Auteur : Daniel CARRE

La priorité au maintien à domicile correspond à un profond désir d’une majorité de la population des personnes vieillissantes. Le domicile a un coût apparent beaucoup plus faible que l’hébergement en EHPAD. Néanmoins, le reste à charge moyen qui est mis en évidence par l’enquête de France-Alzheimer est de 1000 €/mois. De plus, le maintien à domicile de quelqu’un dépendant comporte l’engagement important des aidants familiaux, 365 jours par an, parfois 24/24, soit un minimum compris entre 100 à 150 heures par mois.

Si l’engagement des aidants est valorisé à un tarif professionnel, leur coût serait de 2000 à 3000€ par mois. Nous avons une fourchette d’estimation de coût total qui serait en moyenne de l’ordre de 3000/4000 € par mois. Les cas concrets que je connais de maintien à domicile avec une lourde intervention de professionnels font apparaître des charges de l’ordre de 5000 à 8000€ par mois (hors coûts professionnels de santé couverts par SS). Une récente analyse sur le cas d’une personne sans aucun aidant familial met en évidence un coût total de 2500 € / semaine (référence la Maison de l’autonomie, Une expérience « en or » à domicile, nov 2013).

L’importance de l’engagement des aidants a donc d’un impact considérable sur les coûts du prendre soins des personnes dépendantes à domicile, quelle qu’en soit la cause : grand âge, handicap ou maladie. Je n’ai pas d’élément permettant un chiffrage, mais il faut certainement mesurer cet impact en milliards d’€ quand on sait qu’il y a 4,3 millions d’aides aux personnes de plus de 60 ans. Les aidants familiaux « bénévoles » sont donc la clé de voute du prendre soin à domicile.

Cette analyse devrait conduire la société à un autre regard sur l’aidant, d’autant que son rôle dépasse celui de l’acte matériel, relationnel et compassionnel d’assistance.

Au premier chef il y a l’harmonie entre les intervenants, parmi lesquels les aidants bénévoles, familiaux et proches. La multiplicité des intervenants pose de fréquents problèmes si l’information ne se transmet pas et si des divergences surgissent. De plus, l’intimité de la personne âgée est bousculée par les divers intervenants qui se succèdent à domicile. Quand la fin de vie s’organise à domicile, la pression sur les aidants peut devenir très forte, d’autant que les aides possibles ne sont pas toujours adaptées ni disponibles ou extrêmement lourds à mettre en œuvre dans le cas de l’HAD.

Le maintien à domicile repose sur une coordination d’acteurs qui implique un responsable du choix des acteurs, de leur évaluation et du paiement de leur rémunération. Qui va faire face à la défaillance d’un intervenant, qui va vérifier et payer les factures, qui va régler les conflits relationnels, qui va assurer la sécurité de la personne aidée : un membre de la famille, très souvent une fille, un conjoint ou une sœur, l’aidant coordonne les professionnels et les bénévoles.

L’élaboration du plan d’aide résulte d’un diagnostic puis d’un dialogue entre la personne bénéficiaire et l’évaluateur. Même s’il n’y a pas de trouble cognitif chez la personne concernée, le soutien familial est un facteur clé du succès de l’élaboration et de la mise en place du plan d’aide.

L’aidant familial doit donc être considéré comme un acteur qui doit être intégré à l’équipe soignante et d’accompagnement. Il doit en particulier avoir accès aux informations nécessaire à l’exercice de sa fonction. Les pouvoirs correspondant à la situation de la personne âgée impliquent une anticipation, tant de l’expression de la personne (directives anticipées ou mandat de protection future) que de la désignation du porteur de parole (Personne de confiance ou mandataire de protection).

Le soutien à l’aidant peut venir des professionnels de l’équipe de soins. Ce n’est pas sans ambigüité, surtout si l’aidant paie les restes à charge, exerçant ainsi une tutelle informelle ou effective. Quand les associations qui apportent soins ou assistance se trouvent dans une situation de décideur pour la famille, le conflit d’intérêt risque de surgir. Hélas, quelques remontées du terrain laissent entrevoir leur existence.

Le soutien, le ressourcement et l’expertise peut et doit être apportée par une association indépendante des professionnels effecteurs. C’est le rôle des associations de malades et de personnes âgées, qui est effectif dès maintenant. L’évolution vers la chronicité des pathologies fait que les missions des associations évoluent vers cette fonction. Un cas exemplaire est celui du VIH, où Aides se préoccupe des conditions de l’accompagnement des séropositifs vieillissants. Les associations sont des acteurs incontournables dans la promotion de la santé. Leur position doit être confortée tant par la loi que par les pratiques des organisations de financement et de service professionnel.

S’il est indispensable de privilégier la prise en charge et la solidarité familiale, il faut prendre en compte de nombreuses situations où la solidarité familiale est défaillante ou absente. Mais il convient aussi de préserver la santé de l’aidant. La relation aidant familial personne âgée (ou malade, ou handicapée) est complexe. Le grand âge n’efface pas des caractéristiques dominatrices ou perverses qui se révèlent très dures à vivre, l’assisté jouant de son état pour manipuler son aidant. Si ce dernier est fragile, les conséquences peuvent être la disparition de l’aidant, terrassé par la maladie. C’est un syndrome hélas bien connu dans les maladies neurodégénératives où les survies des malades sont parfois très longues. Il serait alors souhaitable que l’aidant puisse avoir un soutien, au delà des nécessaires périodes de répit, surtout en cas de maladie mentale ou de perte cognitive lourde de la personne âgée.

Des situations familiales conflictuelles sont à l’origine de problèmes complexes difficiles à gérer, avec des mesures de protection de la personne. La défaillance familiale est aussi fréquente, parfois la personne âgée est abandonnée après un placement en EHPAD. L’absence totale de relation familiale proche est enfin une cause naturelle d’absence de solidarité familiale.

Dans tous ces cas la prise en charge par les services sociaux et les services médicosociaux ou sanitaires se substitue à la famille lorsque la personne âgée n’a plus la capacité de gérer son autonomie. Gestionnaire de cas et/ou institution de tutelle curatelle peuvent intervenir. Mais de nombreuses zones d’ombre subsistent que nous signalons sans pouvoir les analyser pour les traiter.

Le maintien à domicile fait intervenir une multitude d’intervenants indépendants. Ceux-ci sont sous des statuts et des modalités de financement extrêmement disparates : professionnels de santé ambulatoire et hospitalier (HAD), services médicosociaux, services sociaux d’aide à la personne, services de protection de la personne, financeurs, associations de malade, de personnes âgées ou de visite, collectivités locales.

Questions : comment organiser, évaluer et auditer les soins et méthodes de prendre soin, comment détecter les maltraitances et les malveillances à domicile, comment prendre en compte leur caractère diffus ? Ces interrogations concernent une très importante population, d’une grande diversité sociale selon les territoires. La réponse à ces questions doit être le fruit d’un approfondissement de la démocratie sanitaire.