociales ?

Un peu de rappel historique avant d’aller plus loin semble nécessaire…

Le Conseil National de la Résistance a construit un système de protection sociale en France, entre Europe du Nord (Etat-providence) et Europe du Sud (Famille-providence), sur la base d’un compromis entre une vision universaliste de la Sécurité sociale protégeant les individus contre tous les risques sociaux, indépendamment de leur famille ET le choix d’un régime d’assurances obligatoires.

Mais les 4 risques (santé, accident du travail, vieillesse, famille) couverts par la Sécurité sociale, définis en 1945, ne répondent pas aux problèmes des personnes « inactives » (quel que soit leur âge), laissant ces problèmes à la seule charge des familles (avec un droit au recours à l’assistance publique sous forme d’aide sociale pour garantir un « minimum vital »).

En 2012, la France n’aurait-elle pas à inventer une 3ème voie, par choix de société et non plus par défaut, entre l’Etat-providence et la Famille-providence (entre Europe du Nord et Europe du Sud, où, d’ailleurs, ces modèles sont aujourd’hui battus en brèche…), entre la responsabilité individuelle et la responsabilité collective… ? En affirmant que l’accompagnement de la personne qui a du mal à s’assumer seule, du fait d’incapacités importantes, est d’abord de la responsabilité de sa famille, mais qu’il est de la responsabilité de la collectivité nationale (par subsidiarité) de soutenir cette famille dans cette mission et de la suppléer en cas de carence, voire d’absence, de celle-ci…

Par exemple :

  • ceci entraînerait une revisite complète des politiques publiques gérontologiques, tant au niveau national (entre autres sur l’organisation financière de ce soutien et de cette suppléance, en agrandissant, par exemple, le risque et la branche « famille » de la Sécurité sociale [en réfléchissant sur les seuils pertinents à partir desquels les mécanismes de soutien et de suppléance entrent en jeu sous forme d’allocations familiales]…) qu’au niveau local…

Sinon, si rien ne change, si un nouveau contrat entre les générations n’est pas imaginé, tous ensemble, cela laisserait, cela laissera, la place à la libre concurrence non faussée pour les… riches et l’aide sociale réduite aux acquêts pour les… pauvres…, avec l’aide de mouvements cultuels et communautaristes qui achèteraient, qui achèteront, la paix sociale…

Quel nouveau contrat social pour que les jeunes en décrochage scolaire et leurs parents, pour que les étudiant(e)s qui galèrent financièrement au point de se résigner à des petits boulots pas tous avouables, pour que les licenciés économiques du capitalisme financier fou, pour que la personne en situation de handicap qui survit à peine en termes de ressources avec son allocation pour adulte handicapé ou encore pour la veuve touchant juste la pension de réversion de son mari qui avait une basse retraite, etc., quel contrat social pour que ces citoyens se sentent faire partie de la même communauté humaine, pouvant bénéficier des mêmes chances que l’ensemble des citoyens ?

Car, si tous ces citoyens, et ils sont nombreux, ne sentent pas que la valeur d’égalité est valable aussi pour eux, s’ils pensent que seule la liberté, d’entreprendre, a le droit de cité, sans régulation par l’égalité (l’ascenseur social étant quasiment en panne par ailleurs), continueront-ils à être fraternels et solidaires envers leurs concitoyens, entre autres envers ceux qui auraient encore moins de chances qu’eux, mais aussi envers l’ensemble de la société (car nous sommes tous coresponsables de celle-ci) ?

Et si cette fraternité qui fait le ciment d’une communauté, cette coopération qui fait lien social et relie les hommes et les femmes, disparaissent, ne serait-ce pas le retour à la loi de la jungle, avec le règne des plus forts, et/ou à l’avènement de l’homme ou de la femme providentiel(le), avec la disparition de la démocratie, entraînée par une vague brune ?

Dans un monde en changement et au futur incertain, ne devrions-nous pas, aujourd’hui, interpeller les citoyens européens pour que l’écriture de ce nouveau contrat social se fasse à l’échelon de l’Union européenne, écriture initiée à l’occasion de l’Année européenne des citoyens, de 2013 ?

Car la remise en cause du contrat social n’est pas que française, le modèle social européen, avec ses variations du nord au sud, de l’ouest à l’est, est attaqué partout en Europe face à la crise socio-financière, alors que, paradoxalement, l’alliance entre démocrates sociaux et démocrates chrétiens avait su l’imposer…, remettant en cause aujourd’hui cette alliance et libérant la face obscure de la force…, laissant planer la prise de pouvoir de façon démocratique par des partis fascisants (comme Hitler en 1933), voire, pour le moins, faisant flirter des partis de droite ou leurs dirigeants avec la droite la plus extrême ou, au moins reprenant son discours (l’assistanat serait un fléau pour la société française…)

Et ne nous cachons pas derrière le paravent de la crise socio-financière actuelle pour ne rien faire, car, dans la France encore en guerre (le 15 mars 1944), dans un moment de crise sûrement plus important qu’aujourd’hui, le Conseil National de la Résistance avait su ré-enchanter le peuple français par son appel aux « jours heureux », lequel s’était concrétisé par la relance de la société française, socialement et économiquement.

Mais le Conseil National de la Résistance était composé d’un front républicain, allant des démocrates de droite au parti communiste…

Ne faudrait-il donc pas la création d’un front démocratique (en attendant une Europe fédérale…), rassemblant les citoyens et les partis démocrates pour ré-enchanter le peuple européen dans l’appel des jours meilleurs, appel dans lequel une garantie universelle d’existence solidaire figurerait en bonne place (mesure que nous, association, pourrions apporter au pot commun) ?

En effet, il me semble qu’il faille remettre au cœur des débats européens les principes de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (article 13 : « Toute contribution est établie pour l’utilité générale : elle doit être répartie entre les contribuables, en raison de leurs facultés », repris par le Conseil National de la Résistance : « chacun contribue selon ses moyens, chacun bénéficie selon ses besoins »).

Et sans faire « front de gauche » (quoique), il y a sûrement des marges de manœuvre importantes en mettant beaucoup plus de justice sociale qu’aujourd’hui (surtout depuis 10 ans) dans la redistribution des richesses… Les acteurs du capitalisme financier fou devraient sûrement repenser au rêve américain, quand John Ford voulait à tout prix que ses ouvriers puissent acheter les voitures qu’ils produisaient, car le jour où il n’y aura plus que des chômeurs pour acheter les produits…

L’Année européenne des citoyens, de 2013, ne serait-elle pas l’occasion d’imaginer une « garantie universelle d’existence solidaire » ?

Le nom de la mesure me semble important, plutôt qu’une « garantie solidaire universelle d’existence », car chacun doit se sentir solidaire et coresponsable de la société dans laquelle il vit. Cela évitera que cette garantie soit taxée de renforcement de l’assistanat. D’autant que tout le monde, du fait des aléas de la vie, pourrait bénéficier de cette garantie universelle, à des moments où il aurait des incapacités de pouvoir se suffire par lui-même et/ou sa famille ne pourrait pas prendre le relais (ne faudrait-il pas, d’ailleurs, ajouter « responsabilité » aux valeurs républicaines [comme, aussi, « laïcité »], à côté de « liberté », « égalité » et « fraternité » ?).

L’objectif serait que chacun puisse avoir un « filet socio-financier » (qui ne se réduirait donc pas qu’à un filet social ou qu’à un filet financier) lui permettant d’exister dans les différents piliers que constitue son projet de vie, facilitant ainsi son bien-être, son émancipation et sa participation à la vie de la cité, pour le bien de tous…

Pour l’association gérontologique du 13ème arrondissement de Paris, le projet de vie d’une personne (et c’est valable à tous les âges de la vie) serait de se réaliser sur 5 piliers :

  • le pilier psychoaffectif (moi et mes tous proches, mon conjoint(e), mes enfants),
  • le pilier vie sociale (moi et les autres),
  • le pilier habitat (mon logement et son environnement proche),
  • le pilier santé (au sens de l’OMS, c’est-à-dire « bien-être »),
  • le pilier ressources (pour assumer les 4 autres piliers).

S’asseoir sur un tabouret à 5 ou 4 pieds, c’est confortable, se maintenir sur un trépied commence à être mal aisé (si le sol n’est pas égal…), surtout si l’on a des problèmes (divers) d’équilibre, alors que dire si un seul pilier tient le coup…

Si chacun est responsable de la globalité de la gestion de son projet de vie, il n’est pas tout à fait responsable, par contre, de tous les aléas de la vie, ni de toutes les contraintes que lui impose la société sans qu’il n’en peut mais. Et sa famille ne pourra pas tout compenser. Ou, encore, la personne ne voudra pas que celle-ci intervienne.

Alors, à la société d’aider (avec l’annonce d’un don contredon sûrement plus implicite qu’explicite, mais quand même verbalisé) la personne à se maintenir, tant bien que mal et si elle le souhaite, sur ses différents piliers de vie.

Pour le 1er pilier (pilier psychoaffectif), la société peut difficilement compenser une instabilité ou des ruptures (sauf à être dans une empathie bienveillante, dans une lutte de tous les instants contre le sentiment de solitude et dans un soutien psychologique, qui lui permettront, peut-être, de dépasser ces moments difficiles, pour son bien à elle, comme pour le bien de… tous). Quoique, si la personne ne peut pas faire physiquement l’acte elle-même, l’acte de faire l’amour ou l’acte de se suicider, la société aura peut-être à l’accompagner dans cet acte, avec toutes les précautions nécessaires pour être sûr de respecter le choix de la personne.

Par contre, la société peut sûrement être beaucoup plus proactive qu’aujourd’hui pour compenser des difficultés passagères ou durables que pourrait rencontrer la personne pour gérer seule ses 4 autres piliers.

Et cela ne coûterait pas forcément cher, au-delà du bien-être de tous et donc de la « confiance des ménages » et une relance alors de la consommation de ceux-ci.

Par exemple :

  • un simple alignement de l’allocation personnalisée d’autonomie française sur l’assurance de soins de longue durée allemande ne coûterait que 100€ « bruts » et 24,5€ « nets » supplémentaires par an par Français de 20 ans et +,
  • les 1,16 milliards d’euros nets supplémentaires par an nécessaires pour s’aligner sur la gestion de la « dépendance » en Allemagne ne sont que 50% des dépenses de publicité des entreprises pharmaceutiques par an, 33% de la réduction de TVA pour les restaurateurs par an, 15% des dépenses annuelles des français pour leurs animaux domestiques, 10% des dépenses annuelles des français pour les jeux d’argent, 25% des réductions fiscales et sociales des 10% les plus aisés des français utilisateurs des services à la personne…, 25% de Jérôme Kerviel, etc.,
  • une fois d’équerre le volume financier de l’allocation personnalisée d’autonomie, n’ayons pas peur d’un tsunami gériatrique (annoncé par un ancien ministre), car l’augmentation du nombre de personnes « dépendantes » sera, d’ici 2040, de 1% en moyenne par an (rapport Hélène Gisserot), ce qui sera tout à fait digérable, car cette augmentation sera moindre que celle du PIB, même si celle-ci stagne à 1,5%.

La prolongation de la réflexion pour qualifier et quantifier cette mesure de garantie universelle d’existence solidaire serait d’inventorier pour ces 4 autres piliers ce qui nous semblerait être le socle minimum aujourd’hui pour donner un maximum de chances à chacun d’exister et développer son projet de vie, mais aussi de réfléchir sur les principes de ce socle minimum pour chacun des piliers et les modalités pour repenser régulièrement les détails de ce que doit comporter ce socle (en effet, qui aurait pensé il y a 20 ans qu’avoir un abonnement internet et un téléphone portable pouvait être un produit de 1ère nécessité dans le monde d’aujourd’hui pour sa vie psychoaffective, sa vie sociale, trouver un emploi, un logement, voire pour se soigner ?!).

Profitons donc de 2013, de cette nouvelle Année européenne, pour renforcer cette Europe des citoyens solidaires, chacun apportant sa contribution à la communauté des citoyens européens, selon ses moyens, chacun bénéficiant de cette communauté des citoyens européens, selon ses besoins.

Ensemble, ré-enchantons le rêve européen, pour le bien-être de tous