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Lucette, chez elle.
Lucienne, en EHPAD.

Le matin, Lucette se réveille avec la radio. Elle repousse les couvertures, pose un pied par terre, puis l’autre, et se lève doucement. Elle enfile une robe de chambre, la bleue, celle qui est bien chaude, ouvre les volets, et va à petits pas dans la cuisine se préparer un bon petit-déjeuner : du café (avec un peu de chicorée pour le goût), du pain grillé, du beurre, de la confiture maison (avec les fraises du jardin). Lucette mange lentement, elle a tout son temps et l’infirmière ne sera pas là avant une bonne heure.

Le matin, Lucienne est réveillée par l’aide-soignante. Lumière allumée, volets ouverts, lit (d’hôpital) redressé. Plateau en plastique (d’hôpital) posé sur l’adaptable (d’hôpital). Bol blanc (d’hôpital) empli de café, trois tartines de pain mou beurré, une poignée de médicaments et un verre d’eau. Serviette (d’hôpital) nouée autour du cou comme les enfants, bon appétit et à plus tard pour la toilette.

À neuf heures, l’infirmière arrive. Lucette a du mal à faire sa toilette toute seule depuis quelques années, alors l’infirmière vient l’aider pour la douche tous les matins. Savon à la violette de Toulouse, crème hydratante, parfum, un peu de rose aux joues pour donner bonne mine, voilà Lucette toute pomponnée. La robe bleu marine et le tricot assorti, ce sera parfait pour aujourd’hui. L’infirmière est toujours pressée, elle a du monde à voir le matin, mais son sourire et sa gentillesse font oublier la rapidité de la visite.

À neuf heures, l’aide-soignante revient pour la toilette. Un coup de gant (d’hôpital) sur le visage et le buste, un deuxième coup de gant au bas du ventre, hop hop hop, on se dépêche! Pas le temps de papoter, il y a encore 10 toilettes à faire. Savon liquide (d’hôpital), le même que la voisine, le même que le voisin, le même que tous les vieux dans tous les EHPAD. Les pieds ? Pas le temps. Le shampoing ? Pas le temps. Le brossage de dents ? Pas le temps. Une chemise (d’hôpital) boutonnée dans le dos, facile à enfiler, facile à enlever, un gilet par-dessus, une jupe, Lucienne est prête. Prête pour quoi ? Pour rien. Installée dans son fauteuil (d’hôpital), télé allumée, sonnette à côté, Lucienne attend le repas.

À dix heures, un coup de sonnette, voilà Babeth. C’est parti pour le marché du mercredi. Des légumes chez Roger le primeur, du poisson chez Bruno, des pommes chez Nicole, des œufs et du fromage chez Simon, et du pain chez Carole. N’oublions pas la petite douceur du mercredi, un macaron au chocolat que Lucette partagera avec Babeth devant un petit café. Le diabète ? Oh, un petit gâteau par semaine, on peut se le permettre non?

À dix heures, Lucienne somnole devant sa télé.

À midi, Lucette se prépare une petite ratatouille et une escalope. En dessert, juste une pomme, ça compensera le délicieux gâteau de ce matin. Ça sent bon dans toute la maison.  Tout en se servant, elle regarde pensivement son assiette de porcelaine. C’est la vaisselle qu’elle avait achetée avec Germain pour leur premier Noël ensemble. Dix ans déjà qu’il est parti. Il lui manque. Lucette regarde le cadre posé sur le buffet, Germain lui sourit, elle lui sourit en retour. Qu’il est doux de se rappeler des bons souvenirs au milieu de ses objets. La radio diffuse du Barbara, Lucette se surprend à chantonner.

À midi, l’aide-soignante vient chercher Lucienne pour le repas. Au menu : crudités, purée et steak haché, fromage, compote. Assiettes blanches d’hôpital, serviette d’hôpital, menu d’hôpital. À table, les voisins de Lucienne ne sont pas bavards, chacun semble pressé de regagner sa chambre. La radio tourne en boucle dans la salle, mais ces chansons-là sont trop modernes pour Lucienne, elle n’en connaît aucune. Chez elle, elle écoutait Piaf et Aznavour sur son tourne-disques. Ici, elle n’a rien pour écouter la musique, elle se contente de la télé.