Vincent Lambert : Dernier acte d’une tragédie familiale?

Par Daniel CARRE

En mai dernier, l’affaire Vincent Lambert a été rendue publique. Il y a cinq ans aujourd’hui, le 18 septembre 2008, cet infirmier de 38 ans était victime d’un grave accident de moto qui l’a plongé dans un coma dont il n’est jamais sorti. Son épouse l’a entouré des meilleurs soins possibles. Son long parcours se termine au printemps 2013 à l’Unité de Soins Palliatifs du CHU de Reims. Après la concertation prévue par la Loi Leonetti, impliquant les proches et l’équipe soignante, il a été décidé d’arrêter toute assistance et de laisser mourir Vincent.

Hélas, la mère de Vincent, avec qui les relations étaient distendues, n’avait pas été invitée à participer à la procédure collégiale. Cette femme, membre de la fraternité Saint Pie X et du mouvement Dignitas, est très opposée à l’euthanasie et elle s’est violemment élevée pour des raisons idéologiques contre la décision d’arrêt de soins. Après des pressions calomnieuses et attaques personnelles contre sa belle-fille accusée d’assassiner son fils, elle dépose un référé en tribunal administratif qui casse en mai 2013 la décision d’arrêt de soins, prise par le Docteur Eric Kariger, chef de service de l’USP.

Cet arrêt porte sur la forme et non sur le fond de la décision. Le CHU doit se plier à cette décision de justice et Vincent est à nouveau alimenté. Les mouvements intégristes exultent leur joie, en transformant une décision de procédure en condamnation de fond du médecin et de l’épouse de Vincent, qu’ils accusent de volonté meurtrière. Ces attaques sont tout à fait inadmissibles comme la manipulation indigne d’un jugement sur une procédure.

Après un délai qu’il justifie par la violence de la situation, le Docteur Eric Kariger reprend maintenant la procédure collégiale, précédée d’un conseil de famille réunissant tous les protagonistes. Après ces consultations et concertations, il prendra alors une décision, conformément à la loi. C’est une position professionnelle qui mérite le respect, même si elle trouble certaines sensibilités. L’affaire est à nouveau médiatisée le 16 septembre dernier, avec des titres à sensation comme dans LePoint.fr « L’euthanasie de Vincent Lambert est à nouveau envisagée ».

Cette situation est une tragédie pour les acteurs et toute ma compassion va vers les victimes, en premier lieu l’épouse de Vincent Lambert, Vincent Lambert lui-même muré dans son silence et ses frères et sœurs qui ont partagé la décision murement réfléchie d’arrêt de soins qui a été cassée. Il y a cinq années terribles que l’épouse a du vivre en élevant son jeune enfant. La technique médicale a permis la survie du corps. Pourquoi avoir attendu 5 ans pour prendre une telle décision? Pourquoi le tribunal administratif n’a pas mesuré la violence inouïe de l’arrêt d’une décision prise dans le respect de Vincent ?

La tragédie pouvait-elle être évitée ? Vincent aurait exprimé sa volonté de ne pas avoir sa vie prolongée en pareilles circonstances, mais son expression repose sur des conversations entre époux. Témoignage fragile et rien d’écrit. Des directives anticipées actant cette volonté auraient certainement éclairées le débat et conforter la décision du médecin, voire accélérée la prise de décision. La réalité est qu’un homme jeune comme Vincent Lambert écrit très exceptionnellement ses directives anticipées, un acte important qu’il faut vivement recommander à tous ceux qui pratiquent des sports à risque ou pilotent une moto. Ce cas nous motive pour demander que ces directives soient impératives et opposables.

Depuis des millénaires, les passions ravageuses alimentent des drames familiaux, rien ne peut empêcher la violence des propos et des actes qui induisent la tragédie autour du lit du mourant. Rien n’arrête alors l’enchainement d’évènements douloureux dont les causes sont irrationnelles, insondables et incontrôlables. Des situations bloquées qui peuvent pousser au geste criminel ou à la fuite désespérée.

La grande difficulté est que le concept de famille et de proche est très flou. Le lien de sang n’est pas nécessairement la complicité affective. La justice n’a pas de critère pour juger et trancher entre les parties. L’attente d’une décision de justice accumule les douleurs au lieu de les apaiser. La justice n’apportera pas de solution à la tragédie que nous évoquons.

Espérons que le déroulement prévu par le Docteur Eric Kariger se passe sereinement.