Le recrutement, phase incontournable et indispensable des ressources humaines, est une opération délicate basée sur une science par définition incertaine : le recruteur peut prévoir autant de garde-fous qu’il le souhaite, il y aura toujours dans cet océan de pseudo objectivé d’énormes gouttes de réelles subjectivités.

Dans cet article, je souhaitais faire part des grandes lignes de notre recrutement avec ses qualités et ses défauts afin de proposer quelques pistes de réflexion mais aussi, je l’espère, afin de récolter quelques témoignages, retours d’expérience qui pourront nourrir et améliorer cette phase si précieuse dans laquelle on cherche volontairement à perdre un peu de notre temps afin, ensuite, d’en gagner.

Quatre grandes phases égrènent notre processus de recrutement.

1. Etude du CV reçu, lecture de la lettre de motivation

A mon sens, il ne faut pas négliger la lettre de motivation, sans pour autant s’y attarder exagérément. A la pratique on se rend bien compte que pour ce qu’il s’agit des auxiliaires de vie sociale, les lettres de motivation se ressemblent et ne sont jamais très fouillées. Personnellement, ce qui m’intéresse le plus reste le CV et ce qui viendra ensuite, mais je prends tout de même le temps de parcourir la lettre de motivation (on y trouve parfois de belles surprises…).

 L’étude du CV se base sur des éléments purement objectifs :

– Cette personne a-t-elle son permis et un véhicule ?

Les candidats n’ayant pas le permis mais étant en cours le précisent souvent sur leur CV. Cependant, je n’ai aucun moyen sur la seule base de leur CV de déterminer s’ils sont en cours des premières heures d’étude du code ou des ultimes heures d’étude de la conduite avec une date prévisible de passage du permis, ce qui n’est pas la même chose… Au début de ma fonction, si le CV me semblait intéressant, je partais du principe que « le bénéfice du doute profite au candidat » et voyais au moment de l’entretien ce qu’il en était. Aujourd’hui, je ne cherche plus : je prends mon téléphone et pose la question. C’est bien plus simple et je ne perds pas mon temps.

Faut-il pour autant nécessairement avoir le permis pour exercer cette profession ? Est-ce éliminatoire ? Non, pas nécessairement, cela dépendant des circonstances géographiques d’intervention. Mais il faut avouer clairement les choses : c’est un très sérieux handicap pour le candidat qui sera très loin d’être ma priorité. Il faudrait vraiment que je sois sur les dents et dans une impasse pour me contenter d’un salarié sans moyen motorisé de locomotion (nous intervenant sur un secteur mi-rural, mi-urbain avec une étendue de 25 km, l’absence de permis rend simplement impossible certaines interventions).

– Cette personne a-t-elle une formation adaptée aux métiers de l’aide à domicile ?

Le métier d’aide à domicile ne s’improvise pas. Il existe des formations spécifiques à notre secteur et il est évident qu’il est préférable pour les personnes auprès desquelles le candidat va intervenir, que celui-ci soit formé à un certain nombre de choses. Toutefois, si l’absence de formation peut être un handicap, il n’est pas nécessairement rédhibitoire : l’absence de formation peut parfaitement être compensée par l’existence d’expériences prouvées dans ce domaine (évidemment cela est valable jusqu’à un certain point… pour les taches les plus complexes, une formation sera indispensable).

Attention toutefois : aujourd’hui, alors que le Diplôme d’Etat d’Auxiliaire de Vie Sociale était LE diplôme pour ce métier, il faut noter qu’il est un handicap pour le monde associatif qui ne recrute quasiment plus ces profils qui pèsent trop lourd sur des budgets qui se réduisent comme une peau de chagrin.

– Cette personne a-t-elle de l’expérience ?

Il est évident, comme n’importe quel métier, un minimum d’expérience reste un atout non négligeable. Surtout, je le rappelle, si le candidat n’a pas de formation adaptée au travail à domicile.

Pour le candidat, le fait d’avoir un peu d’expérience, si ce n’est d’avoir à minima eu l’opportunité de faire des stages dans le domicile, lui permet de se rendre vraiment compte de ce qu’est le travail à domicile. On ne peut pas se contenter dans une lettre de motivation d’affirmer que l’on aime le contact avec les personnes âgées et/ou handicapées et que l’on a une expérience personnelle car on s’est occupé de sa grand-mère ou de son cousin atteint d’une trisomie pour affirmer que ce métier est fait pour soi. Clairement, comment un candidat peut-il affirmer qu’il sera excellent dans ce métier et qu’il prendra plaisir s’il n’a pas gouté aux joies des heures éparpillées dans la semaine, du stress du déplacement et de l’espoir de ne pas arriver en retard, de l’émerveillement face à une personne incontinente qui n’a pas pu se retenir et dont il faudra nettoyer les parties intimes ou encore du plaisir d’être bousculé par un usager agressif en état avancé d’Alzheimer ? Tout ceci est bien évidemment de l’ironie, mais pour autant, vivre cela au quotidien n’est pas la même chose que « d’aimer le contact avec les personnes âgées »…

– Cette personne vit-elle sur le territoire d’intervention de l’association ?

Pour des raisons évidentes de disponibilité et de déplacements intensifs propres au métier (couplé au fait qu’il s’agit très souvent de temps partiel), le candidat qui vit en dehors du territoire d’intervention sera écarté. Nous avons besoin de personnes disponibles sur qui on peut compter et ce métier est déjà suffisamment éreintant avec des horaires bien assez particuliers pour ne pas avoir à risquer des motifs d’éloignement d’un salarié qui opposera régulièrement le lieu de son domicile pour refuser régulièrement telle ou telle intervention.

2. Passage d’un écrit au siège de l’association

Les personnes que j’aurais sélectionnées en fonction des différents critères viendront passer une petite heure dans les locaux de l’association passer un test écrit dit de mise en situation. L’ironie finalement c’est qu’il ne s’agit pas au fond d’une véritable mise en situation, chose qui n’est pas toujours évident à mettre en place. Mais cela est tout de même riche d’enseignement sur la personne et cela me permet d’aller plus loin dans la connaissance du candidat.

Il ne s’agit pas uniquement de poser des questions techniques dont il n’est possible de connaitre les réponses que si on connait le métier ou on a reçu une formation. Il s’agit aussi et surtout de questions plus ouvertes qui me permettent d’en apprendre un peu plus sur la personne et sur sa réaction face à telle ou telle situation. Comment va-t-elle réagir face à cet usager dont elle a les clefs du domicile et qu’elle retrouve au sol, conscient, à côté de son lit ? Que va-t-elle faire face à une personne qui refuse systématiquement le repas qu’elle prépare alors que sa mission est justement une aide au repas ? Vous voyez, sans être spécialiste de la question, chacun aura sa façon de répondre aux questions et cela me permettra ensuite d’en discuter de manière plus approfondie à l’occasion de l’entretien individuel, le face à face décisif.

Notez tout de même que ce test à aussi un autre objectif qui n’est pas mis en avant mais qui est sous-jacent au passage d’un test écrit : déterminer si le candidat sait écrire et lire. L’aide à domicile va aider la personne dépendante dans plusieurs domaines et il est fort possible que cette aide à domicile soit amenée à lire le journal pour telle personne dont elle a la garde et qui ne peut plus lire, aider à écrire une lettre de telle autre personne qui souhaite donner des nouvelles à sa famille éloignée ou rechercher comment faire telle ou telle démarche administrative pour cette autre personne qui n’est pas très à l’aise avec tout cela.

Autre élément sous-jacent dont on ne parle pas mais qui parait évident au recruteur : après avoir eu la personne au téléphone (première idée de la voix, de la façon de s’exprimer du candidat) et lui avoir demandé de se présenter tel jour à telle heure (veut-il vraiment ce travail ? va-t-il se déplacer ce jour là, à cette heure même si il a certaines contraintes personnelles ?), on a l’occasion de pouvoir voir le candidat (comment se présente-t-il ? Arrive-t-il à l’heure ?).

Le test terminé, je prends un peu de temps à tête reposé pour lire les réponses aux questions. Il n’y a pas nécessairement une seule réponse exacte aux questions mais il y a évidemment des lignes directrices communes que j’espère voir. Parfois, des réponses me surprennent en bien : je n’avais pas pensé à cela et cela est très perspicace. Parfois, des réponses sont surprenantes de ridicules malheureusement : mais comment est-ce possible ?

Une fois l’étude du test faite et les « mauvais » candidats écartés (je mets volontairement mauvais entre guillemets car il faut bien comprendre qu’ils ne sont pas forcément mauvais mais c’est aussi une étude comparative de profil et il y a toujours de meilleurs profils que d’autres…), je les appelle pour le fameux face à face.

3. Entretien d’embauche (ou de non-embauche…)

C’est anecdotique mais finalement pas tant que ça : mon bureau est magnifiquement bien situé dans le sens où lorsque le ou la candidate (99,9% la candidate en fait… donc je féminise tout ne vous étonnez pas !) arrive, je la vois arriver. Elle arrive à pied ou on la dépose : tiens, j’espère qu’elle a bien un moyen de locomotion celle-là… elle arrive en voiture : tiens, elle a un mal fou à faire son créneau et s’y reprend à 10 fois, elle ne m’a pas l’air bien dégourdie… je la vois fumer une cigarette avant d’entrer : bon, il faudra que j’insiste sur le fait qu’il faut éviter à tout prix de sentir la cigarette pour aller à domicile, certaines personnes âgées y sont très sensibles et peuvent le lui reprocher… il n’est pas encore l’heure, elle embrasse à pleine bouche son copain, lui monte dessus dans la voiture : euh… comment dire… c’est une blague ? (vraiment vécu, je vous assure !).

Tout cela pour dire qu’on peut se faire, dans certains cas, déjà une petite idée du personnage, et même si j’essaye de donner leur chance quand même (on ne sait jamais peut être que le stress d’avant entretien fait faire des choses non habituelles…), les quelques petites choses que je vois avant me met évidemment dans un certain état d’esprit pour la suite.

Je les reçois ensuite dans un bureau neutre qui n’est pas le mien (en même temps, nous sommes sur un plateau…) et qui sert de bureau de confidentialité. De là commence l’entretien que je décompose généralement en 3 temps :

Avant toute chose, avant même de leur poser des questions ou de les laisser s’exprimer, nous revenons ensemble sur le test qu’elles ont passé. Je leur demande tout d’abord ce qu’elles en ont pensé pour ensuite entrer plus en détail et vérifier certains points qu’elles ont peu développé ou qui me laissent perplexe. Il est évident qu’elles ne peuvent pas être exhaustives à l’écrit, d’autant qu’elles ont un temps imparti et que quelques lignes seulement sont prévues sous chaque question. Lorsqu’il manque un élément, je cherche à savoir si elles le perçoivent. Lorsqu’une phrase est ambigüe, je cherche à comprendre ce que cela signifie et si elles sont à côté de la plaque, j’essaye de voir s’il n’y a pas quelque chose qui les dérange dans leur réponse en leur marquant ma grande perplexité quant à leur réponse. Evidemment, j’ai toujours quelque chose à dire, car la perfection n’existe pas et moi-même je n’ai pas réponse à tout mais je les rassure en leur disant que si je n’avais pas trouvé leurs réponses un minimum digne d’intérêt, elles ne seraient pas là devant moi.

Par ce premier échange, je peux approfondir tout de suite les choses et déterminer leur connaissance du sujet ainsi qu’une qualité qui me semble importante dans leur métier, le bon sens : certes, certains gestes techniques et des connaissances de base sont nécessaires, mais de nombreuses problématiques peuvent être résolues avec simplement un peu de bon sens.

Une fois le tour du test fait, je leur demande de se présenter. Mon objectif principal est qu’elles me fassent comprendre pourquoi aujourd’hui elles se retrouvent à travailler dans l’aide à domicile. C’est loin d’être un métier que l’on improvise. Attention, que l’on s’entende bien : vous pouvez me dire que c’est le cas de tout métier. Mais entre nous soit dit, devoir affronter le regard en détresse d’une mère de 2 petits enfants qui est âgée de 40 ans et qui est atteinte d’un cancer en phase terminale ou devoir faire la toilette d’un monsieur de 95 ans qui a fait ses besoins sur lui et qui vous engueule comme du poisson pourri à chaque fois qu’on y va demande une certaine motivation non ? Si on n’aime pas profondément ce métier, si on n’a pas en soi une profonde empathie pour les autres, ce métier peut vite devenir extrêmement difficile. Et je préfère autant être clair avec le candidat et il m’importe de ressentir que sa présence n’est pas due simplement à un « pôle emploi m’a demandé de postuler chez vous car mon conseiller trouve que j’ai les qualités pour ce métier »… (ce qu’on voit souvent !).

Je remplis enfin une fiche administrative avec différentes informations sur la candidate. La tension, si tension il y a eu, baisse. Toutefois, tout en remplissant ladite fiche, j’en profite pour dire à la candidate que si elle à des questions, il ne faut pas qu’elle hésite. Classiquement, j’espère voir si elle s’intéresse un peu à nous, à notre fonctionnement, à des détails organisationnels de son futur poste, etc…

Un fil conducteur domine ces 3 étapes : je veux connaitre la personnalité de la personne, la ressentir et déterminer si la personne est chaleureuse, empathique, apprécie les gens, sociable, discrète, autonome, professionnelle, volontaire, responsable, etc., etc., etc. Une fois la connaissance du métier, du public et des technicités précisées, je m’attarde sur une personnalité. Pour ce métier, cela me semble essentiel.

4. Validation de la direction

Pour finir, une fois l’entretien terminé, je dois remplir une fiche avec différentes appréciations que l’on a coté, ainsi que rédiger une appréciation globale. L’ensemble du dossier composé du CV, de la lettre de motivation, du test et de ladite appréciation est remis à ma direction qui valide ou ne valide pas.

Sébastien Charrière

sebastien.charriere@laposte.net